Génétique : histoires incroyables de chimères humaines naturelles (1ère partie)

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C’est l’histoire d’une Chinoise de 34 ans qui consulte pour une amniocentèse à 19 semaines d’aménorrhée. Elle en est à sa cinquième grossesse, les précédentes ayant abouti à un enfant en bonne santé, une interruption volontaire de grossesse et deux fausses couches.

Les deux premières échographies réalisées pour cette grossesse ont montré la présence d’un embryon viable ainsi qu’une zone dans la cavité utérine qui ne renvoie pas les ultrasons, ce qui pourrait correspondre à la présence d’un embryon mort (du fait d’une grossesse qui se serait interrompue) ou à une accumulation de liquide. Une troisième échographie, réalisée à la 12e semaine de grossesse, montre la présence d’un seul fœtus vivant.

Lors de l’amniocentèse, 22 mL de liquide amniotique sont prélevés et placés dans six tubes. Les tubes sont conservés au réfrigérateur, entre 2° C et 8° C. Deux autres tubes de 5 ml vont servir à déterminer le nombre et la forme des chromosomes du fœtus et établir ce que l’on appelle le caryotype.

Deux autres tubes de 3 mL sont utilisés pour une analyse d’éventuels déséquilibres du génome, appelés variations du nombre de copies (CNV). Il s’agit de déterminer s’il existe des pertes ou des doublons de matériel génétique, autrement dit des délétions ou des duplications de régions du génome. Il s’agit également d’amplifier par PCR des séquences hautement polymorphes de l’ADN, appelées STR (short tandem repeats), afin de mieux les analyser. Ces marqueurs STR, également appelés microsatellites, sont positionnés à intervalles réguliers dans le génome. À chaque emplacement analysé, on s’attend à trouver un allèle STR provenant du père, un autre de la mère.

Le caryotype obtenu par l’analyse des cellules fœtales du prélèvement amniotique est normal : 46, XY, ce qui signifie que l’enfant possède 46 chromosomes, dont un chromosome X et un chromosome Y. C’est donc un garçon. De même, l’analyse des variations CNV ne détecte pas de déséquilibres du génome.

Malgré tout, certains résultats intriguent bigrement les généticiens. En effet, l’analyse des marqueurs STR diffère entre les deux tubes analysés.

Un profil ADN est déterminé par l’analyse de plusieurs marqueurs STR. Dans un test de paternité, l’analyse cherche les correspondances entre les allèles du père présumé et ceux de l’enfant. De même, un test de maternité est concluant lorsque les allèles maternels sont présents dans le génome de l’enfant. Celui-ci doit en effet recevoir un allèle STR de sa mère et de son père à chacun des emplacements analysés dans son génome. En d’autres termes, on ne peut conclure à une relation de filiation que lorsque l’analyse STR de l’enfant correspond à celle du père et de la mère à quasiment tous les emplacements analysés.

Or, les chercheurs n’observent dans le premier prélèvement une correspondance des allèles maternels et paternels que pour 11 des 20 marqueurs STR analysés. Dans les 9 autres emplacements STR, on ne retrouve qu’un seul allèle. De même, dans le deuxième prélèvement, les deux allèles des parents ne sont identifiés que dans seulement 13 des 20 marqueurs STR, les 7 autres ne comportent qu’un seul allèle. Les résultats du profil STR effectué à partir de ces deux prélèvements devraient pourtant être rigoureusement identiques dans la mesure où les échantillons proviennent du même enfant.

La première réaction des biologistes est d’évoquer une mauvaise manipulation des tubes, un des tubes devant provenir d’un autre enfant. Mais après avoir examiné les prélèvements, il s’avère qu’il n’y a pas eu de mauvais étiquetage.

Une analyse des marqueurs STR est alors réalisée sur les deux tubes conservés au réfrigérateur. Là encore, les résultats diffèrent entre les tubes. Un tube correspond aux résultats du premier échantillon, tandis que l’autre donne les mêmes résultats que ceux obtenus sur le second prélèvement. Le personnel du laboratoire décide alors de réanalyser le génome des parents à partir de nouveaux prélèvements sanguins.

Après comparaison des allèles STR des membres de la famille, les résultats montrent que certains allèles du premier et du second échantillon de liquide amniotique proviennent soit de la mère, soit du père, comme on s’y attendait. En revanche, dans ces deux échantillons, certains allèles STR fœtaux ne proviennent ni de sa mère, ni de son père, mais de deux sources complètement différentes.

Au total, l’analyse des marqueurs STR montre donc que les allèles présents dans les deux prélèvements analysés proviennent de la mère, du père, mais également de deux autres individus totalement différents. Ce qui signifie que l’on retrouve dans un même fœtus quatre origines génétiques différentes.

Mais comment l’analyse des marqueurs STR de deux échantillons de liquide amniotique, prélevés à moins d’une minute d’intervalle à partir d’un même point de ponction, peut-elle entraîner des résultats aussi divergents, alors même que deux autres examens génétiques (caryotype et détection des CNV) ne montrent aucune anomalie ?

Souvenez-vous, deux échographies réalisées en début de grossesse avaient mis en évidence ce qui pouvait être une seconde grossesse interrompue. Le fœtus viable a donc poursuivi sa croissance tandis que son jumeau n’a pas eu cette chance et est mort in utero.

Cette femme a donné naissance, à terme, à un enfant normal d’un poids de 3,3 kg.

Les chercheurs pensent que le fœtus viable est le résultat de la fusion de deux embryons (chacun de formule chromosomique normale 46,XY) à un stade très précoce de leur développement. Ceci se produit lorsque deux ovules sont fécondés par deux spermatozoïdes, puis lorsque ces deux œufs fécondés (zygotes) fusionnent en un seul embryon.

Chimérisme tétragamétique

Du fait que la fusion de cellules provenant de deux embryons implique la participation de quatre gamètes (deux ovocytes et deux spermatozoïdes), ce type de chimérisme est appelé tétragamétique (ou parfois dispermique).

Ce cas exceptionnel de chimérisme tétragamétique, issu de la fusion de deux embryons 46,XY, a été rapporté le 12 février 2024 dans la revue en ligne BMC Pregnancy and Childbirth par des chercheurs du département de génétique médicale et du centre de diagnostic prénatal de l’université du Sichuan à Chengdu (province du Sichuan). L’enfant, dont la naissance est rapportée dans l’article, provient donc d’un embryon issu de la fusion précoce de deux œufs fécondés différents et composé d’un mélange de deux lignées cellulaires génétiquement distinctes.

Le chimérisme tétragamétique est rare. Il ne concerne pas seulement l’espèce humaine, mais a également été décrit chez la souris, le chat, le bélier, le vison, le cheval, la chèvre.

Cependant, la plupart des cas humains de chimérisme restent méconnus. Comme dans le cas évoqué ci-dessus, il arrive qu’un des jumeaux meure et disparaisse ou qu’il soit englobé dans l’autre, partiellement ou totalement, avec pour conséquence qu’une grossesse initialement gémellaire devienne une grossesse unique. Ce phénomène, qu’on appelle le syndrome du jumeau perdu ou du jumeau évanescent (vanishing twin syndrome, en anglais), survient au cours du premier trimestre de la grossesse. Il surviendrait dans 36 % des grossesses gémellaires et dans la moitié des grossesses comportant trois embryons ou plus.

Dans ce cas, le chimérisme résulte du fait que le fœtus survivant absorbe le fœtus mort. Ce phénomène est donc défini par le fait qu’un organisme est composé de deux populations de cellules génétiquement distinctes après que les deux embryons ont fusionné précocement au cours de leur développement.

Le chimérisme a plus de chance d’être découvert quand la fusion survient entre un embryon de formule chromosomique XY (mâle) et un embryon XX (femelle) qu’en cas de fusion entre deux embryons de même sexe. En effet, l’enfant peut alors présenter des anomalies des organes génitaux externes.

Des anomalies chromosomiques (présence de certains chromosomes supplémentaires, comme le 21 ou Y) ont été décrites chez des individus présentant un chimérisme. Rien de tel n’a été observé par les chercheurs chinois. Il est donc théoriquement possible que l’enfant, né à terme, ne développera pas d’anomalie morphologique d’origine chromosomique après la naissance. Les nombreuses échographies anténatales n’avaient rien montré de suspect. À ce jour, le suivi de cet enfant n’a d’ailleurs pas montré d’anomalie.

L’observation des chercheurs chinois souligne à quel point le chimérisme peut produire de curieux résultats, source majeure de confusion en paternité. En la matière, un cas emblématique a été rapporté en 2023 par des chercheurs russes dans l’European Journal of Medical Genetics. L’histoire concerne un couple marié qui, cherchant à avoir un enfant, a contacté une clinique russe spécialisée dans les techniques de fécondation in vitro (FIV).

Les protagonistes sont une femme de 34 ans et un homme de 57 ans. La FIV reposait sur la technique d’injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde (ICSI), qui consiste à féconder en laboratoire l’ovule de la femme par l’injection directe d’un spermatozoïde.

Après fécondation, l’embryon a été implanté dans l’utérus d’une femme porteuse qui a accouché d’un petit garçon en bonne santé à l’été 2021. Ce couple étranger a alors contacté un laboratoire pour réaliser un test ADN de filiation, ce qui est une obligation légale en Russie pour qu’ils obtiennent la garde de l’enfant né à la suite d’une maternité « de substitution », mais également pour remplir les documents de voyage réclamés par l’ambassade afin que l’enfant puisse être ramené dans le pays d’origine des parents.

Pour conduire ce test de paternité, le laboratoire de génétique de Tver (nord-ouest de Moscou) va analyser l’ADN de l’enfant et de ses parents. Chez le bébé, un prélèvement buccal permet de collecter du matériel génétique, tandis que l’on prélève du sang des parents. Un échantillon de sperme du mari est également demandé à la clinique FIV pour analyse.

Les résultats du test de paternité déconcertent les techniciens. En effet, la comparaison des profils ADN du mari, de sa femme et de l’enfant montre que le profil STR du bébé ne comporte pas des combinaisons de gènes (allèles) devant pourtant obligatoirement être présents à six emplacements (loci). Il existe donc ce que l’on appelle une divergence de paternité. En d’autres termes, cet enfant n’a pu être engendré que par une autre personne que le mari de sa mère. Ainsi, si l’on en croit les résultats du laboratoire, l’homme censé être son père n’est pas son père biologique.

On rappelle que l’analyse STR consiste à comparer un grand nombre d’emplacements (loci) spécifiques dans l’ADN afin d’établir ou d’exclure un lien de paternité. Habituellement, une discordance sur trois loci est suffisante pour exclure un tel lien.

Au vu de ces résultats, on cherche à comprendre et l’on évoque une erreur de manipulation du sperme, un mélange d’échantillons de sperme. Une autre possibilité serait que le père soit une chimère tétragamétique. En d’autres termes, que le mari soit issu de la fusion de deux embryons provenant de deux fécondations séparées. Dans un tel cas, si des cellules des deux embryons contribuent à la formation des gamètes, des spermatozoïdes, génétiquement distincts, sont alors produits.

Afin de confirmer que le père de l’enfant est bien une chimère tétragamétique, et donc exclure toute erreur de la clinique FIV, des analyses génétiques supplémentaires sont entreprises. Il s’agit de déterminer le profil STR du mari afin de comprendre la répartition du chimérisme dans les différents tissus de son organisme.

Des prises de sang et des prélèvements buccaux, de sperme, de cheveux avec leurs follicules, des coupures d’ongles et de cérumen du mari sont collectés aux fins d’analyse STR. Les résultats sont sans appel : tous ces échantillons comportent un mélange de profils STR différents, ce qui atteste de la présence de deux lignées cellulaires génétiquement distinctes chez cet homme. Par ailleurs, les résultats du profil STR se basant uniquement sur le chromosome Y confirment que l’ADN de tous les échantillons testés proviennent bien du même homme.

Le père porte en lui l’ADN de son frère jumeau

Le père du bébé est une chimère tétragamétique. L’embryon dont il est issu a fusionné avec son jumeau, mort in utero. Le père renferme en lui son jumeau de même sexe qu’il n’a jamais connu, puisque mort avant de naître.

Cet homme est donc porteur de deux ADN différents, autrement dit de deux génomes. Alors qu’un premier génome avait été détecté dans le sang, l’analyse STR des échantillons de sang, de sperme et d’autres tissus de ce même individu a conduit à la découverte de la présence d’un second génome dans son organisme. Ce sont donc ces multiples prélèvements cellulaires provenant du mari qui ont permis de confirmer qu’il était une chimère et prouver qu’il était bien le père biologique de l’enfant. Celui-ci a été conçu avec un spermatozoïde dont l’ADN était celui du second génome de son père.

Ces résultats ayant permis de lever le doute sur la filiation entre le père et son enfant, toute la famille a finalement été légalement autorisée à quitter la Russie et à regagner son pays d’origine. On imagine sans peine le drame familial qui en aurait résulté si la génétique n’avait pas permis un tel dénouement.

Comme le soulignent les généticiens russes, « c’est uniquement parce que l’enfant a été conçu par FIV que la divergence de paternité a fait l’objet d’une enquête plus approfondie et que le statut chimérique du père biologique a été révélé. Dans d’autres circonstances, un rapport d’exclusion de paternité aurait sans aucun doute été délivré. On peut donc craindre que de nombreuses exclusions de paternité seraient déclarées à tort alors qu’elles s’expliquent par un chimérisme congénital ». Et d’ajouter que dans la mesure où le chimérisme naturel pourrait affecter jusqu’à 10 % de la population, l’éventualité d’un possible chimérisme devrait toujours être présente à l’esprit du personnel des laboratoires réalisant des tests de paternité.

De la mythologie grecque à la génétique médicale

Statue de la Chimère d’Arezzo (bronze antique) @ Wikipedia

Dans la mythologie grecque, la chimère est une créature hybride, décrite pour la première fois par Homère dans l’Iliade. Doté d’une tête de lion, d’un corps de chèvre et d’une queue de serpent, le monstre crachait du feu et dévorait les humains. En biologie humaine et animale, une chimère est un individu ou un organisme au sein duquel coexistent deux ou plusieurs populations cellulaires dont les génomes sont différents et qui proviennent de deux ou plusieurs œufs fécondés (zygotes).

Ce chimérisme congénital diffère donc du chimérisme artificiel pouvant être acquis à la suite d’une transfusion sanguine, d’une greffe de moelle osseuse ou d’une transplantation allogénique de cellules souches hématopoïétiques (présentes dans la moelle osseuse d’un donneur et qui sont à l’origine de toutes les cellules du sang).

Il n’a également rien à voir avec le chimérisme partiel (micro-chimérisme) résultant de l’échange transplacentaire fœto-maternel. En effet, des échanges bilatéraux, entre  la mère et le fœtus, se produisent au cours de la grossesse. On sait que certaines femmes peuvent héberger des cellules XY d’un fœtus masculin dans leur sang pendant de longues années. De même, des études récentes ont révélé que certains individus conservent des traces de microchimérisme maternel à l’âge adulte.

Surtout, le chimérisme diffère du mosaïcisme. Alors que la mosaïque désigne un individu, ou un organisme, au sein duquel coexistent deux ou plusieurs populations cellulaires dont les génomes sont différents mais qui proviennent d’un même œuf fécondé (zygote), la chimère a pour origine la fusion de deux zygotes fécondés ou plus.

Une découverte souvent fortuite

La plupart du temps, les découvertes de cas humains de chimérisme sont fortuites, faisant suite à la réalisation d’analyses médicales. Plusieurs cas emblématiques, dont certains ont été relatés dans les médias, méritent d’être racontés.

Les premières chimères humaines ont été décrites il y a environ 70 ans par des médecins. La première chimère humaine issue de la fusion de deux zygotes a été rapportée en 1962. La personne était hermaphrodite, porteuse d’un ovaire et d’un ovotestis (gonade ayant à la fois les caractéristiques d’un testicule et d’un ovaire), avec les yeux vairons, l’un brun foncé et l’autre noisette.

En 1981, des généticiens américains avaient suspecté un cas de chimérisme tétragamétique à partir des résultats des analyses sanguines d’un donneur de sang. Cet homme de groupe sanguin B n’avait pas d’anticorps dirigés contre le groupe A. Normalement, un individu de groupe B possède des anticorps sériques anti-A. Par ailleurs, cet homme possédait, dans d’autres tissus que le sang, de faibles quantités de l’enzyme déterminant l’appartenance au groupe A.

Cet homme avait donc en lui deux lignées cellulaires génétiquement différentes, l’une codant des marqueurs du groupe sanguin B, l’autre des déterminants du groupe A. Il s’est avéré que ce patient était une chimère XX/XY. Alors que la lignée renfermant un génome XY (caractérisant un individu mâle) était celle qui produisait les globules rouges de groupe B, une autre lignée, possédant un génome XX (correspondant à un individu femelle), codait l’enzyme déterminant le groupe A.

Trois mécanismes possibles à l’origine d’une chimère humaine

Trois mécanismes fondamentaux différents peuvent aboutir à la création d’une chimère humaine naturelle. Comme nous l’avons vu, la chimère est dite tétragamétique lorsqu’elle est issue de la fusion de deux zygotes, autrement dit de deux ovules ayant été fécondés par deux spermatozoïdes. Ce mécanisme est de loin le plus fréquent.

Une chimère tétragamétique peut également être le produit d’un autre type de fusion. Pour comprendre, il faut savoir que la maturation de l’ovocyte s’accompagne de la formation de deux autres petites cellules appelées globules polaires. Celles-ci se forment au cours de la deuxième division de maturation (méiose) de l’ovocyte et auquel elles adhèrent.

Les globules polaires disparaissent normalement rapidement après leur apparition, mais il arrive que le deuxième globule polaire soit fécondé par un spermatozoïde.

Fécondation par deux spermatozoïdes différents de l’ovocyte (à gauche) et de son deuxième globule polaire (à droite). La fusion de ces deux zygotes aboutit à un embryon contenant deux informations génétiques distinctes. Gilgenkrantz S. Med Sci (Paris). 2002 Oct;18(10):925-2.

Lorsque l’ovule est fécondé par un spermatozoïde et que le deuxième globule polaire est fécondé par un autre spermatozoïde, la fusion de ces deux cellules aboutit à la formation d’une chimère tétragamétique.

Schéma illustrant la formation d’une chimère parthénogénétique. Il se produit spontanément une endoréplication du matériel génétique maternel juste avant que les deux cellules qui en résultent soient fécondées par deux spermatozoïdes différents. L’endoréplication est un processus par lequel une cellule duplique son matériel génétique mais ne se divise pas. Sur cette illustration, les cellules en orange sont de formule chromosomique 46,XX, alors que celles en vert sont 46,XY. Après fusion des deux œufs fécondés, l’embryon qui en résulte possède deux populations génétiquement distinctes. Kawamura R, et al. J Hum Genet. 2020 Aug;65(8):705-709.

Il existe un troisième type de chimérisme naturel. Il arrive exceptionnellement que par un mécanisme dit de parthénogenèse, une activation spontanée de l’ovocyte (non fécondé) se produise, conduisant à sa division et donc à la production de deux cellules filles. Si chacune d’elles est par la suite fécondée par un spermatozoïde différent et que ces deux cellules viennent à fusionner, le produit de cette fusion est appelé chimère parthénogénétique (ou trigamétique).

En 2012, des chercheurs de l’université de Séoul (Corée du Sud) ont rapporté dans l’American Journal of Medical Genetics le cas d’un enfant qui présentait à la naissance une ambiguïté des organes génitaux externes. L’analyse génétique a permis d’identifier un cas de fécondation, par deux spermatozoïdes différents, de deux ovocytes identiques issus de l’activation parthénogénétique. Pour chaque emplacement (locus) testé sur les chromosomes de cet enfant, l’analyse a montré la présence de quatre allèles, ce qui indiquait qu’il était porteur de deux lignées cellulaires génétiquement distinctes. En 1995 et 1998, deux cas de chimérisme parthénogénétique avaient déjà été rapportés dans la littérature médicale.

À suivre…

Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, BlueSky, et sur mon autre blogLe diabète dans tous ses états, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 64 billets).

Pour en savoir plus :

La totalité des références bibliographiques seront communiquées à l’occasion de la publication de la 2e partie.

Quand la génétique permet de comprendre la cause de la mort subite de deux enfants d’une même famille à trois ans d’intervalle

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C’est l’histoire d’un drame familial épouvantable : le décès par mort subite d’un frère et d’une sœur à trois ans d’intervalle. C’est également une démonstration éclatante de l’apport de la génétique pour élucider la cause de la mort subite inexpliquée de deux très jeunes enfants d’une même famille. Ce cas a été publié en ligne le 2 mars 2024 dans la revue Forensic Science International: Genetics.

Le premier enfant est mort à l’âge de trois ans. Son décès est survenu un jour d’automne, en fin de matinée, à l’école. Il était porteur d’une malformation cardiaque congénitale complexe (tétralogie de Fallot) pour laquelle il avait été opéré avec succès. À l’autopsie, aucune anomalie en rapport avec cette pathologie cardiaque n’avait été trouvée. Le décès avait alors été attribué à un trouble du rythme cardiaque survenu dans un contexte de tétralogie de Fallot.

Trois ans plus tard, sa petite sœur de quatre ans est décédée durant l’hiver d’un arrêt cardio-respiratoire dans les mêmes circonstances.

Un an plus tôt, la fillette avait subi un examen cardiaque motivé par le décès inexpliqué de son frère ainé. Aucune anomalie n’avait été détectée à l’examen clinique, pas plus qu’à l’écho-doppler cardiaque, examen d’imagerie qui visualise le cœur, les gros vaisseaux et les flux sanguins sur des images en mouvement. De même, l’électrocardiogramme ne montrait rien de particulier.

Une autopsie médico-légale avait été pratiquée afin de déterminer la cause de la mort, malgré l’absence d’indices suggérant l’intervention d’une tierce personne. Elle avait montré des signes non spécifiques d’asphyxie : cyanose (peau bleutée causée par une faible oxygénation du sang), œdème pulmonaire. Aucune malformation des organes n’avait été retrouvée.

Par ailleurs, les analyses toxicologiques étaient revenues négatives pour les médicaments, l’alcool et les narcotiques. L’analyse histologique de tous les organes n’avait pas fourni plus d’éléments.

À la demande de la justice, des investigations génétiques ont été ordonnées afin de déterminer la cause de la mort. Un séquençage de l’ADN de la fillette et de celui de ses deux parents a alors été réalisé.

L’analyse de ces trois ADN a révélé la présence de quatre variants dans chacune des deux copies de deux gènes pouvant être impliqués dans la mort subite de la fillette.

Cette petite fille a été trouvée porteuse de plusieurs anomalies dans le gène ACADM. Ce gène, qui se situe sur le bras court du chromosome 1 (1p 31), code une protéine mitochondriale (MCAD).

La fillette a en effet hérité de son père une mutation du gène ACAD, en l’occurrence de la mutation A985G (où une adénine, A, est remplacée par une guanine, G, en position 985), qui est la plus courante dans une maladie dénommée déficit en acyl-CoA déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne (MCAD).

Déficit en MCAD

Cette maladie métabolique héréditaire rare est caractérisée par une incapacité de l’organisme à assimiler les graisses. Elle se traduit par des crises métaboliques plus ou moins sévères, avec hypoglycémie, léthargie, vomissements, épilepsie et coma. Ces crises peuvent se manifester à n’importe quel moment de la vie, surtout pendant la petite enfance, et parfois même dans les jours qui suivent la naissance.

Cette maladie est transmise sur le mode autosomique récessif, ce qui signifie que les deux copies du gène ACAD doivent être mutées pour que la pathologie se manifeste. La maladie peut apparaître aussi bien
chez un garçon que chez une fille. Elle peut être fatale si un traitement d’urgence n’est pas instauré.

On estime que la prévalence du déficit en MCAD à la naissance se situe entre 1/8 000 à 1/25 000 dans les populations caucasiennes. En France, on estime sa fréquence à 1 à 5 nouveau-nés sur 100 000 environ.

Bien que les enfants atteints d’un déficit en MCAD n’aient pas de symptômes à la naissance, ils peuvent développer une crise métabolique lors de périodes de jeûne, comme lors d’une infection banale.

La prise en charge à long terme de cette maladie implique un traitement préventif par le biais de mesures diététiques visant à éviter rigoureusement le jeûne et les triglycérides à chaîne moyenne, et à augmenter l’apport en glucides lorsque l’enfant est exposé à des situations augmentant ses besoins énergétiques. Des recommandations portant sur l’intervalle de sécurité entre les repas sont disponibles. 

La petite fille est également porteuse d’une autre mutation, héritée de sa mère, du gène ACAD.

Ce n’est pas tout. L’ADN de la fillette renferme deux autres anomalies dans un autre gène, dénommé TECRL : une mutation faux-sens (une lettre du code génétique a été remplacée par une autre, ce qui a pour conséquence que la protéine codée par le gène muté contient un autre acide aminé que celui présent dans la protéine normale) et une délétion (perte d’une partie du gène).

Le gène TECRL, localisé sur le chromosome 4, code une protéine impliquée dans la régulation du calcium intracellulaire. Il a récemment été montré que ce gène pourrait être impliqué dans le syndrome du QT long, maladie héréditaire caractérisée par un allongement de l’espace QT sur le tracé de l’électrocardiogramme. Cette anomalie électrocardiographique expose au risque de survenue de troubles du rythme cardiaque (torsades de pointes, fibrillation ventriculaire), responsables de syncope et de mort subite. Le gène TECRL a également été associé à la tachycardie ventriculaire catécholergique (TVC), maladie héréditaire caractérisée par des troubles graves du rythme ventriculaire, survenant à l’effort ou lors d’émotions fortes chez de jeunes patients.

Il s’avère donc que la fillette décédée subitement était porteuse de deux anomalies (ou variantes) du gène ACADM lié à une maladie, le déficit en MCAD, et d’une autre variante dans un second gène, TECRL, potentiellement associé à la mort subite inexpliquée chez l’enfant (Sudden Unexplained Death in Childhood, SUDC).

La mutation faux-sens dans le gène ACADM a été héritée de sa mère. Il s’agit d’une anomalie extrêmement rare, mais qui semble être délétère. La délétion, qui a été héritée de son père, a probablement pour conséquence d’abolir la fonction du gène ACADM.

À la demande des parents désireux de connaître la cause du décès de leur fils, plusieurs tentatives visant à récupérer un ADN exploitable ont été entreprises, mais avaient échoué car aucun prélèvement autopsique n’avait été conservé par congélation ou dans un bloc de paraffine.

Par ailleurs, des échantillons de vêtements ou d’objets ayant appartenu au petit garçon décédé ont été prélevés pour isoler son ADN. Là encore, aucun des 14 échantillons n’a permis d’obtenir un profil génétique exploitable et d’isoler une quantité suffisante de matériel génétique afin de déterminer si cet enfant était ou non porteur des mêmes anomalies génétiques identifiées chez sa sœur.

Exhumation du corps du frère aîné

Poursuivant leur enquête, les généticiens ont analysé les restes de l’enfant. Une exhumation a été pratiquée, avec le consentement explicite des parents, à la demande de l’autorité judiciaire. Le fémur gauche et la mandibule (mâchoire inférieure) ont été exhumés à des fins d’analyse génétique. Celle-ci a été réalisée sur de l’os et des dents réduits en poudre. La qualité de l’ADN qui en a été extrait s’est avérée être suffisante pour permettre de séquencer les gènes ACADM et TECRL.

Les analyses ont alors montré que le frère présentait, comme sa sœur, deux copies mutées du gène ACADM.

La petite fille a un frère plus jeune qu’elle, qui était sous traitement cardiologique avant qu’elle ne décède. Les analyses portant sur l’ADN extrait du sang de ce petit garçon ont montré qu’il était porteur d’une unique variation génétique dans le gène TECRL, dont la signification reste toutefois incertaine. On ignore en effet si cette mutation est ou non délétère.

Ces investigations génétiques ont été conduites par des biologistes moléculaires de l’Institut de Médecine Légale et de l’Institut de Génétique Médicale d′Alsace (Strasbourg) et de l’Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire (Illkirch). Les généticiens ont proposé aux parents un conseil génétique pour une future grossesse.

Lila Krebs-Drouot et ses collègues soulignent que l’interaction entre les altérations du gène ACADM et les variantes du gène TECRL, de signification incertaine, est « difficile à interpréter ». Si le caractère pathogène de l’anomalie identifiée sur le gène TECRL devait être confirmé par d’autres études, la question se poserait d’une éventuelle synergie entre deux pathologies qui augmenteraient le risque de mort subite.

Pour autant, la présentation clinique de ces deux cas pédiatriques est compatible avec ce que l’on sait du déficit en MCAD : la survenue d’une mort subite pendant un jeûne (en fin de matinée), à partir de l’âge de 3 ans et lors d’une activité physique (dans la cour de récréation). On sait en outre qu’une mort subite inexpliquée peut être la première manifestation de cette maladie, surtout lorsqu’elle n’a pas encore été diagnostiquée.

Un dépistage opérationnel seulement depuis 2020

Le dépistage néonatal repose sur le prélèvement d’une goutte de sang sur le talon du nourrisson, laquelle est déposée sur un papier buvard (test de Guthrie) © Wikipedia

En France, plusieurs maladies génétiques rares mais graves sont recherchées dès la naissance : la phénylcétonurie (depuis 1972), l’hypothyroïdie congénitale (depuis 1978), la drépanocytose (depuis 1985 dans les DOM et 1995 en métropole), l’hyperplasie congénitale des surrénales (depuis 1995) et la mucoviscidose (depuis 2002). Pour réaliser ce dépistage, une goutte de sang est prélevée chez le nourrisson trois jours après la naissance. Ce n’est qu’en décembre 2020 que le dépistage du déficit en acyl-CoA-déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne (déficit en MCAD) a été ajouté au programme.

Depuis le 1er janvier 2023, faisant suite aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) de janvier 2020, sept erreurs innées du métabolisme ont été introduites au programme national (homocystinurie – HCY, leucinose-MSUD, tyrosinémie de type 1-TYR-1, acidurie glutarique de type 1-GA-1, acidurie isovalérique-IVA, déficit en 3-hydroxyacyl-coenzyme A déshydrogénase des acides gras à chaîne longue-LCHAD, déficit primaire en carnitine-CUD). Par ailleurs, recommandé par la HAS en 2022, le dépistage des déficits immunitaires combinés sévères et de la drépanocytose, pour tous les nouveau-nés de métropole, est à l’étude au ministère de la santé.

En 2022, en Europe, le dépistage du déficit en MCAD n’était toujours mis en œuvre en Roumanie, Bulgarie, Lituanie, Grèce, Lettonie, à Chypre et Malte. L’Italie est en revanche la championne en Europe, avec un programme national de dépistage néonatal portant depuis 2016-17 sur plus de 40 maladies et syndromes.

Le cas rapporté par les généticiens strasbourgeois illustre selon eux « les conséquences délétères du délai de la mise en œuvre du programme de dépistage en France ». « Cela a pris plus de dix ans pour qu’il devienne opérationnel, période durant laquelle ces deux enfants auraient pu être dépistés », concluent-ils.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, BlueSky, et sur mon autre blogLe diabète dans tous ses états, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 63 billets).

Pour en savoir plus :


Krebs-Drouot L, Schalk A, Schaefer E, et al. Recurrent familial case of early childhood sudden death: Complex post mortem genetic investigations. Forensic Sci Int Genet. 2024 Mar 2;71:103028. doi: 10.1016/j.fsigen.2024.103028

Taruscio D, Piccioli A. Newborn screening in Italy: a unique program of public health in Europe. Editorial. Ann Ist Super Sanita. 2023 Jan-Mar;59(1):1-3. doi: 10.4415/ANN_23_01_01

Mason E, Hindmarch CCT, Dunham-Snary KJ. Medium-chain Acyl-COA dehydrogenase deficiency: Pathogenesis, diagnosis, and treatment. Endocrinol Diabetes Metab. 2023 Jan;6(1):e385. doi: 10.1002/edm2.385 

Ruoppolo M, Malvagia S, Boenzi S, et al. Expanded Newborn Screening in Italy Using Tandem Mass Spectrometry: Two Years of National Experience. Int J Neonatal Screen. 2022 Aug 9;8(3):47. doi: 10.3390/ijns8030047

Moscu-Gregor A, Marschall C, Müntjes C, et al. Novel variants in TECRL cause recessive inherited CPVT type 3 with severe and variable clinical symptoms. J Cardiovasc Electrophysiol. 2020 Jun;31(6):1527-1535. doi: 10.1111/jce.14446 

Kallas D, Lamba A, Roston TM, et al. Pediatric Catecholaminergic Polymorphic Ventricular Tachycardia: A Translational Perspective for the Clinician-Scientist. Int J Mol Sci. 2021 Aug 27;22(17):9293. doi: 10.3390/ijms22179293 

Webster G, Aburawi EH, Chaix MA, et al. Life-threatening arrhythmias with autosomal recessive TECRL variants. Europace. 2021 May 21;23(5):781-788. doi: 10.1093/europace/euaa376 

Sur le web :

Maladies rares : l’enjeu du diagnostic et du dépistage néonatal (Le Monde, 2 mars 2024)

Ibrahim SA, Temtem T. Medium-Chain Acyl-CoA Dehydrogenase Deficiency. 2023 Jul 10. In: StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2024 Jan.

Dépistage néonatal. Critères d’évaluation pour l’intégration de nouvelles maladies au programme national du dépistage à la naissance (HAS, 16 mars 2023)

Fiche d’information sur le dépistage du déficit en MCAD à destination des professionnels de santé (Ministère des solidarités et de la santé, juin 2020) 

Déficit en MCAD (Programme national de dépistage néonatal) 

Le déficit en MCAD. Déficit en acyl-CoA déshydrogénase
des acides gras à chaîne moyenne. MCADD (Encyclopédie Orphanet du Handicap, janvier 2015) 

Le déficit en MCAD. Déficit en acyl-CoA déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne MCADD (Orphanet, novembre 2014) 

Déficit en acyl-CoA déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne  (Orphanet, octobre 2014)

Fiches d’information à destination des familles et des professionnels de santé dans le cadre de l’ajout du déficit en MCAD au programme national de dépistage néonatal (HAS, février 2021) 

COVID-19 : dans le maquis des variants et sous-variants d’Omicron

TheDigitalArtist © Pixabay

Dans ce billet de blog, je souhaite vous faire lire un fil rédigé sur Twitter par T. Ryan Gregory, professeur en biologie de l’évolution à l’université de Guelph (Ontario, Canada).

Ryan m’a donné son accord pour la traduction et l’adaptation de sa série de tweets publiés le 10 janvier 2022.

À sa lecture, j’ai non seulement appris, et réappris, pas mal de choses sur les variants et sous-variants circulants du SARS-CoV-2, mais j’ai aussi bien ri.

J’espère que vous aussi en apprendrez davantage sur l’évolution de la « soupe » aux sous-variants du lignage Omicron, tout en vous amusant.

Quand humour et biologie font si bon ménage, pourquoi s’en priver !

Conversation imaginaire entre un profane et un chercheur en biologie évolutive.  

« Et donc le variant SARS-CoV-2 le plus transmissible jamais détecté est… »

Alors, c’est lequel ?

Eh, bien, c’est XBB.1.5.

Donc, ce n’est pas Omicron !

Si, si, c’est bien Omicron.

Mais, je pensais qu’Omicron était responsable de la grande vague survenue l’an dernier.

En effet, c’est bien ça. Sauf que c’était alors un autre Omicron.

Et pendant la vague du printemps dernier, c’était quel variant ?

C’était bien Omicron, mais encore un autre.

Comment ça, un autre ?

Oui, c’était BA.2 durant le printemps. Mais c’était toujours Omicron.

Et pendant l’été dernier ?

Encore Omicron, mais un autre.

C’était BA.2 ou XBB.1.5 ?

Non, ni l’un, ni l’autre. C’était BA.5.

Et à l’automne, c’était donc encore un variant différent ?

Non, c’était toujours BA.5. Enfin, plus précisément certains de ses descendants, dont BQ.1 et BQ.1.1, qui sont tous des Omicron.

OK. Mais ce XBB.1.5, il dérive de BA.5, n’est-ce pas ?

Non, il est la résultante d’une recombinaison entre deux variants BA.2, BJ.1 et BM.1.1.1.

Je pensais que tu allais parler de BA.2 puisque c’est un mélange de deux variants BA.2.

Tu as raison, sauf que leurs noms complets sont BA.2.10.1.1 et BA.2.75.3.1.1.1.

J’avoue avoir un peu de mal à…

Non, en fait, il s’agit de B.1.1.529.2.75.3.1.1.1 et B.1.1.529.2.10.1.1. 

Et donc, le fameux XBB.1.5 est un croisement entre ces deux-là ?

Non, XBB.1.5 dérive de XBB.1, qui est un descendant de XBB qui, lui-même, est un croisement entre ces deux-là.

Et il vient donc de Chine, d’où la mesure consistant à tester les passagers en provenance de là-bas ?

Non, en Chine, c’est surtout les nouveaux variants BF.7.14 et BA.5.2.48 qui circulent.

Donc, rien à voir avec ce qui se passe ici.

En fait, pas vraiment, car BF.7 and BA.5.2 circulent ici depuis l’été dernier. Et tous deux sont des Omicron.

Et, donc, les ARN messagers codant les protéines spike de ces variants sont bien inclus dans les nouveaux vaccins bivalents, n’est-ce pas ?

Non, Pfizer a inclus BA.1 alors que Moderna a ciblé BA.5.

Alors, c’est quoi ce BF.7 ?

C’est un descendant du sous-variant BA.5 d’Omicron. Son nom complet est BA.5.2.1.7 ou si tu préfères B.1.1.529.5.2.1.7.

Et ce XBB.1.5, il ne vient pas de Chine.

Exact, il semble avoir évolué aux États-Unis.

Comme XBB.1.5 est issu de deux sous-lignages d’Omicron, c’est donc que ces deux sous-variants se sont recombinés aux États-Unis ?

Non, cela s’est probablement produit en Inde où XBB circulait. XBB.1.5 est le cinquième descendant détecté du premier variant identifié ayant évolué à la faveur d’une recombinaison entre BJ.1 et BM.1.1.1, qui sont tous deux des sous-lignages de BA.2.

Donc, il y a des cas dus à XBB.1.5 à travers le monde entier, sauf en Chine ?

Non, XBB.1.5 circule surtout dans le nord-est des États-Unis, région dans laquelle il constitue plus de 70 % des variants circulants. Il représente désormais environ 28 % des cas de COVID-19 aux États-Unis, selon les projections des CDC. Et BQ.1 and BQ.1.1 sont toujours présents.

Et ces deux-là, ils ressemblent à XBB.1.5 ?

Non, ce sont des variants du lignage BA.5. BQ.1, c’est en fait BA.5.3.1.1.1.1.1.

Attends, je suis un peu perdu…

Il faut aussi dire un mot de CH.1.1, présent au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et ailleurs. C’est toujours un Omicron.

CH1.1, tu dis ?

Oui. Enfin plutôt BA.2 CH.1.1, qui est en fait BA.2.75.3.4.1.1.1.1. 

Alors comme ça, on n’arrête pas de parler de XBB.1.5, le variant le plus contagieux jamais détecté aux États-Unis, alors que d’autres variants sont déjà présents en Chine et que nous devons les surveiller pour en détecter de nouveaux.

C’est exact.

Tout ça a l’air plutôt important. Pourquoi ne pas rendre ça plus accessible ?

Parce que le grand public n’a pas l’air de vraiment se préoccuper des variants.

C’est bien vrai !

Alors, on préfère lui parler de la recombinaison entre Argus et Mimas qui a produit Gryphon, ou de Hippogryph qui a évolué en Kraken*. Tout ça a lieu principalement aux États-Unis. Il s’agit toujours des sous-variants BA.2. Et puis, il y a aussi Typhon et Cerbère, des sous-variants BA.5, présents dans d’autres endroits. Sans oublier qu’au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et dans d’autres pays, on détecte beaucoup d’Orthrus, un BA.2. Enfin, en Chine, on trouve des descendants de Minotaure et Triton, des BA.5 qui circulaient déjà l’été dernier.

Quelle mémoire !

J’espère que maintenant c’est beaucoup clair pour toi. Enfin, seulement si tu préfères la mythologie à la virologie…

Marc Gozlan (traduction/adaptation du thread de @TRyanGregory)(Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn, Mastodon, et sur mon autre blog ‘Le diabète dans tous ses états’, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà trente-et-un billets).

* Le variant XBB.1.5 a été surnommé Kraken, référence au monstre marin fantastique, doté de nombreux tentacules, issu de légendes scandinaves médiévales.

Pour en savoir plus :

Thread du Dr T. Ryan Gregory

Parce qu’un dessin vaut mille mots (tweet de Ryan Gregory, via le site Nextstrain, illustrant, au fil de l’apparition de mutations, la diversité  génétique des multiples lignages et sous-lignages du coronavirus SARS-CoV-2).

Quelques liens indispensables pour qui veut comprendre quelque chose dans le maquis des variants et sous-variants du SARS-CoV-2, en termes de nomenclature, de prévalence (dans de plusieurs pays, dont la France) et de taux de croissance :

International SARS-CoV-2 genomic surveillance (gerstung-lab / SARS-CoV-2-International)

cov-lineages/pango-designation (cov-lineages.org)

Cov-lineages Lineage List

SARS-CoV-2 variants of concern as of 9 January 2023 (ECDC)

Suivi des variants du SARS-CoV-2 (OMS)

Sur le sous-variant XBB.1.5 :

Coronavirus variant XBB.1.5 rises in the United States — is it a global threat? (Nature)

XBB.1.5 Rapid risk assessment, 11 January 2023 (OMS)

Tracking SARSCoV2 Lineage XBB.1.5* over time (Nickname: Kracken) par Raj Rajnarayanan

Update on SARS-CoV-2 variants: ECDC assessment of the XBB.1.5 sub-lineage (ECDC, 9 Jan 2023)

Enhanced transmissibility of XBB.1.5 is contributed by both strong ACE2 binding and antibody evasion

Mise à jour (13 janvier 2023) Threat Assessment Brief: Implications for the EU/EEA of the spread of the SARS-CoV-2 Omicron XBB.1.5 sub-lineage (ECDC)

Liste des diminutifs des sous-variants d’Omicron