La triste histoire d’un adolescent qui avait des envies de cornichons

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C’est le genre d’histoire clinique qui finit très mal, mais permet d’alerter sur ce qui aurait dû être fait et sur le diagnostic que les médecins généralistes et urgentistes doivent absolument évoquer devant une telle situation clinique avant qu’elle ne tourne au drame. Ce cas a été publié le 20 avril 2024 dans les Archives de Pédiatrie.

C’est l’histoire d’un adolescent de 13 ans d’origine marocaine, sans antécédent médical particulier, admis aux urgences pour des douleurs abdominales isolées. Il est pris de vomissements depuis la veille. Une semaine plus tôt, il avait une rhinite, sans fièvre. Il présente des signes de déshydratation, une diminution du volume des urines (oligurie), des marques circulaires foncées sur la peau, une sécheresse des muqueuses. Il a perdu 2 kg.

L’inspection et la palpation de l’abdomen sont normales. Les examens biologiques sanguins montrent une légère baisse du taux de sodium dans le sang (hyponatrémie à 132 mmol/L). L’échographie abdominale montre une infection aiguë d’un ou de plusieurs ganglions lymphatiques (lymphadénite mésentérique isolée).

Le jeune garçon reste en observation aux urgences 24 heures où il reçoit des fluides par voie intraveineuse. Il rentre chez lui avec un diagnostic de gastro-entérite aiguë, alors que les vomissements ont cessé, bien qu’il présente toujours un taux bas de sodium dans le sang (hyponatrémie à 126 mmol/L). Le taux de potassium sanguin est à 4 mmol/L (valeurs normales entre 3,5 et 5,5 mmol/L).

Pendant les six jours suivants, il vomit une à deux fois par jour et présente une perte d’appétit (anorexie) et une fatigue intense. Il n’a pas de diarrhée, de douleurs, ni de fièvre. Il a maintenant perdu 5 kg.

Onze jours après le début des symptômes, il perd connaissance. Bien qu’il ne présente pas de traumatisme crânien, sa mère le ramène une deuxième fois aux urgences dans un contexte clinique de vomissements persistants. Aucune analyse biologique n’est réalisée. On se contente de lui prescrire un antiémétique (métopimazine) pour ses vomissements.

Le lendemain, l’enfant, qui présente une fatigue extrême (asthénie intense), fait un arrêt cardiaque, avec un débit cardiaque nul (« no flow ») pendant 25 minutes, puis bas pendant les 25 minutes durant lesquels sa mère effectue les gestes de réanimation cardiopulmonaire. Le médecin du SAMU arrivé sur place intube l’adolescent, qui reçoit en outre des fluides par voie intraveineuse. Il est ensuite admis en unité de soins intensifs pédiatriques à l’hôpital Robert Debré (Paris).

L’équipe soignante interroge les parents sur le comportement récent du patient. Les médecins apprennent ainsi que cet enfant présentait une soif exagérée (polydipsie), ainsi qu’un goût prononcé pour le sel. Il consommait beaucoup de cornichons, qu’il dissimulait dans les toilettes de sa chambre. Par ailleurs, il a commencé à présenter des taches cutanées foncées depuis ses dernières vacances, il y a six mois.

À son admission à l’hôpital, la température corporelle de l’adolescent est de 34,9 °C. Il présente un choc hypovolémique sévère, autrement dit une diminution drastique du volume sanguin circulant, et est dans le coma. L’échographie thoracique ne montre pas de signes d’insuffisance cardiaque.

Les analyses biologiques sanguines montrent notamment une baisse importante du taux de sodium dans le sang (hyponatrémie à 118 mmol/L), une augmentation du taux de potassium (hyperkaliémie à 5,9 mmol/L). Le résultat des autres examens témoigne de la présence d’une insuffisance rénale aiguë, d’une insuffisance hépatique et d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), qui se manifeste par la formation de petits caillots à l’intérieur de tout le système vasculaire, ce qui entraîne une obstruction des petits vaisseaux. Le dosage du cortisol sérique, réalisé avant le début du traitement, montre un taux effondré (17 nmol/L). Un remplissage vasculaire massif est entrepris.

Au vu des résultats des examens de laboratoire et de la présence d’une défaillance du système circulatoire (état de choc), on administre de l’hydrocortisone, un corticoïde synthétique. En effet, l’histoire clinique et les examens biologiques orientent le diagnostic vers une insuffisance surrénalienne, maladie dans laquelle les glandes surrénales (chacune située au-dessus de chaque rein) ne produisent pas suffisamment d’hormones surrénaliennes.

Maladie d’Addison

Des analyses ultérieures montrent que cet enfant souffre de la maladie d’Addison, responsable d’une insuffisance surrénalienne primaire, le plus souvent d’origine auto-immune. Cette maladie porte le nom de Thomas Addison (1793-1860), médecin britannique qui a décrit cette maladie en 1849 puis 1855, et l’a attribuée à une atteinte de ce qu’il appelait la « capsule suprarénale », autrement dit de la glande surrénale.

Dans environ 85 % des cas, la maladie d’Addison est due à la présence d’auto-anticorps dirigés contre une enzyme qui participe à la synthèse des hormones stéroïdes, la 21-hydroxylase. Cet enfant présente effectivement un taux élevé d’anticorps anti-21-hydroxylase.

Malgré une amélioration initiale des capacités circulatoires, l’enfant a été déclaré en état de mort cérébrale moins de 24 heures plus tard.

Ce cas clinique dramatique a été rapporté par des médecins de l’unité de réanimation pédiatrique et du service d’endocrinologie pédiatrique de l’hôpital Robert Debré.

Selon les auteurs, il montre que « les signes de l’insuffisance surrénalienne ont été sous-estimés et interprétés comme une gastro-entérite aiguë malgré le fait que l’enfant avait été examiné à plusieurs reprises par une équipe médicale, ce qui a entraîné la survenue d’une crise surrénalienne aiguë extrêmement sévère et un arrêt cardiaque extrahospitalier (au domicile), suivi d’un décès imputable aux séquelles ».  Et d’ajouter : « Compte tenu du taux de mortalité associé à une crise surrénalienne, les médecins généralistes et urgentistes devraient systématiquement envisager ce diagnostic devant un patient présentant des signes gastro-intestinaux avec vomissements prédominants, en particulier lorsqu’ils sont accompagnés d’une hyponatrémie ».

L’insuffisance surrénalienne primaire est une affection rare, mais qui met en jeu le pronostic vital à court terme. Il s’agit d’une urgence thérapeutique, même sans certitude diagnostique. Sa prévalence en Europe est estimée entre 82 et 144 pour un million d’individus. La gravité de l’insuffisance surrénalienne aiguë est avant tout liée au déficit en cortisol.

Le diagnostic d’insuffisance surrénalienne doit être suspecté devant la survenue brutale de plusieurs symptômes non spécifiques, tels qu’une baisse de la tension artérielle, des vomissements, de la diarrhée, mais également lorsque des patients présentent une hyponatrémie, une hyperkaliémie ou des épisodes inexpliqués d’hypoglycémie à jeun.

Le diagnostic repose sur le dosage du cortisol dans le sang à 8 h le matin (extrêmement bas, inférieur à 500 mmol/L) et de l’ACTH (hormone adrénocorticotrope, fabriquée par l’hypophyse). Les taux plasmatiques d’ACTH sont élevés en cas d’insuffisance surrénalienne primaire.

Des signes cliniques peu spécifiques, un début insidieux

Le tableau clinique de la maladie d’Addison est peu spécifique et le début insidieux des symptômes rend le diagnostic difficile. Seule l’hyperpigmentation cutanéomuqueuse, appelée mélanodermie, est caractéristique de la maladie d’Addison. Ainsi, des taches foncées prédominant sur les zones exposées au soleil (visage, cou, tronc) et les plis palmaires, ainsi que des taches ardoisées à la face interne des joues, sont évocatrices de cette pathologie.

La localisation de la pigmentation aux régions découvertes et aux plis de flexion, ainsi que la présence de taches de la muqueuse buccale, doivent absolument faire évoquer une mélanodermie d’une maladie d’Addison. Ainsi, en présence d’une pigmentation persistante des zones exposées et des muqueuses, même en l’absence d’autres manifestations cliniques évocatrices et de troubles électrolytiques (faible taux de sodium, taux élevé de potassium), il importe d’évoquer la maladie d’Addison et de procéder à des analyses biologiques hormonales.

Si l’insuffisance surrénalienne n’est pas traitée, une crise surrénalienne peut se produire. Elle se manifeste par des douleurs abdominales sévères, une faiblesse intense, une tension artérielle très faible, une insuffisance rénale et un état de choc. La crise surrénalienne intervient souvent lorsque l’organisme est soumis à un stress, par exemple dans le cadre d’un accident, d’une blessure, d’une intervention chirurgicale ou d’une infection.

En l’absence de traitement (hydrocortisone) le décès peut survenir rapidement. Une crise surrénalienne est à l’origine de 15 % à 40 % des décès liés à l’insuffisance surrénalienne.

Tout délai dans la mise en route du traitement par hydrocortisone peut être fatal. La correction de la volémie (volume sanguin), via l’administration de solutés de perfusion, peut être nécessaire et ne doit alors pas être retardée.

Le traitement doit se poursuivre jusqu’à ce que le diagnostic soit confirmé ou écarté. Dès lors, le patient doit être pris en charge par un endocrinologue qui déterminera la cause de l’insuffisance surrénalienne. Cette démarche diagnostique comporte le dosage des anticorps anti-21-hydroxylase, sachant que l’origine auto-immune est la plus fréquente chez le grand enfant.

Un des principaux enseignements de ce cas clinique dramatique est qu’il importe de toujours rechercher la cause d’une hyponatrémie afin de comprendre le mécanisme responsable d’un faible taux de sodium sanguin et ne pas passer à côté du diagnostic d’une affection pouvant menacer le pronostic vital. L’hyponatrémie peut en effet être le premier signe de l’insuffisance surrénalienne primaire.

Comme le soulignent Bellaure Ndoudi-Likoho, Michael Levy et leurs collègues, une hyponatrémie hypotonique (faible taux de sodium sanguin résultant d’une perte à la fois en sodium et en eau) peut se voir en cas d’insuffisance surrénalienne ou de gastro-entérite (pertes digestives prolongées sans apport hydrique). La détermination de la natriurèse (c’est-à-dire de l’excrétion urinaire du sodium) aide alors au diagnostic en distinguant l’une de ces pathologies.

Surtout, insistent-ils, « il convient de procéder à une évaluation approfondie afin de rechercher des signes spécifiques tels qu’une hyperpigmentation ou l’envie de sel. Dans notre cas, une consommation excessive de cornichons a permis de diagnostiquer une insuffisance surrénalienne », les conserves de cornichons étant très riches en sel.

L’envie de sel (salt craving en anglais) peut être le signe d’un déficit en aldostérone chez les patients ayant une insuffisance surrénalienne. Il faut en effet savoir que l’insuffisance surrénale est une insuffisance de fonctionnement du cortex surrénalien (qui représente 80 % à 90 % de la glande), qui synthétise notamment le cortisol (principal glucocorticoïde), et l’aldostérone (principal minéralocorticoïde).

Le cortisol est un facteur majeur d’adaptation de l’organisme au stress, alors que l’aldostérone joue un rôle crucial dans le maintien du volume sanguin (volémie) et de la pression artérielle.

Une envie de sel irrépressible chez un tout petit enfant

Je ne peux conclure ce billet sans raconter un cas classique d’envie de sel irrépressible, rapporté en 1940 par des médecins de Baltimore dans le JAMA, journal de l’association médicale américaine.

Il concerne un enfant de trois ans et demi qui présentait une insuffisance surrénalienne qui l’incitait à consommer de grandes quantités de sel. Vers l’âge d’un an, il a commencé par mâchouiller des crackers, puis du bacon.

À 18 mois, il a pris l’habitude d’ajouter du sel dans son assiette en saisissant lui-même la salière ou en trempant toutes sortes d’aliments dans du sel. Lorsqu’il a commencé à dire ses premiers mots, « sel » en faisait partie.

À l’âge de trois ans, il avalait les trois-quarts d’une pleine cuillère à café de sel de table chaque jour, en plus de toute la nourriture normalement salée par ses parents. Quand il mangeait des céréales, il les prenait sans sucre, ni lait, mais telles quelles… en y ajoutant du sel.

Rien ne lui plaisait plus que de boire de l’eau et manger du sel. Il a commencé à boire beaucoup d’eau dès l’âge de 4 mois. À six mois, lorsqu’on lui présentait une bouteille d’eau et une bouteille de lait, il prenait toujours l’eau de préférence au lait. Dans l’article publié dans le JAMA, on peut lire : « il semblerait que ce garçon, en augmentant sa consommation de sel, se soit maintenu en vie pendant au moins deux ans et demi ».

Comme l’adolescent de 13 ans, dont le cas est rapporté par les pédiatres parisiens de l’hôpital Robert Debré, ce petit garçon était porteur d’une hyperpigmentation. La peau de son cuir chevelu et de son corps avait une teinte légèrement brunâtre. Ses mamelons étaient pigmentés et les gencives au-dessus des incisives supérieures présentaient une tache de pigmentation brunâtre.

Sept jours après son admission à l’hôpital, ce jeune enfant est mort subitement. L’autopsie révéla qu’il était atteint d’une insuffisance surrénalienne sévère.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, BlueSky, et sur mon autre blog Le diabète dans tous ses états, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 64 billets).

Pour en savoir plus :


Ndoudi-Likoho B, Simon D, Maroni A, et al. Excessive pickle consumption: beware of adrenal crisis. Arch Pediatr. 2024 Apr 20:S0929-693X(24)00059-9. doi: 10.1016/j.arcped.2024.02.005 

Hahner S, Ross RJ, Arlt W, et al. Adrenal insufficiency. Nat Rev Dis Primers. 2021 Mar 11;7(1):19. doi: 10.1038/s41572-021-00252-7

Mosca AM, Barbosa M, Araújo R, Santos MJ. Addison’s Disease: A Diagnosis Easy to Overlook. Cureus. 2021 Feb 15;13(2):e13364. doi: 10.7759/cureus.13364

Reznik Y, Barat P, Bertherat J,  et al. SFE/SFEDP adrenal insufficiency French consensus: Introduction and handbook. Consensus sur l’insuffisance surrénale de la SFE/SFEDP : introduction et guide. Ann Endocrinol (Paris). 2018 Feb;79(1):1-22. doi: 10.1016/j.ando.2017.12.001 

Brosnan CM, Gowing NFC. Addison’s disease. BMJ. 1996 Apr;312:1601. doi: 10.1136/bmj.312.7046.1601 (PDF)

Tobin MV, Aldridge SA, Morris AI, et al. Gastrointestinal manifestations of Addison’s disease. Am J Gastroenterol. 1989 Oct;84(10):1302-5. PMID: 2801683.

Grant DB, Barnes ND, Moncrieff MW, Savage MO. Clinical presentation, growth, and pubertal development in Addison’s disease. Arch Dis Child. 1985 Oct;60(10):925-8. doi: 10.1136/adc.60.10.925

Wilkins, L. & Richter, C. P. A Great Craving for Salt by a Child with Cortico-Adrenal Insufficiency. JAMA. 1940;114(10):866-868. doi:10.1001/jama.1940.62810100001011

Sur le web :

Pernet J. Insuffisance surrénale aiguë. Urgences 2015. SFMU (Société française de médecine d’urgence) 

Insuffisance surrénale aiguë (Orphanet, PDF)

Insuffisance surrénale chez l’adulte et l’enfant (Société française d’endocrinologie)

Maladie d’Addison (MSD Manual) 

Quand la génétique permet de comprendre la cause de la mort subite de deux enfants d’une même famille à trois ans d’intervalle

© Pixabay

C’est l’histoire d’un drame familial épouvantable : le décès par mort subite d’un frère et d’une sœur à trois ans d’intervalle. C’est également une démonstration éclatante de l’apport de la génétique pour élucider la cause de la mort subite inexpliquée de deux très jeunes enfants d’une même famille. Ce cas a été publié en ligne le 2 mars 2024 dans la revue Forensic Science International: Genetics.

Le premier enfant est mort à l’âge de trois ans. Son décès est survenu un jour d’automne, en fin de matinée, à l’école. Il était porteur d’une malformation cardiaque congénitale complexe (tétralogie de Fallot) pour laquelle il avait été opéré avec succès. À l’autopsie, aucune anomalie en rapport avec cette pathologie cardiaque n’avait été trouvée. Le décès avait alors été attribué à un trouble du rythme cardiaque survenu dans un contexte de tétralogie de Fallot.

Trois ans plus tard, sa petite sœur de quatre ans est décédée durant l’hiver d’un arrêt cardio-respiratoire dans les mêmes circonstances.

Un an plus tôt, la fillette avait subi un examen cardiaque motivé par le décès inexpliqué de son frère ainé. Aucune anomalie n’avait été détectée à l’examen clinique, pas plus qu’à l’écho-doppler cardiaque, examen d’imagerie qui visualise le cœur, les gros vaisseaux et les flux sanguins sur des images en mouvement. De même, l’électrocardiogramme ne montrait rien de particulier.

Une autopsie médico-légale avait été pratiquée afin de déterminer la cause de la mort, malgré l’absence d’indices suggérant l’intervention d’une tierce personne. Elle avait montré des signes non spécifiques d’asphyxie : cyanose (peau bleutée causée par une faible oxygénation du sang), œdème pulmonaire. Aucune malformation des organes n’avait été retrouvée.

Par ailleurs, les analyses toxicologiques étaient revenues négatives pour les médicaments, l’alcool et les narcotiques. L’analyse histologique de tous les organes n’avait pas fourni plus d’éléments.

À la demande de la justice, des investigations génétiques ont été ordonnées afin de déterminer la cause de la mort. Un séquençage de l’ADN de la fillette et de celui de ses deux parents a alors été réalisé.

L’analyse de ces trois ADN a révélé la présence de quatre variants dans chacune des deux copies de deux gènes pouvant être impliqués dans la mort subite de la fillette.

Cette petite fille a été trouvée porteuse de plusieurs anomalies dans le gène ACADM. Ce gène, qui se situe sur le bras court du chromosome 1 (1p 31), code une protéine mitochondriale (MCAD).

La fillette a en effet hérité de son père une mutation du gène ACAD, en l’occurrence de la mutation A985G (où une adénine, A, est remplacée par une guanine, G, en position 985), qui est la plus courante dans une maladie dénommée déficit en acyl-CoA déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne (MCAD).

Déficit en MCAD

Cette maladie métabolique héréditaire rare est caractérisée par une incapacité de l’organisme à assimiler les graisses. Elle se traduit par des crises métaboliques plus ou moins sévères, avec hypoglycémie, léthargie, vomissements, épilepsie et coma. Ces crises peuvent se manifester à n’importe quel moment de la vie, surtout pendant la petite enfance, et parfois même dans les jours qui suivent la naissance.

Cette maladie est transmise sur le mode autosomique récessif, ce qui signifie que les deux copies du gène ACAD doivent être mutées pour que la pathologie se manifeste. La maladie peut apparaître aussi bien
chez un garçon que chez une fille. Elle peut être fatale si un traitement d’urgence n’est pas instauré.

On estime que la prévalence du déficit en MCAD à la naissance se situe entre 1/8 000 à 1/25 000 dans les populations caucasiennes. En France, on estime sa fréquence à 1 à 5 nouveau-nés sur 100 000 environ.

Bien que les enfants atteints d’un déficit en MCAD n’aient pas de symptômes à la naissance, ils peuvent développer une crise métabolique lors de périodes de jeûne, comme lors d’une infection banale.

La prise en charge à long terme de cette maladie implique un traitement préventif par le biais de mesures diététiques visant à éviter rigoureusement le jeûne et les triglycérides à chaîne moyenne, et à augmenter l’apport en glucides lorsque l’enfant est exposé à des situations augmentant ses besoins énergétiques. Des recommandations portant sur l’intervalle de sécurité entre les repas sont disponibles. 

La petite fille est également porteuse d’une autre mutation, héritée de sa mère, du gène ACAD.

Ce n’est pas tout. L’ADN de la fillette renferme deux autres anomalies dans un autre gène, dénommé TECRL : une mutation faux-sens (une lettre du code génétique a été remplacée par une autre, ce qui a pour conséquence que la protéine codée par le gène muté contient un autre acide aminé que celui présent dans la protéine normale) et une délétion (perte d’une partie du gène).

Le gène TECRL, localisé sur le chromosome 4, code une protéine impliquée dans la régulation du calcium intracellulaire. Il a récemment été montré que ce gène pourrait être impliqué dans le syndrome du QT long, maladie héréditaire caractérisée par un allongement de l’espace QT sur le tracé de l’électrocardiogramme. Cette anomalie électrocardiographique expose au risque de survenue de troubles du rythme cardiaque (torsades de pointes, fibrillation ventriculaire), responsables de syncope et de mort subite. Le gène TECRL a également été associé à la tachycardie ventriculaire catécholergique (TVC), maladie héréditaire caractérisée par des troubles graves du rythme ventriculaire, survenant à l’effort ou lors d’émotions fortes chez de jeunes patients.

Il s’avère donc que la fillette décédée subitement était porteuse de deux anomalies (ou variantes) du gène ACADM lié à une maladie, le déficit en MCAD, et d’une autre variante dans un second gène, TECRL, potentiellement associé à la mort subite inexpliquée chez l’enfant (Sudden Unexplained Death in Childhood, SUDC).

La mutation faux-sens dans le gène ACADM a été héritée de sa mère. Il s’agit d’une anomalie extrêmement rare, mais qui semble être délétère. La délétion, qui a été héritée de son père, a probablement pour conséquence d’abolir la fonction du gène ACADM.

À la demande des parents désireux de connaître la cause du décès de leur fils, plusieurs tentatives visant à récupérer un ADN exploitable ont été entreprises, mais avaient échoué car aucun prélèvement autopsique n’avait été conservé par congélation ou dans un bloc de paraffine.

Par ailleurs, des échantillons de vêtements ou d’objets ayant appartenu au petit garçon décédé ont été prélevés pour isoler son ADN. Là encore, aucun des 14 échantillons n’a permis d’obtenir un profil génétique exploitable et d’isoler une quantité suffisante de matériel génétique afin de déterminer si cet enfant était ou non porteur des mêmes anomalies génétiques identifiées chez sa sœur.

Exhumation du corps du frère aîné

Poursuivant leur enquête, les généticiens ont analysé les restes de l’enfant. Une exhumation a été pratiquée, avec le consentement explicite des parents, à la demande de l’autorité judiciaire. Le fémur gauche et la mandibule (mâchoire inférieure) ont été exhumés à des fins d’analyse génétique. Celle-ci a été réalisée sur de l’os et des dents réduits en poudre. La qualité de l’ADN qui en a été extrait s’est avérée être suffisante pour permettre de séquencer les gènes ACADM et TECRL.

Les analyses ont alors montré que le frère présentait, comme sa sœur, deux copies mutées du gène ACADM.

La petite fille a un frère plus jeune qu’elle, qui était sous traitement cardiologique avant qu’elle ne décède. Les analyses portant sur l’ADN extrait du sang de ce petit garçon ont montré qu’il était porteur d’une unique variation génétique dans le gène TECRL, dont la signification reste toutefois incertaine. On ignore en effet si cette mutation est ou non délétère.

Ces investigations génétiques ont été conduites par des biologistes moléculaires de l’Institut de Médecine Légale et de l’Institut de Génétique Médicale d′Alsace (Strasbourg) et de l’Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire (Illkirch). Les généticiens ont proposé aux parents un conseil génétique pour une future grossesse.

Lila Krebs-Drouot et ses collègues soulignent que l’interaction entre les altérations du gène ACADM et les variantes du gène TECRL, de signification incertaine, est « difficile à interpréter ». Si le caractère pathogène de l’anomalie identifiée sur le gène TECRL devait être confirmé par d’autres études, la question se poserait d’une éventuelle synergie entre deux pathologies qui augmenteraient le risque de mort subite.

Pour autant, la présentation clinique de ces deux cas pédiatriques est compatible avec ce que l’on sait du déficit en MCAD : la survenue d’une mort subite pendant un jeûne (en fin de matinée), à partir de l’âge de 3 ans et lors d’une activité physique (dans la cour de récréation). On sait en outre qu’une mort subite inexpliquée peut être la première manifestation de cette maladie, surtout lorsqu’elle n’a pas encore été diagnostiquée.

Un dépistage opérationnel seulement depuis 2020

Le dépistage néonatal repose sur le prélèvement d’une goutte de sang sur le talon du nourrisson, laquelle est déposée sur un papier buvard (test de Guthrie) © Wikipedia

En France, plusieurs maladies génétiques rares mais graves sont recherchées dès la naissance : la phénylcétonurie (depuis 1972), l’hypothyroïdie congénitale (depuis 1978), la drépanocytose (depuis 1985 dans les DOM et 1995 en métropole), l’hyperplasie congénitale des surrénales (depuis 1995) et la mucoviscidose (depuis 2002). Pour réaliser ce dépistage, une goutte de sang est prélevée chez le nourrisson trois jours après la naissance. Ce n’est qu’en décembre 2020 que le dépistage du déficit en acyl-CoA-déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne (déficit en MCAD) a été ajouté au programme.

Depuis le 1er janvier 2023, faisant suite aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) de janvier 2020, sept erreurs innées du métabolisme ont été introduites au programme national (homocystinurie – HCY, leucinose-MSUD, tyrosinémie de type 1-TYR-1, acidurie glutarique de type 1-GA-1, acidurie isovalérique-IVA, déficit en 3-hydroxyacyl-coenzyme A déshydrogénase des acides gras à chaîne longue-LCHAD, déficit primaire en carnitine-CUD). Par ailleurs, recommandé par la HAS en 2022, le dépistage des déficits immunitaires combinés sévères et de la drépanocytose, pour tous les nouveau-nés de métropole, est à l’étude au ministère de la santé.

En 2022, en Europe, le dépistage du déficit en MCAD n’était toujours mis en œuvre en Roumanie, Bulgarie, Lituanie, Grèce, Lettonie, à Chypre et Malte. L’Italie est en revanche la championne en Europe, avec un programme national de dépistage néonatal portant depuis 2016-17 sur plus de 40 maladies et syndromes.

Le cas rapporté par les généticiens strasbourgeois illustre selon eux « les conséquences délétères du délai de la mise en œuvre du programme de dépistage en France ». « Cela a pris plus de dix ans pour qu’il devienne opérationnel, période durant laquelle ces deux enfants auraient pu être dépistés », concluent-ils.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, BlueSky, et sur mon autre blogLe diabète dans tous ses états, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 63 billets).

Pour en savoir plus :


Krebs-Drouot L, Schalk A, Schaefer E, et al. Recurrent familial case of early childhood sudden death: Complex post mortem genetic investigations. Forensic Sci Int Genet. 2024 Mar 2;71:103028. doi: 10.1016/j.fsigen.2024.103028

Taruscio D, Piccioli A. Newborn screening in Italy: a unique program of public health in Europe. Editorial. Ann Ist Super Sanita. 2023 Jan-Mar;59(1):1-3. doi: 10.4415/ANN_23_01_01

Mason E, Hindmarch CCT, Dunham-Snary KJ. Medium-chain Acyl-COA dehydrogenase deficiency: Pathogenesis, diagnosis, and treatment. Endocrinol Diabetes Metab. 2023 Jan;6(1):e385. doi: 10.1002/edm2.385 

Ruoppolo M, Malvagia S, Boenzi S, et al. Expanded Newborn Screening in Italy Using Tandem Mass Spectrometry: Two Years of National Experience. Int J Neonatal Screen. 2022 Aug 9;8(3):47. doi: 10.3390/ijns8030047

Moscu-Gregor A, Marschall C, Müntjes C, et al. Novel variants in TECRL cause recessive inherited CPVT type 3 with severe and variable clinical symptoms. J Cardiovasc Electrophysiol. 2020 Jun;31(6):1527-1535. doi: 10.1111/jce.14446 

Kallas D, Lamba A, Roston TM, et al. Pediatric Catecholaminergic Polymorphic Ventricular Tachycardia: A Translational Perspective for the Clinician-Scientist. Int J Mol Sci. 2021 Aug 27;22(17):9293. doi: 10.3390/ijms22179293 

Webster G, Aburawi EH, Chaix MA, et al. Life-threatening arrhythmias with autosomal recessive TECRL variants. Europace. 2021 May 21;23(5):781-788. doi: 10.1093/europace/euaa376 

Sur le web :

Maladies rares : l’enjeu du diagnostic et du dépistage néonatal (Le Monde, 2 mars 2024)

Ibrahim SA, Temtem T. Medium-Chain Acyl-CoA Dehydrogenase Deficiency. 2023 Jul 10. In: StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2024 Jan.

Dépistage néonatal. Critères d’évaluation pour l’intégration de nouvelles maladies au programme national du dépistage à la naissance (HAS, 16 mars 2023)

Fiche d’information sur le dépistage du déficit en MCAD à destination des professionnels de santé (Ministère des solidarités et de la santé, juin 2020) 

Déficit en MCAD (Programme national de dépistage néonatal) 

Le déficit en MCAD. Déficit en acyl-CoA déshydrogénase
des acides gras à chaîne moyenne. MCADD (Encyclopédie Orphanet du Handicap, janvier 2015) 

Le déficit en MCAD. Déficit en acyl-CoA déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne MCADD (Orphanet, novembre 2014) 

Déficit en acyl-CoA déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne  (Orphanet, octobre 2014)

Fiches d’information à destination des familles et des professionnels de santé dans le cadre de l’ajout du déficit en MCAD au programme national de dépistage néonatal (HAS, février 2021) 

L’hématidrose, cette maladie extrêmement rare dans laquelle on transpire du sang

Suitement de sang provenant de la joue droite. Gandarillas ME, et al. Int J Dermatol. 2024 Feb;63(2):242-243.

C’est l’histoire d’une petite fille argentine de 8 ans qui présente depuis huit mois des pertes spontanées de sang à partir de n’importe quelle partie du corps. D’abord au niveau de l’oreille gauche, puis de la joue droite. Une fois, ce « saignement » s’est produit dans le dos, toujours sans cause apparente. La fillette dit ressentir une sorte de sensation électrique et une douleur quand cela se produit.

Ces épisodes de saignement se produisent plusieurs fois par jour, jusqu’à vingt-cinq fois, tant à l’école que chez elle, principalement en situation de stress psychologique. Des adultes ont assisté à ces épisodes, notamment sa mère, mais également son institutrice. Sa mère a pris des photos qu’elle a montrées à des dermatologues de l’hôpital Ramos Mejia de Bogota.

L’examen clinique est normal, sans lésions cutanées notables. Le bilan hématologique (numération sanguine, temps de coagulation, temps de saignement, temps de prothrombine, temps de céphaline activé, INR) est normal, de même que les examens standards de laboratoire.

Le prélèvement liquidien montre que le fluide renferme des globules rouges. C’est donc bien du sang que contiennent ces suintements. En d’autres termes, la petite patiente présente ce qu’on appelle une hématidrose, à savoir un suintement de sang par la peau. Ou pour le dire encore plus simplement, elle transpire du sang.

La « transpiration » de sang est un phénomène extrêmement peu rapporté dans la littérature médicale. Cette affection est bénigne, mais alarmante pour le patient et sa famille.

Cette perte spontanée de sang peut se produire au niveau de n’importe quelle partie du corps : front, cuir chevelu, oreille, nez, cavité buccale, joue, paume, plante des pieds, membres, tronc, ombilic. Les sites les plus fréquemment rapportés sont la face, les oreilles et les mains. Le suintement sanguin, qui est moins visqueux que le sang, peut apparaître dans la journée ou lorsque la personne dort.

Suintement de sang par une peau intacte

Une étude américaine, publiée en 2021 dans la revue Pediatric Dermatology, indique avoir répertorié 36 cas d’hématidrose rapportés dans la littérature médicale internationale depuis 1952,  principalement chez des patients pédiatriques (83 % de cas). L’âge moyen de l’ensemble des patients est de 15,5 ans, compris entre 2 mois et 72 ans. Sur les 36 cas, 30 concernaient des femmes.

Parmi les enfants atteints, l’âge moyen est de 11 ans. La majorité des cas concerne des enfants de sexe féminin (25 sur 30) et le plus souvent des sujets d’origine asiatique.

La durée des épisodes de saignement varie selon les patients de quelques minutes à un quart d’heure. Ils peuvent être précédés de légers picotements, d’une sensation de brûlure cutanée, de douleurs abdominales, ou encore de maux de tête.

Mais revenons au cas de la petite patiente argentine rapporté dans un article publié en février 2024 dans l’International Journal of Dermatology. Elle a été traitée avec un bêta-bloquant (propanolol). Elle a suivi ce traitement pendant une semaine puis l’a interrompu, avant d’être traitée à nouveau par un autre bêta-bloquant (timolol par voie orale). Une psychothérapie a été conseillée. Depuis, les suintements sanguins sont moins fréquents. Leur fréquence quotidienne est passée de 25 à 2 ou 3. Ils sont même absents certains jours.

Il n’existe pas d’examen permettant d’affirmer qu’il s’agit d’une hématidrose. Cette pathologie est en effet un diagnostic d’exclusion. Il est essentiel que des témoins assistent à ces épisodes, en même temps qu’il convient d’éliminer d’autres causes possibles d’écoulement sanglant spontané sur une peau saine. On doit ainsi s’assurer que la personne ne présente pas une fragilité vasculaire, en l’occurrence une vascularite, un trouble du tissu conjonctif, mais aussi un scorbut ou une maladie hémorragique. Dans l’hématidrose, le bilan de coagulation est normal.

L’hématidrose ne doit pas être confondue avec un autre syndrome, lui aussi, associé à un facteur psychologique déclenchant : le syndrome de Gardner-Diamond (purpura psychogénique), pathologie correspondant à une autosensibilisation des patients à leurs propres globules rouges et responsable de l’apparition d’ecchymoses douloureuses.

Il importe aussi d’éliminer une pseudochromhidrose, qui est une maladie de peau rare causée par des produits chimiques, des médicaments ou des bactéries produisant une pigmentation rouge et pouvant colorer la sueur.

Il faut également exclure une chromohidrose, c’est-à-dire une coloration anormale de la sueur due à l’excrétion de pigments par les glandes sudorales, qu’il s’agisse des glandes sudorales apocrines (dont le canal excréteur aboutit au niveau d’un follicule pilosébacé) ou des glandes sudorales eccrines (qui s’ouvrent par un pore directement à la surface de la peau). La chromhidrose peut ainsi être d’origine apocrine ou eccrine. La chromhidrose apocrine, associée aux glandes sudoripares du même nom, est localisée sur le visage, les aisselles et les aréoles des seins. Quant à la chromhidrose des glandes eccrines, très rare et souvent généralisée, elle est dans la plupart des cas secondaire à l’ingestion par voie orale de médicaments (quinine, lévodopa, rifampicine) ou de colorants.

Enfin, il faut évidemment éliminer la possibilité d’un trouble factice où le patient déposerait volontairement du sang sur sa peau. Voilà donc en quoi consiste le diagnostic différentiel, autrement dit l’identification des pathologies qui présentent des symptômes proches ou similaires.

Plusieurs cas d’hématidrose ont récemment été publiés dans la littérature. En 2023, des médecins ORL japonais ont rapporté dans la revue Clinical Case Reports le cas d’une fillette de 9 ans qui saignait des oreilles, du nez et des yeux. Ces épisodes duraient chaque jour entre trente minutes et plusieurs heures. La mère a évidemment pris des photos.

Sha Y, et al. Clin Case Rep. 2023 May 28;11(6):e7337.

Au vu des clichés, il semblait que les saignements pouvaient provenir du canal auditif externe, du vestibule nasal (partie antérieure de la cavité nasale) et des paupières.

Sha Y, et al. Clin Case Rep. 2023 May 28;11(6):e7337

Par la suite, des écoulements de sang sont apparus étendues aux aisselles, aux mamelons, au périnée, au front, à la paume des mains et à la plante des pieds.

Un dermatologue a réalisé une biopsie cutanée au niveau du canal auditif externe et du bras (pour servir de site contrôle). Aucune anomalie n’a été observée.

La jeune patiente a été hospitalisée, ce qui a notamment permis d’exclure un trouble factice. La fillette n’inventait pas ces symptômes, ne falsifiait pas l’histoire de sa maladie en tentant de tromper les médecins. D’ailleurs, lors de son séjour à l’hôpital, elle a présenté un saignement de l’oreille droite.

Les médecins de la faculté de médecine de Nagano ont interrogé l’enfant sur ses sources possibles de stress. Elle leur a déclaré que ses relations avec ses amis et certains événements, comme un récital de musique et les activités sportives, étaient pour elle des sources de stress.

La petite patiente a été orientée vers un pédopsychiatre qui n’a pas jugé nécessaire de lui faire suivre un traitement médicamenteux. Mais, par la suite, les suintements de sang se sont progressivement étendus à de nombreux endroits sur le corps.

Cet enfant a d’abord présenté des suintements de sang sur le visage, notamment au niveau du conduit auditif externe, du vestibule nasal et de la paupière, où les glandes sudorales apocrines prédominent. Par la suite, ces écoulements sanguins se sont propagés aux aisselles, aux mamelons et au périnée, où l’on trouve également des glandes apocrines. Enfin, les saignements sont survenus sur les paumes et les plantes, où les glandes eccrines sont présentes. Il semble donc que l’hématidrose puisse survenir au niveau des deux types de glandes sudorales, eccrines et apocrines.

La progression de la maladie a eu un impact significatif sur la qualité de vie de l’enfant, au point qu’elle ne pouvait plus aller à l’école. Elle a alors été traitée par propranolol. La dose du bêta-bloquant a été augmentée jusqu’à 50 mg/jour, ce qui a entraîné une diminution de la durée des épisodes hémorragiques (inférieure à dix minutes). Leur fréquence a également été réduite, les saignements ne se produisant plus qu’une fois sur une période de plusieurs semaines. Six mois plus tard, la fillette a arrêté de suivre son traitement. Les médecins ont observé un contrôle des épisodes de saignements pendant au moins un an.

L’analyse de l’écoulement est également impérative pour confirmer que le liquide suintant contient bien des globules rouges. Une étude est même allée jusqu’à analyser le sang afin de prouver, en utilisant 24 marqueurs génétiques différents, qu’il s’agissait de celui d’une fillette de 10 ans et non du sang de ses parents ou de proches.

Une origine non encore élucidée

Schéma illustrant la disposition des glandes sudorales apocrines et eccrines par rapport au follicule pileux, aux vaisseaux sanguins et au pore de la peau. Sha Y, et al. Clin Case Rep. 2023 May 28;11(6):e7337.

Deux mécanismes physiopathologiques ont été proposés par des équipes de chercheurs pour expliquer la survenue d’une hématidrose. La première hypothèse postule que le stress pourrait entraîner dans un premier temps une constriction des vaisseaux sanguins (vasoconstriction) situés autour des glandes sudorales. Une fois le stress passé, il se produirait une dilatation de ces vaisseaux, aboutissant à leur rupture. Du sang se déverserait alors dans les glandes sudorales et parviendrait jusqu’à la surface de la peau sous la forme de gouttelettes de sang mêlées à la sueur. Tout ceci n’explique cependant pas pourquoi de nombreuses biopsies cutanées n’ont pas montré la présence de globules rouges dans les conduits des glandes sudorales.

La seconde théorie implique la présence de zones fragilisées dans le derme (défects) qui se remplissent de sang, avant de l’évacuer à la surface cutanée. Après avoir expulsé leur contenu, ces espaces dermiques s’effondrent jusqu’à ce que le flux sanguin les remplisse à nouveau à l’occasion d’un nouvel épisode. Il est donc possible que ces espaces aient totalement disparu au moment où la biopsie cutanée est réalisée.

En 2021, des chercheurs américains ont rapporté dans le Journal of Pediatric Hematology/Oncology une possible prédisposition génétique chez deux enfants, nés de mère africaine, présentant une hématidrose, en l’occurrence chez un garçon de 9 ans et sa demi-sœur de 6 mois.

Par ailleurs, des chercheurs mexicains ont relaté en 2020 dans la revue Clinical and Experimental Dermatology le cas d’un homme de 22 ans atteint  depuis l’âge de 6 ans à la fois d’hématidrose et d’hémolacrie. Il avait donc une transpiration de sang et des larmes sanglantes, des épisodes qui duraient de 3 à 25 minutes et survenaient à chaque fois dans un contexte de détresse émotionnelle. Ce jeune adulte est porteur de mutations dans plusieurs gènes impliqués dans la matrice extracellulaire, qui est un réseau de macromolécules assurant le soutien et la protection des cellules et participant à leur organisation en tissus. La matrice extracellulaire joue un rôle dans l’intégrité et la formation de la paroi vasculaire.

Des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre la survenue de cette étrange pathologie dermatologique. Ceci passe par l’analyse du génome des patients, l’étude histologique des prélèvements biopsiques, la microscopie confocale qui permet d’étudier des phénomènes dynamiques sur des cellules ou des tissus, ou encore l’échographie lors d’un épisode de saignement.

Jusqu’à présent, le nombre de cas d’hématidrose rapportés dans la littérature médicale est faible, tout comme celui des biopsies cutanées, ce qui ne permet pas de tirer de conclusions définitives sur la physiopathologie et sur les thérapeutiques qui seraient les plus efficaces.

Dans un contexte de stress mental ou émotionnel

ématidrose. Indian J Dermatol. 2013 Nov-Dec; 58(6): 478–480

La plupart des publications relatant des cas cliniques d’hématidrose soulignent que le stress mental ou émotionnel, en rapport avec la famille, l’école, le travail, apparaît être un facteur précipitant l’apparition d’épisodes de sueurs sanguines spontanées survenant sur une peau normale, indemne de toute inflammation ou de cicatrice.

Le cas d’une adolescente indienne de 13 ans, rapporté en 2021 par des médecins de New Delhi dans Pediatric Dermatology, apparaît bien illustrer l’importance des facteurs psychologiques. Cette enfant présente depuis trois mois des écoulements sanguins au niveau du nez et des paumes. Elle est orpheline depuis la disparition de ses parents trois ans auparavant. Suite à leur décès, elle a présenté des antécédents d’attaques de panique pour lesquelles elle est traitée. Son hématidrose a été soignée avec succès par l’oxybutynine, un médicament anticholinergique utilisé dans l’hyperhidrose, autrement dit dans la transpiration excessive.

D’autres situations stressantes ont été identifiées dans l’étude américaine qui a recensé 36 cas d’hématidrose. Il s’agit notamment d’un stress physique intense, de harcèlement scolaire, du fait d’avoir été témoin de l’enlèvement d’un membre de la famille ou de la décapitation d’une femme. L’Inde est le pays qui compte le plus de patients (13 cas sur 36), suivi de l’Afrique du Sud (4 cas) et de l’Iran (3 cas).

Le propanolol, les anxiolytiques et la psychothérapie (techniques de relaxation, thérapie cognitivo-comportementale, éducation des parents) font partie des traitements habituellement utilisés dans l’hématidrose. Le propanolol peut entraîner des effets secondaires, notamment une hypotension ou une bradycardie (ralentissement du rythme cardiaque), ce qui nécessite un suivi régulier. Bien que le mécanisme d’action du propanolol ne soit pas clair dans l’hématidrose, il est possible que ce bêta-bloquant agisse en induisant une vasoconstriction et en inhibant la formation de nouveaux vaisseaux sanguins (inhibition de l’angiogenèse). Quoi qu’il en soit, tout traitement prolongé devrait impliquer la participation d’un pédiatre.

Pour conclure ce billet, assez saignant j’en conviens, sachez que l’on trouve la première description de l’hématidrose dans la Bible (« En proie à l’angoisse, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang qui tombaient à terre », Luc 22:42). Par la suite, l’hématidrose a été rattachée à des croyances religieuses et considérée comme relevant de stigmates.

Dans des peintures du XVe siècle

Léonard de Vinci a décrit un soldat qui transpirait du sang avant la bataille. L’hématidrose a été le thème de plusieurs peintures de la Renaissance au XVe siècle, soulignent des hématologues de Singapour qui ont rédigé un article sur ce sujet en février 2024 dans la revue Seminars in thrombosis and hemostasis.

Jésus Christ dans le jardin de Gethsémané. Christus am Ölberg, Meister der Freisinger Passion. © Bayerische Staatsgemäldesammlungen

L’artiste allemand connu sous le nom de Maître de la Passion de Lyversberg a ainsi peint Jésus Christ dans le jardin de Gethsémané, atteint d’épisodes de saignements au pied du Mont des Oliviers.

Tabernakelbildstock in Taisten. Christus am Ölberg. Jésus au Mont des Oliviers. © Wikimedia Commons

Un autre tableau, possiblement peint par Wolfgang Sauber vers 1460 et faisant partie d’une fresque, représente Jésus au Mont des Oliviers, victime d’écoulements de sang sur le visage (Tabernakelbildstock in Taisten. Christus am Ölberg).

Scott CT. BMJ 1918;1(2993):532–533.

La première description médicale de cette pathologie dermatologique remonte à 1918 dans le British Medical Journal.

Cette rare affection dermatologique, vieille comme le monde mais toujours peu connue, a de quoi rendre perplexe plus d’un médecin. En 2019, des pédiatres et dermatologues suédois ont rapporté dans la revue Acta Paediatrica le cas d’un garçon de 9 ans qui a présenté une vingtaine d’épisodes de saignement sur le front et dans le cou en l’espace de quatre semaines. Ce n’est qu’après avoir été examiné par onze médecins et quatre pédiatres chevronnés dans trois services d’urgences pédiatriques d’hôpitaux de Stockholm et de ses environs que le diagnostic d’hématidrose a finalement été établi. Avant cela, ce jeune patient avait été vu par deux médecins généralistes et un neurologue dans un dispensaire pour enfants.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, BlueSky, et sur mon autre blog Le diabète dans tous ses états, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 62 billets).

Pour en savoir plus :

Gandarillas ME, Guiot-Isaac N, Larralde M. Pediatric hematohidrosis: case report of a rare clinical entity. Int J Dermatol. 2024 Feb;63(2):242-243. doi: 10.1111/ijd.16939

Goh SW, Wee WHD, Chua WXR, Fan BE. Hematohidrosis in 15th Century Renaissance Art and a Review of Modern Literature. Semin Thromb Hemost. 2024 Feb;50(1):119-129. doi: 10.1055/s-0043-1768937

Sha Y, Yoshimura H, Saito S, Kitoh R, Takumi Y. A case of hematohidrosis successfully treated with a beta-blocker. Clin Case Rep. 2023 May 28;11(6):e7337. doi: 10.1002/ccr3.7337 

Fall M, Diop AM, Bassole PR. Une hématidrose qui soulève le doute : réorientation d’un diagnostic de crises épileptiques vers des crises non épileptiques psychogènes. Pratique Neurologique – FMC. 2022 Sep;13(3):195-197. doi: 10.1016/j.praneu.2022.03.001  

Carrion-Alvarez D, Trejo-Castro AI, Salas-Garza M, et al. Hematohidrosis, Hemolacria, and « Trichorrhage »: A Systematic Review. Skin Appendage Disord. 2022 May;8(3):179-185. doi: 10.1159/000520648

Shafique DA, Hickman AW, Thorne A, et al. Pediatric hematidrosis – A case report and review of the literature and pathogenesis. Pediatr Dermatol. 2021 Sep;38(5):994-1003. doi: 10.1111/pde.14792

Tirthani K, Sardana K, Mathachan SR. Hematohidrosis of the mid-face and hands treated with oral oxybutynin. Pediatr Dermatol. 2021 Jul;38(4):962-963. doi: 10.1111/pde.14621

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Salas-Alanis JC, Salas-Garza M, Goldust MM, Fajardo-Ramirez OR. Haematidrosis and haemolacria in a young adult. Clin Exp Dermatol. 2021 Mar;46(2):394-396. doi: 10.1111/ced.14348

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Manonukul J, Wisuthsarewong W, Chantorn R, et al. Hematidrosis: a pathologic process or stigmata. A case report with comprehensive histopathologic and immunoperoxidase studies. Am J Dermatopathol. 2008 Apr;30(2):135-9. doi: 10.1097/DAD.0b013e318164cf4b

Scott CT. A case of haematidrosis. BMJ 1918;1(2993):532–533.  doi: 10.1136/bmj.1.2993.532

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