Syndrome de Popeye et héroïne de substitution

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« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », écrivait Albert Camus. Cela est sans doute vrai en médecine. On peut assurément faire confiance aux médecins pour trouver un nom aux maladies qu’ils découvrent afin de promouvoir par la suite leur usage dans la littérature médicale. Le syndrome dont il est question dans ce billet ne déroge pas à la règle. Il désigne une complication de la toxicomanie intraveineuse, peu connue des usagers et des soignants.

Des cliniciens français relatent, dans le numéro daté de juin 2015 de la revue de psychiatrie L’Encéphale, un cas clinique qui illustre parfaitement ce que des médecins ont baptisé… le « syndrome de Popeye ».

Cette dénomination amusante désigne pourtant une pathologie redoutable qui peut survenir lors de l’utilisation détournée du Subutex (buprénorphine ). Ce médicament est habituellement utilisé dans le sevrage des patients toxicomanes à l’héroïne. En d’autres termes, ce traitement substitutif de la dépendance aux opiacés vise à supprimer les symptômes de manque qui surviennent à l’arrêt de la prise de ce type de drogue.

Le Subutex est administré par voie sublinguale : le comprimé doit être placé sous la langue. Il reproduit modérément l’effet euphorique de l’héroïne. Certains toxicomanes en font un usage détourné en se l’injectant dans les veines après avoir dilué le produit dans du jus de citron et filtré la solution avec du coton ou un filtre de cigarette. Cette pratique peut entraîner une complication qui se manifeste par un gonflement du dos de la main. Celui-ci survient alors une longue période d’intoxication intraveineuse au Subutex.

Ces œdèmes ne sont pas douloureux. Au début, ils se produisent à chaque injection et se résorbent naturellement. Ils tendent à persister avec le temps. Avec pour résultat, après quelques mois d’évolution, un aspect bouffi du dos des deux mains et de la face dorsale des doigts. Avec le temps, le gonflement atteint le poignet, parfois même les avant-bras. Les veines du dos des mains, de même que les tendons des muscles extenseurs des doigts, ne sont plus visibles.

« Ces membres supérieurs, exposés à la vue, qui ont triplé de volume, viennent signer la présence d’un syndrome de Popeye, conséquences des injections répétées de Subutex », précisent le Dr Jessica Békaert du service d’addictologie de l’Hôpital maritime de Zuydcoote (Nord) et sa collègue psychologue Gaëlle Podevin du laboratoire Psitec (université Lille Nord de France, Villeneuve d’Ascq) au sujet de leur patient âge de 43 ans. Celui-ci a commencé à 31 ans à s’injecter du Subutex six fois par jour au niveau des bras en même tant que deux autres médicaments : un somnifère (Rohypnol) et un anxiolytique (Tranxène).

Syndrome des grosses mains. Arrault M, et al. Rev Med Interne. 2009 May;30(5):460-4.

Les répercussions de l’importante augmentation de volume des mains associée au syndrome de Popeye sont importantes, non seulement sur la fonction mais également sur le plan esthétique, psychologique et social.  A tel point que les patients ont des difficultés à aller consulter du fait de la culpabilité qu’ils éprouvent et de la gêne à aborder ces pratiques d’injection intraveineuse.

Jamais à court d’imagination, les médecins ont également baptisé le syndrome de Popeye, « syndrome des gants de boxe », ou encore plus simplement « syndrome des grosses mains », tandis que les cliniciens anglophones ont opté pour Puffy hand syndrome, littéralement syndrome de la main boursoufflée.

Le syndrome de Popeye a été décrit pour la première fois en 1965 chez des détenus d’un centre pénitencier de New York qui présentaient des œdèmes bilatéraux du dos de la main après une période prolongée d’injections de drogue par voie intraveineuse.

Malgré son nom, ce syndrome n’a absolument rien de drôle dans la mesure où il peut apparaître plusieurs années après l’arrêt de la toxicomanie et persister définitivement après l’interruption des injections.

Comment expliquer la survenue de ce syndrome dans un contexte de toxicomanie ? La buprénorphine, molécule contenue dans le Subutex, est d’une part peu soluble. D’autre part, l’excipient contenu dans ce médicament (amidon de maïs) est également insoluble. L’hypothèse est que des microparticules finissent à la longue par se former et obstruer les vaisseaux lymphatiques, provoquant des œdèmes volumineux.

Il n’existe pas de traitement spécifique du syndrome de Popeye. Une diminution du volume de l’œdème peut toutefois être obtenue grâce au port de bandages peu élastiques mais également de bandages nocturnes, de drainages lymphatiques manuels et de soins de peau (hydratation).

A celles et ceux qui se poseraient la question, une recherche dans les bases de données bibliographiques médicales n’a pas permis d’identifier de syndrome de Tarzan, de Mickey ou de Donald. En revanche, les syndromes de Peter Pan, d’Alice aux Pays des Merveilles (Alice in Wonderland Syndrome, AIWS), de Rapunzel (Raiponce) existent bel et bien.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)

Pour en savoir plus :

Békaert J, Podevin G. Psychopathologie des mésusages du Subutex® : le syndrome de Popeye. L’Encéphale. 2015 Jun;41(3):229-37.

La buprénorphine à haut dosage : mésusage et détournements d’usage. Académie de Médecine. 30 juin 2015.

Messikh R, Pelletier F, Bizouard N, Aubin F, Humbert P. Syndrome des «grosses mains» des toxicomanes. Lymphoedème chronique et toxicomanie intraveineuse au long cours. Ann Dermatol Venereol. 2009 Oct;136(10):756-8.

Arrault M, Gaouar F, Vignes S. Le syndrome des grosses mains. Rev Med Interne. 2009 May;30(5):460-4.

Arrault M, Vignes S. Syndrome des « grosses mains » des toxicomanes : intérêt des bandages peu élastiques. Ann Dermatol Venereol. 2006 Oct;133(10):769-72.

Simonnet N, Marcantoni N, Simonnet L, Griffon C, Chakfe N, Wertheimer J, Stephan D. Volumineux œdèmes des mains chez des patients toxicomanes intraveineux au long cours. J Mal Vasc. 2004 Oct;29(4):201-4. 

Abeles H. Puffy hand sign of drug addiction. N Engl J Med 1965; 273:1167.

Il va chez le dentiste et perd la mémoire. Depuis, pour lui, c’est un jour sans fin

© Thomas J. Bormann DDS

Pour William, tout s’est arrêté il y a dix ans, très précisément à 13h40, le 14 mars 2005. Ce jour-là, ce militaire britannique de 38 ans, en poste en Allemagne, débute sa journée par une séance de volleyball, puis se rend à son bureau pour consulter ses emails, avant de se rendre chez son dentiste pour une intervention chirurgicale sous anesthésie locale, un traitement radiculaire visant à retirer un filet nerveux de la pulpe d’une dent qui lui fait mal (« dévitalisation »).

Il ressortira du cabinet dentaire totalement amnésique, incapable de garder en mémoire tout ce que s’est passé depuis. A partir de ce jour, il se lève chaque matin en pensant qu’il a un rendez-vous chez le dentiste ! Une situation qui rappelle celle vécue par le journaliste de télévision Phil Connors (Bill Murray) dans le film Un jour sans fin (1993).

Rien n’aurait pu laisser présager que cet homme, sans antécédent psychiatrique et ne souffrant d’aucun trouble psychologique ou affection neurologique, développe ce que les neurologues appellent une profonde amnésie antérograde, autrement dit qu’il ne puisse plus fixer de nouveaux souvenirs, qu’ils soient survenus une seule fois ou qu’ils se répètent.

Son amnésie est survenue quelques jours après avoir assisté en Grande-Bretagne aux funérailles de son grand-père mort de complications liés à une forme de démence. Bien qu’il ait été proche de lui, il semble difficile selon les auteurs d’attribuer l’amnésie de William à un choc émotionnel dans la mesure où ce type de trouble ne ressemble pas à une amnésie psychogène, qui implique une période de stress aigu et se traduit par une amnésie rétrograde (oubli d’une partie de son propre passé afin d’oublier un évènement traumatisant) plutôt que par une amnésie antérograde.

William est bien noté par sa hiérarchie, apparaît comme un bon père et un bon mari. Il s’est marié à 22 ans et a eu deux enfants. Cet homme « sans histoire » va pourtant subitement devenir un homme sans mémoire.

Anesthésie locale

Juste avant de procéder au traitement radiculaire sur sa dent, le dentiste lui injecte un anesthésique local. Le patient porte des lunettes à verres teintés, ce qui ne permet pas de bien se rendre compte de son état de conscience. La dent est dévitalisée. L’opération prend fin à 14h30.

C’est alors que le dentiste remarque que son patient est pâle, faible, et qu’il ne peut pas se redresser lorsque qu’il relève le siège sur lequel William était allongé. Son patient est visiblement « dans les vapes » et parle au ralenti. Le dentiste pense alors à un malaise vagal, lui donne du sucre et le met sous oxygène haut débit. Mais rien n’y fait. Son état de conscience demeure inchangé.

Il est alors conduit par ambulance aux urgences à l’hôpital. Il y restera trois jours. C’est alors que les médecins constatent qu’il ne peut retenir quoi que ce soit après un délai de 10 minutes. Il n’imprime rien passé ce laps de temps.

Pour le dire autrement, tout se passe comme s’il était à cours d’encre pour inscrire la moindre trace mnésique dans son cerveau. Il n’a plus aucune mémoire après une dizaine de minutes. Son état s’améliorera par la suite. Il sera alors capable de garder un souvenir pendant 90 minutes… Sa mémoire s’efface donc au bout d’une heure et demie. Dix ans après, c’est dans ce même état qu’il demeure.

Les symptômes présentés par William font craindre la survenue d’un effet secondaire atypique après injection de l’anesthésique, notamment d’une hémorragie cérébrale. Mais tous les examens d’imagerie cérébrale (scanner, IRM, tomographie d’émission monophotonique TEMP) sont normaux. De même que l’électroencéphalogramme, qui ne montre pas d’anomalies, en particulier aucune activité anomale permettant de détecter une forme d’épilepsie. Il n’y a donc rien qui puisse expliquer la présence et l’ampleur de son amnésie.

Les mois passent, sans aucun signe d’amélioration. De retour en Grande-Bretagne, le militaire emménage avec sa famille dans la maison de son enfance que sa mère lui a laissée. William la reconnaît, de même que les alentours, ce qui l’aide à s’orienter et à s’adapter à sa nouvelle vie. Pourtant, chaque matin, il est toujours aussi surpris de se réveiller dans la maison de sa mère. Il croie toujours être militaire, basé à l’étranger. Chaque jour, il pense qu’il doit se rendre à un rendez-vous chez le dentiste.

Amnésie antérograde

Chaque matin, il doit consulter son ordinateur pour prendre connaissance des notes que sa femme lui a laissées, notamment certains évènements survenus depuis mars 2005. William continue en effet à manifester une réelle surprise ou à montrer son étonnement lorsqu’il apprend que des amis à lui se sont mariés ou que le chien de la famille est mort.  

Il parvient à se débrouiller également dans la vie de tous les jours… en utilisant constamment les notes inscrites par sa femme sur un fichier spécial dans son smartphone. En effet, même s’il sait qui il est et sait qu’il a une famille, William pense toujours qu’il a l’âge qu’il avait en mars 2005. Au point, qu’il a dû mentionner par écrit l’actuel niveau d’études de ses enfants aujourd’hui âgés de 21 et 18 ans et noter le nouveau métier de sa femme.

Les médecins qui l’ont examiné durant tout ce temps doivent, à chaque début de consultation, se présenter à lui comme si cela était la première fois qu’il les voyait et lui expliquer, pour la énième fois, qu’il devra de soumettre à une batterie de tests neuropsychologiques pour évaluer l’état de sa mémoire et donc le degré de son amnésie antérograde.

Lorsqu’on demande à Monsieur W.O (initiales du patient) ce qui s’est passé depuis mars 2005, il compte sur sa femme pour répondre si cela n’est pas inscrit dans le bloc-notes de son smartphone ou qu’il n’y a pas jeté un œil une heure avant. Il lui arrive alors de dire « Je sais que j’ai un problème de mémoire », ou « Je pense qu’on est en mars 2005, alors que ce n’est pas le cas ».

Il n’a cependant en rien perdu la notion du temps, notamment l’utilité d’une montre ou d’un calendrier qui l’aide à s’orienter. Sa personnalité n’a pas changé. Ses capacités intellectuelles sont intactes, de même que ses capacités motrices, notamment pour exécuter certaines tâches, comme reproduire au crayon une figure géométrique complexe.

Toujours marié, père aimant, il semble tout à fait impossible qu’il simule son état ou qu’il exagère sciemment ses difficultés, car il ne tire à l’évidence aucun avantage de sa condition.

Les examens neuropsychologiques montrent qu’il est possible d’allonger le temps de mémorisation de William en lui demandant au bout d’une demi-heure, avant donc que se termine la période de mémorisation de 90 minutes, de revenir sur un point précis (un objet, un mot). Ce petit artifice suffit à prolonger la phase de mémorisation d’une vingtaine de minutes, la perte totale de mémoire intervenant alors après 110 minutes.

L’ensemble des tests a montré que la répétition d’un même exercice de mémorisation d’un jour sur l’autre ne s’accompagne pas de meilleurs résultats. William n’apprend rien  des exercices précédents. Il bute sur les mêmes choses et refait même le lendemain les mêmes erreurs que la veille. Il ne progresse pas, se comportant éternellement comme un débutant.

Amnésie rétrograde

A cette incapacité à mémoriser des faits nouveaux s’ajoute une légère amnésie rétrograde, autrement dit des difficultés à se souvenir de certains événements survenus avant le début de son amnésie. Ce vétéran de la première Guerre du Golfe se rappelle avec force détails des événements mondiaux qui ont conduit à ce conflit et de l’assaut au sol qui a commencé en mars 2003, soit deux ans avant le début de son amnésie.

Sa mémoire comporte cependant quelques trous pour des faits survenus entre 2001 et 2004. Il se souvient par exemple qu’un tsunami a eu lieu en Asie du Sud-Est (en décembre 2004), allant même jusqu’à préciser avoir participé à une collecte de dons (début 2005).

Il apparaît donc que sa mémoire est plus vivace lorsqu’elle concerne des éléments autobiographiques que des événements qui ne l’ont pas touché directement. Son dernier souvenir ? Le moment où le dentiste lui injecte le produit anesthésique et commence le fraisage avant d’aborder le canal pulpaire de la dent !

Contrairement à ce que l’on observe chez tous les sujets présentant une amnésie antérograde, William va pourtant parvenir à mémoriser deux nouveaux évènements, deux faits survenus après le début de sa perte complète de mémoire. Alors qu’il participe à titre expérimental à un essai de 12 semaines d’un inhibiteur de cholinestérase (médicament utilisé dans la maladie d’Alzheimer), il se montre capable de reconnaître la photo d’un bébé… plus de 24 heures après l’avoir vue. Bien plus longtemps donc que les 90 minutes habituelles.

Surtout, il a définitivement retenu le fait que son père était décédé en 2005, évènement survenu après le début de son amnésie. William ne se souvient pas de son père mourant, au chevet duquel il est pourtant resté toute une journée, mais a parfaitement intégré dans sa mémoire le fait qu’il est mort.

Gerald Burgess du département de psychologie clinique de l’Université de Leicester (Royaume-Uni) qui rapporte, en collaboration avec un collègue psychiatre, cet incroyable cas clinique dans la revue Neurocase, a évidemment recherché des cas similaires dans la littérature médicale. Il en a trouvé quatre autres pour lesquels l’amnésie antérograde est survenue sans que l’on puisse détecter à l’imagerie cérébrale la moindre lésion, en particulier une atteinte bilatérale de l’hippocampe, structure cérébrale impliquée dans la formation de la mémoire à long terme.

Chez ces cinq patients, tout se passe donc comme si la mémoire s’était vaporée au bout d’un court laps de temps, qu’elle n’avait pas eu le temps d’être gravée. De fait, la trace mnésique n’était vivace que 5 petites minutes dans un cas et parvenait à se maintenir jusqu’à 13 jours avant de complètement disparaître chez un autre amnésique.

Ces quatre cas concernent des patients de 24, 29, 30 et 51 ans. Trois d’entre eux avaient été victimes d’un traumatisme de la colonne vertébrale, en l’occurrence d’un traumatisme thoracique et cervical ou encore d’une lésion au niveau du cou lors d’un accident de voiture.

Les auteurs font cependant remarquer, sans savoir s’il pourrait y avoir un lien, que William avait été blessé en 1989 au coccyx et continuait à ressentir des douleurs dans le bas du dos. Il avait consulté à ce sujet son médecin généraliste en février 2005, un mois avant le début de sa perte de mémoire.

Son amnésie ne ressemble pas à l’oubli accéléré que l’on observe chez certains patients atteints d’épilepsie du lobe temporal. Chez eux, contrairement à William, la perte de la trace mnésique survient après plusieurs jours ou semaines, et non au bout de quelques minutes. De plus, William n’a jamais fait de crises d’épilepsie et son électroencéphalogramme a toujours été normal. Son amnésie s’est accompagnée d’acouphènes persistants, autrement dit de bruits perçus sans cause extérieure.

Hypothèses

Mais alors de quoi souffre William ? Se pourrait-il que l’anesthésie locale au cabinet dentaire ait « réveillé » une anomalie congénitale latente ? Est-il atteint d’une affection métabolique cérébrale de révélation tardive à l’âge adulte ? Y aurait-il un lien quelconque avec le fait que participant à une séance d’hypnose quand il avait une trentaine d’années il lui avait fallu attendre le lendemain pour récupérer un niveau de conscience normale ?

Les auteurs de la publication continuent, dix ans après, de s’interroger sur la nature précise de son trouble. Et de faire l’hypothèse que leur patient pourrait présenter un blocage de la synthèse de certaines protéines et ARN messagers impliqués dans le processus de consolidation de la mémoire, du stade intermédiaire au stade long terme. Il a été montré que ces mécanismes moléculaires interviennent lors des changements microscopiques structuraux au niveau des synapses (points de contact entre neurones) qui accompagnent la persistance des traces mnésiques. Chez ces patients, l’anomalie pourrait se situer au niveau cellulaire, aurait des conséquences métaboliques, mais ne serait pas décelable sur les examens actuels d’imagerie cérébrale.

Selon les auteurs, le type d’amnésie antérograde d’apparition soudaine dont souffrent les cinq patients répertoriés (dont William) ne correspond à aucun trouble neurologique ou psychiatrique connu, et ne rentre pas dans une catégorie diagnostique définie. Son mécanisme apparaît différent de ceux intervenant dans d’autres types d’amnésie.

Plus d’un an après avoir relaté dans un long billet l’extraordinaire amnésie rétrograde d’Hervé Molaison, le fameux patient canadien baptisé H.M. dans toutes les publications qui lui ont été consacrées, je m’en serais voulu d’avoir oublié de vous parler aujourd’hui du désormais célèbre patient W.O. !

En tout cas, je me souviendrai de lui lors de ma prochaine visite chez le dentiste. Et vous ?

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)

Pour en savoir plus :

Burgess GH, Chadalavada B. Profound anterograde amnesia following routine anesthetic and dental procedure: a new classification of amnesia characterized by intermediate-to-late-stage consolidation failure? Neurocase. 2015 May 15:1-11.

Manning L, Voltzenlogel V, Chassagnon S, Hirsch E, Kehrli P, Maitrot D. Déficit sélectif de la mémoire des faits publics associé à un oubli accéléré chez un patient atteint d’épilepsie du lobe temporal gauche. Rev Neurol (Paris). 2006 Feb;162(2):222-8.

Bekinschtein P, Cammarota M, Igaz LM, Bevilaqua LR, Izquierdo I, Medina JH. Persistence of long-term memory storage requires a late protein synthesis- and BDNF- dependent phase in the hippocampus. Neuron. 2007 Jan 18;53(2):261-77.

Luft AR, Buitrago MM, Ringer T, Dichgans J, Schulz JB. Motor skill learning depends on protein synthesis in motor cortex after training. J Neurosci. 2004 Jul 21;24(29):6515-20.

Igaz LM, Vianna MR, Medina JH, Izquierdo I. Two time periods of hippocampal mRNA synthesis are required for memory consolidation of fear-motivated learning. J Neurosci. 2002 Aug 1;22(15):6781-9.

Pour en savoir plus sur les produits administrés : Citanest with Octapressin.

Pour en savoir plus sur la synthèse d’ARNm et de protéines associées à la plasticité synaptique et à la consolidation de la mémoire :

Ozawa T, Yamada K, Ichitani Y. Differential requirements of hippocampal de novo protein and mRNA synthesis in two long-term spatial memory tests: Spontaneous place recognition and delay-interposed radial maze performance in rats.  PLoS One. 2017 Feb 8;12(2):e0171629. doi: 10.1371/journal.pone.0171629

Li L, Sanchez CP, Slaughter BD, Zhao Y, Khan MR, Unruh JR, Rubinstein B, Si K. A Putative Biochemical Engram of Long-Term Memory. Curr Biol. 2016 Dec 5;26(23):3143-3156. doi: 10.1016/j.cub.2016.09.054

Fioriti L, Myers C, Huang YY, Li X, Stephan JS, Trifilieff P, Colnaghi L, Kosmidis S, Drisaldi B, Pavlopoulos E, Kandel ER. The Persistence of Hippocampal-Based Memory Requires Protein Synthesis Mediated by the Prion-like Protein CPEB3. Neuron. 2015 Jun 17;86(6):1433-48. doi: 10.1016/j.neuron.2015.05.021

Rosenberg T, Gal-Ben-Ari S, Dieterich DC, Kreutz MR, Ziv NE, Gundelfinger ED, Rosenblum K. The roles of protein expression in synaptic plasticity and memory consolidation. Front Mol Neurosci. 2014 Nov 12;7:86. doi: 10.3389/fnmol.2014.00086

Griggs EM, Young EJ, Rumbaugh G, Miller CA. MicroRNA-182 regulates amygdala-dependent memory formation. J Neurosci. 2013 Jan 23;33(4):1734-40. doi: 10.1523/JNEUROSCI.2873-12.2013

Costa-Mattioli M, Sossin WS, Klann E, Sonenberg N. Translational control of long-lasting synaptic plasticity and memory. Neuron. 2009 Jan 15;61(1):10-26. doi: 10.1016/j.neuron.2008.10.055

Da Silva WC, Bonini JS, Bevilaqua LR, Medina JH, Izquierdo I, Cammarota M. Inhibition of mRNA synthesis in the hippocampus impairs consolidation and reconsolidation of spatial memory. Hippocampus. 2008;18: 29–39. doi: 10.1002/hipo.20362

Bekinschtein P, Cammarota M, Igaz LM, Bevilaqua LR, Izquierdo I, Medina JH. Persistence of long-term memory storage requires a late protein synthesis- and BDNF- dependent phase in the hippocampus. Neuron. 2007 Jan 18;53(2):261-77. doi: 10.1016/j.neuron.2006.11.025

Morris RG, Inglis J, Ainge JA, Olverman HJ, Tulloch J, Dudai Y, et al. Memory reconsolidation: sensitivity of spatial memory to inhibition of protein synthesis in dorsal hippocampus during encoding and retrieval. Neuron. 2006;50: 479–489. doi: 10.1016/j.neuron.2006.04.012

Meiri N, Rosenblum K. Lateral ventricle injection of the protein synthesis inhibitor anisomycin impairs long-term memory in a spatial memory task. Brain Res. 1998; 789: 48–55.

Pour en savoir plus sur l’amnésie antérograde profonde et l’oubli accéléré :

Burgess GH, Chadalavada B. Profound anterograde amnesia following routine anesthetic and dental procedure: a new classification of amnesia characterized by intermediate-to-late-stage consolidation failure? Neurocase. 2015 May 15:1-11. doi: 10.1080/13554794.2015.1046885

Manning L, Voltzenlogel V, Chassagnon S, Hirsch E, Kehrli P, Maitrot D. Déficit sélectif de la mémoire des faits publics associé à un oubli accéléré chez un patient atteint d’épilepsie du lobe temporal gauche. Rev Neurol (Paris). 2006 Feb;162(2):222-8.

Pour en savoir plus sur l’amnésie antérograde au cinéma : 

Un jour sans fin, de Harold Ramis (1993)
Mémento, de Christopher Nolan (2000)
50 First Dates, de Peter Segal (2004)

Manger du thon ou courir, il faut choisir

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« Toujours prêt, le thon : c’est bon ! ». Tel était le slogan d’une publicité télévisée dans les années 1975. C’est aussi ce que pense une jeune femme de 33 ans. Sportive, elle a pour habitude d’en manger avant de courir. Rien que de très banal pour faire le plein d’énergie avant une séance de jogging. Sauf que, dans son cas, cela aurait pu un jour très mal se terminer. Elle a en effet présenté, à cinq reprises, une anaphylaxie alimentaire induite par l’effort (AAIE), une forme particulière d’allergie alimentaire dont les symptômes surviennent au cours d’un effort physique qui lui-même suit l’ingestion d’un aliment particulier. En revanche, chez cette même personne, l’ingestion de l’aliment en question et la pratique de l’activité physique ne provoque aucun symptôme. 

Ce cas clinique est rapporté par des allergologues français dans un article paru en ligne le 25 juin 2015 dans la Revue Française d’Allergologie. La patiente indique avoir ressenti, au moment où elle courait, des démangeaisons au niveau des paumes de la main et de la plante des pieds. Ce prurit a rapidement été suivi d’un gonflement du visage (œdème facial) avec sensation de brûlure ainsi que de démangeaisons un peu partout (prurit généralisé).

Anaphylaxie

Ces symptômes traduisent une réaction allergique sévère, ce que les spécialistes appellent une anaphylaxie. Cela s’est produit une fois à l’échauffement, lors d’une marche rapide. Dans un cas, la jeune femme,  avait mangé du thon en boîte avant de courir. Une autre fois, elle avait pris une conserve de thon à l’huile. En une autre occasion, elle avait consommé du thon cuisiné, semi-cuit. La dernière fois que ces symptômes sont survenus, elle venait de déguster un poisson blanc cuit au four. A chaque fois, cette jeune femme d’origine italienne, en bonne santé, avait couru trois à quatre heures après le repas. Le reste du temps, lorsqu’elle mangeait du poisson, elle ne rencontrait aucun problème.

Les tests allergologiques ont révélé la présence dans le sang d’anticorps (immunoglobulines E) spécifiques d’allergènes de thon et, dans une moindre mesure, de cabillaud. Afin de diagnostiquer sans équivoque une anaphylaxie d’effort induite par le thon, les médecins ont proposé à la patiente de participer à un test d’effort pour provoquer, sous strict contrôle médical, les manifestations allergiques après ingestion de l’aliment incriminé. Ils ont essuyé un refus de la patiente de participer à cet « exercice réaliste » avant et après consommation de thon, la jeune femme déclarant ne pas trouver le temps pour une journée d’hospitalisation. Elle s’y opposa aussi par crainte de ressentir les mêmes symptômes fort désagréables.

En conséquence, les allergologues lui ont demandé d’éviter dorénavant la consommation de thon ou d’autres poissons trois à cinq heures avant la pratique d’un effort physique. Ils lui ont également déconseillé de prendre des médicaments comme de l’aspirine, des anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS), avant d’entreprendre une activité sportive, ces produits jouant un rôle aggravant dans la survenue d’une anaphylaxie.

Au total, le diagnostic retenu par les médecins est celui d’une anaphylaxie d’effort induite par le thon, associée à une sensibilité au cabillaud. « C’est pourquoi nous recommandons de considérer le thon frais et en boite, ainsi que le cabillaud, comme des aliments inducteurs d’anaphylaxie induite par l’effort », concluent les auteurs, allergologues à Paris et à Vanves.

La patiente est sortie de sa consultation à l’hôpital avec une ordonnance prescrivant une trousse d’urgence contenant un antihistaminique, un corticoïde et deux dispositifs auto-injecteurs d’adrénaline. Chaque fois qu’elle pratique une activité sportive, elle sait désormais que poisson rime avec poison.

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Pas de thon avant un marathon

En 1979, des allergologues ont rapporté le cas d’un marathonien qui souffrait d’allergie uniquement pendant l’entrainement lorsqu’il consommait des crustacés. En 1983, trois cas cliniques d’anaphylaxie alimentaire induite par l’effort (AAIE) et déclenchée par la prise de céleri ont été publiés.

L’AAIE est une affection rare. Une étude épidémiologique japonaise portant sur 76 247 étudiants a montré la présence d’une AAIE chez 1,7 personne sur 1 000.

Environ 7 % à 9 % de la totalité des cas d’anaphylaxie correspondent à une anaphylaxie induite par l’effort (AIE). Parmi eux, l’AAIE ne représente qu’un tiers des cas d’AIE.

Les sports les plus à risque sont la course à pied ou le jogging (69 % à 78 % des cas), la marche (30 % à 42 %), la natation (15 %), le ski (6 %), le basket-ball (4 %), le tennis, le vélo.

Les crustacés et la farine de blé sont les deux aliments les plus fréquemment en cause dans la survenue d’une AAIE.

D’autres aliments ont également été incriminés tels que le céleri, la pêche, la tomate, le raisin, l’oignon, la pomme, les fruits à coque, le kiwi, le poulet, l’escargot, la graine de pavot, le maïs, les lentilles.

La quantité de l’aliment ingéré avant l’effort a une influence sur la survenue et l’intensité des symptômes. Chez certains patients, la survenue de ces crises allergiques peut être favorisée par un temps chaud, humide, ou au contraire par un environnement froid.

Certains médicaments (aspirine, AINS) augmenteraient la sévérité de l’anaphylaxie en augmentant la perméabilité du tube digestif à l’allergène, et donc son absorption, en même temps qu’ils favoriseraient la libération d’histamine, médiateur chimique responsable des symptômes allergiques. La patiente de 33 ans décrite dans le cas clinique ne prenait aucun traitement, en dehors d’une contraception orale.

Anaphylaxie alimentaire induite par l’effort

Les mécanismes précis conduisant à la survenue d’une AAIE ne sont pas connus. Un élément déclencheur, de nature encore inconnue, mais indubitablement lié à l’exercice physique, induit la libération par certaines cellules (mastocytes) de médiateurs chimiques (dont l’histamine) responsables des symptômes allergiques.

Les manifestations cliniques de l’AAIE surviennent une à quinze minutes après le début de l’activité sportive. Le symptôme le plus fréquent est un prurit généralisé (démangeaisons), qui s’accompagne d’une urticaire (éruption cutanée avec des plaques rouges ou en relief d’une taille d’environ 1 cm). Ces lésions peuvent se regrouper et évoluer vers un gonflement rapide de la peau du visage, des paumes des mains et des plantes des pieds (angio-œdème). La personne a souvent des vertiges et des maux de tête. Une sensation d’oppression thoracique, des difficultés à respirer, une toux, constituent également des symptômes habituels, de même que des douleurs abdominales, des nausées, de la diarrhée.

Les allergologues français qui rapportent ce cas clinique ne précisent pas la durée des symptômes allergiques de leur patiente. Cependant, d’autres observations indiquent que ceux-ci persistent généralement entre 30 minutes à quatre heures. La personne peut perdre connaissance et faire un choc anaphylactique, la manifestation la plus grave d’une réaction allergique, potentiellement mortelle, caractérisée par sa rapidité d’installation (difficultés respiratoires, hypotension).

Au total, l’anaphylaxie alimentaire induite par l’effort est une pathologie rare et déroutante. Il importe de porter le diagnostic car l’AAIE peut avoir des conséquences dramatiques pour la personne qui pratique une activité physique, alors même qu’elle survient dans des circonstances tout à fait banales.

 
Pour en savoir plus :

Dandolo A, Sanmiguel M, Branellec A. Cas clinique : anaphylaxie d’effort induite par la consommation de thon. Rev Fr Allergol. Available online 25 June 2015.

Dahalqvist, Pirson F. Anaphylaxie induite par l’exercice physique. Rev Fr Allergol. 2011; 51:414-8.

Beaudouin E. Anaphylaxie alimentaire induite par l’effort : épidémiologie et aspects cliniques. Rev Fr Allergol. 2011;50 :184-7.

Beaudouin E, Renaudin JM, Morisset M, Codreanu F, Kanny G, Moneret-Vautrin DA. Food-dependent exercise-induced anaphylaxis–update and current data. Eur Ann Allergy Clin Immunol. 2006 Feb;38(2):45-51.

Sur le web:

Anaphylaxie induite par l’exercice physique et l’ingestion d’aliments : de la physiopathologie à la prise en charge (lamedecinedusport.com)