Atteinte de la moelle épinière chez un patient français consommateur de gaz hilarant

Cartouches pour siphon à chantilly contenant du protoxyde d’azote. Rob Brewer © Flickr


Des médecins français rapportent un cas d’atteinte de la moelle épinière au niveau du cou chez un homme de 24 ans, gros consommateur de protoxyde d’azote (N2O). Communément appelé gaz hilarant ou « proto », ce produit est très prisé des jeunes pour son soudain effet euphorisant.


Utilisé dans le milieu médical (en association avec de l’oxygène) pour ses propriétés anesthésiques et analgésiques, ce produit est employé comme gaz de pressurisation d’aérosol alimentaire. Il est notamment utilisé dans les cartouches pour siphon à chantilly. Vidé dans un ballon de baudruche, le contenu de la cartouche est inhalé. Il provoque alors rapidement un effet euphorisant qui dure une vingtaine de secondes.


L’usage détourné du protoxyde d’azote a été observé en France depuis 1999. Aisément disponible et vendu à un prix modique (1 à 2 euros) en supermarché, ce gaz est particulièrement consommé par des populations de lycéens et d’étudiants. Le 11 décembre 2019, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d’azote.


Interférence avec le métabolisme de la vitamine B12

Le protoxyde d’azote (N2O) endommage le système nerveux en interférant avec le métabolisme de la vitamine B12. Plus précisément, le N2O entraîne l’inactivation irréversible de cette dernière. La vitamine B12 ne peut alors plus se lier à une enzyme, ce qui entraîne une altération de la gaine de myéline.* Or c’est la myéline qui permet la conduction, de manière rapide et efficace, des signaux électriques le long des fibres nerveuses. L’atteinte de la myéline entraîne donc une perturbation de la transmission nerveuse.

Troubles de la sensibilité 

Mais revenons au cas de ce patient décrit par des neurologues du Havre dans un article paru en ligne le 27 décembre 2019 dans la Revue Neurologique. Ce jeune homme, sans antécédents médicaux, est hospitalisé pour la survenue sur les membres inférieurs et supérieurs de sensations anormales (paresthésies), évoluant depuis cinq jours. Ces sensations, habituellement comparées à des fourmillements, des picotements des engourdissements, sont bilatérales et symétriques. Elles remontent de chaque côté au niveau des coudes et des genoux. S’ajoutent à cela, une perte de la sensibilité fine (hypoesthésie épicritique) et un déficit de la sensibilité profonde (vibrations, sens de position et de mouvement), appelé ataxie proprioceptive. En revanche, les neurologues notent qu’il n’y a pas d’atteinte motrice. Les réflexes sont présents.

Cliché de gauche : l’IRM de la moelle épinière cervicale met en évidence un hypersignal anormal des cordons postérieurs, longs faisceaux nerveux véhiculant notamment la sensibilité tactile épicritique (superficielle) et la sensibilité proprioceptive (profonde). Cliché de droite : les coupes axiales révèlent un signal hyperintense T2 en « V inversé » (visible au-dessus de la pointe de la flèche jaune). L’image n’est pas celle du patient français, mais d’un autre cas clinique rapporté par une équipe chinoise. Yuan JL, et al. BMC Neurol. 2017 Dec 28;17(1):222.

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) de la moelle épinière met en évidence une atteinte de la moelle épinière s’étendant de la deuxième à la sixième vertèbre cervicale (myélite subaiguë extensive cervicale de C2 à C6 avec atteinte élective des cordons postérieurs). En revanche, la ponction lombaire et l’imagerie cérébrale sont normales. De même, l’analyse du liquide céphalo-rachidien ne montre pas de signe de méningite. Les cultures microbiennes reviennent négatives. 


Entre 100 et 200 cartouches par semaine

Le jeune homme déclare aux médecins une utilisation de protoxyde d’azote à des fins récréatives depuis deux ans. Il consomme chaque semaine le gaz contenu dans 100 à 200 cartouches de siphon à chantilly.


Le dosage de la vitamine B12 plasmatique est normal, mais celui de l’homocystéinémie est augmenté (87 micromoles/L, taux normal inférieur à 15 micromoles/L). 
Un traitement par vitamine B12, à raison d’une injection intramusculaire par semaine, a entraîné une régression rapide des symptômes neurologiques. Trois mois plus tard, l’image de la moelle épinière à l’IRM s’est normalisée, mais le taux d’homocystéine reste élevé (20,4 micromoles/L). Il est alors décidé de poursuivre la supplémentation vitaminique à raison d’une injection de 1 mg par mois.

Patients anglais


En mai 2018, des médecins urgentistes et neurologues de plusieurs hôpitaux londoniens ont rapporté une atteinte subaiguë de la moelle épinière cervicale chez dix patients âgés de 17 à 26 ans. En moyenne, ces individus consommaient du protoxyde d’azote deux à trois fois par semaine, ce qui représentaient entre 75 et 2000 cartouches.

En février 2019, des neurologues de Liverpool ont rapporté le cas d’un adolescent de 17 ans ayant présenté une sévère atteinte de moelle épinière associée à une consommation prolongée de protoxyde d’azote à des fins récréatives. Ce patient avait inhalé environ 40 cartouches durant les 48 heures précédant l’apparition des symptômes neurologiques, en l’occurrence des troubles de la sensibilité des membres inférieurs, suivis une semaine après d’une faiblesse des membres inférieurs puis supérieurs. Après supplémentation vitaminique en B12 puis rééducation neurologique, cet homme a pu remarcher sans aide. 


Une fois vidé dans un ballon de baudruche, le protoxyde d’azote contenu de la cartouche est inhalé. Thompson AG, et al. Pract Neurol. 2015 Jun;15(3):207-9.

Des fausses pistes au vrai diagnostic

Enfin, en décembre 2019, des neurologues de Birmingham ont décrit le cas d’une femme d’origine éthiopienne âgée de 27 ans. Née en Grande-Bretagne, elle s’était rendue en Ethiopie deux ans auparavant. Elle est hospitalisée pour une fièvre à 38 °C et des troubles cognitifs (état léthargique, trouble de la personnalité et perturbation du sommeil).

Les médecins évoquent dans un premier temps le diagnostic d’encéphalite infectieuse et lui prescrivent un traitement antibiotique. Les cultures bactériennes et les examens de biologie moléculaire ne retrouvent pas de trace de germes pathogènes. L’antibiothérapie est arrêtée. La possibilité qu’il s’agisse d’une encéphalite virale est alors suggérée d’autant que l’électroencéphalogramme (EEG) montre des caractéristiques d’encéphalopathie. Un antiviral est alors administré à la patiente. C’est alors que la ponction lombaire montre un profil compatible avec une tuberculose, diagnostic d’autant plus plausible que la patiente s’est récemment rendue en Ethiopie.

Devant la suspicion de méningite tuberculeuse, la jeune femme est traitée par une association de cinq médicaments en attendant les résultats des cultures bactériennes. Mais lorsque celles-ci reviennent, elles sont négatives. Entre temps, les médecins apprennent que la patiente est une consommatrice régulière de protoxyde d’azote à des fins récréatives. Jusqu’à récemment, elle utilisait à chaque fois jusqu’à 24 cartouches.

Le traitement antituberculeux est interrompu et une supplémentation en vitamine B12 est mise en place chez cette patiente qui présentait donc une atteinte nerveuse (neuropathie périphérique) et une inflammation du cerveau (encéphalite). L’utilisation prolongée de protoxyde d’azote a entraîné un déficit sévère en B12, lequel peut parfois entraîner de la fièvre. Sous l’effet de la supplémentation en vitamine B12 et de l’abstinence en protoxyde d’azote, l’état neurologique de la patiente s’est significativement amélioré durant les quatre mois suivant la sortie de l’hôpital.

Un problème de santé publique croissant

Selon Alexis Delmas, Reynald Le Boisselier et leurs collègues de l’hôpital Jacques Monod (Le Havre), l’incidence des complications neurologiques associées au mésusage chronique du protoxyde d’azote (utilisé dans un tel contexte pur à plus de 99 %) va progresser dès lors que la consommation de N2O augmente dans le monde. En effet, le protoxyde d’azote est le septième produit récréatif le plus populaire dans le monde. Au Royaume-Uni, le gaz hilarant est la quatrième substance la plus utilisée par les clients des boîtes de nuit. On estime que 8,8% des individus âgés de 16 à 24 ans en consomment.


Et les auteurs de conclure que l’usage détourné du protoxyde d’azote « doit être connu des médecins, de même que les caractéristiques cliniques et radiologiques associées (myélite cervicale extensive, atteinte des cordons médullaires postérieurs, signe du V inversé) qui peuvent être liées à des séquelles handicapantes chez de jeunes patients ». Façon de dire à ces consommateurs : fini de rire avec le protoxyde d’azote.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)

* Il se produit sous l’effet N2O une inactivation irréversible de la vitamine B12 (cobalamine) du fait de l’oxydation de ses ions cobalt. Inactivée, la vitamine B12 ne peut plus se lier à l’enzyme méthionine synthétase. Il s’ensuit une diminution du recyclage de l’homocystéine en méthionine, qui empêche la méthylation des protéines de la gaine de myéline, avec pour conséquence une hypomyélinisation et une myélinisation anormale. En cas de normalité du taux plasmatique de la vitamine B12, l’homocystéinémie doit être dosée. A noter qu’un taux sanguin de vitamine B12 n’exclut pas le diagnostic dans la mesure où un déficit « fonctionnel » vitaminique peut se produire malgré des concentrations normales de vitamine B12. Dans de tels cas, des taux augmentés d’acide méthylmalonique (AMM) et d’homocystéine peuvent grandement orienter le diagnostic.

Pour en savoir plus : 



Demas A, Le Boisselier R, Simonnet L, De Menibus-Demas L, Langlois V, Cochin JP. Another extensive nitrous oxide (N2O) myelopathy: The wood for the trees? Rev Neurol (Paris). 2019 Dec 27. pii: S0035-3787(19)30905-1. doi: 10.1016/j.neurol.2019.10.005

Hughes G, Moran E, Dedicoat MJ. Encephalitis secondary to nitrous oxide and vitamin B12 deficiency. BMJ Case Rep. 2019 Dec 2;12(12). pii: e229380. doi: 10.1136/bcr-2019-229380

Tani J, Weng HY, Chen HJ, Chang TS, Sung JY, Lin CS. Elucidating Unique Axonal Dysfunction Between Nitrous Oxide Abuse and Vitamin B12 Deficiency. Front Neurol. 2019 Jul 9;10:704. doi: 10.3389/fneur.2019.00704

Oussalah A, Julien M, Levy J, Hajjar O, Franczak C, Stephan C, Laugel E, Wandzel M, Filhine-Tresarrieu P, Green R, Guéant JL. Global Burden Related to Nitrous Oxide Exposure in Medical and Recreational Settings: A Systematic Review and Individual Patient Data Meta-Analysis. J Clin Med. 2019 Apr 23;8(4):551. doi: 10.3390/jcm8040551

Williamson J, Huda S, Damodaran D. Nitrous oxide myelopathy with functional vitamin B 12 deficiency. BMJ Case Rep. 2019 Feb 13;12(2). pii: e227439. doi: 10.1136/bcr-2018-227439



Keddie S, Adams A, Kelso ARC, Turner B, Schmierer K, Gnanapavan S, Malaspina A, Giovannoni G, Basnett I, Noyce AJ. No laughing matter: subacute degeneration of the spinal cord due to nitrous oxide inhalation. J Neurol. 2018 May;265(5):1089-1095. doi: 10.1007/s00415-018-8801-3

Yuan JL, Wang SK, Jiang T, Hu WL. Nitrous oxide induced subacute combined degeneration with longitudinally extensive myelopathy with inverted V-sign on spinal MRI: a case report and literature review. BMC Neurol. 2017 Dec 28;17(1):222. doi: 10.1186/s12883-017-0990-3

Garakani A, Jaffe RJ, Savla D, Welch AK, Protin CA, Bryson EO, McDowell DM. Neurologic, psychiatric, and other medical manifestations of nitrous oxide abuse: A systematic review of the case literature. Am J Addict. 2016 Aug;25(5):358-69. doi: 10.1111/ajad.12372

Thompson AG, Leite MI, Lunn MP, Bennett DL. Whippits, nitrous oxide and the dangers of legal highs. Pract Neurol. 2015 Jun;15(3):207-9. doi: 10.1136/practneurol-2014-001071

Vasconcelos OM, Poehm EH, McCarter RJ, Campbell WW, Quezado ZM. Potential outcome factors in subacute combined degeneration: review of observational studies. J Gen Intern Med. 2006 Oct;21(10):1063-8  doi:10.1111/j.1525-1497.2006.00525.x 

Sur le web : 



Usages dangereux du protoxyde d’azote (Sénat)

LIRE aussi : Le protoxyde d’azote, un gaz hilarant qui ne fait pas du tout rire les médecins

Le protoxyde d’azote, un gaz hilarant qui ne fait pas du tout rire les médecins

Cartouches contenant du protoxyde d’azote. Son effet hilarant fut découvert en 1799 par le chimiste anglais Humphry Davy (futur président de la Royal Society). Le N2O est utilisé comme gaz propulseur dans certains aérosols, notamment ceux de crème chantilly. © Flickr

Le protoxyde d’azote (N2O), communément appelé « gaz hilarant » ou « proto », est un agent anesthésique volatil utilisé par voie inhalée depuis 170 ans par les médecins. Son utilisation, dans le cadre d’un usage récréatif, peut être responsable d’accidents inattendus.

Ces derniers mois, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Corée, des équipes médicales ont rapporté la survenue d’une atteinte de la moelle épinière dans le but d’attirer l’attention sur une complication peu connue du protoxyde d’azote détourné de son usage initial pour ses propriétés euphorisantes.

Dans le champ médical, le N2O est contenu dans des bouteilles prêtes à l’emploi. Constitué de 50 % de protoxyde d’azote et de 50 % d’oxygène, ce mélange gazeux induit une sédation-analgésie (diminution de la vigilance et de la douleur) avec maintien de la conscience.

Le N2O n’étant pas métabolisé par l’organisme, il est rapidement éliminé, avec une disparition des effets deux à trois minutes après arrêt de l’inhalation. Celle-ci entraîne une euphorie, un fou rire, une distorsion des sons et de légères hallucinations, qui culminent après une vingtaine de secondes pour rapidement se dissiper. Les usagers se sentent souvent parfaitement normaux dans les deux minutes qui suivent l’inhalation. Des vertiges, des maux de tête, une vision floue peuvent cependant survenir.

Consommation visible dans l’espace public

Le 20 décembre 2018, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a publié un rapport soulignant la visibilité du protoxyde d’azote dans l’espace public. « À Lille, à partir de 2017, des consommations sont devenues soudainement visibles. De nombreuses petites cartouches grises contenant le gaz sont retrouvées, de façon continuelle et massive, dans plusieurs secteurs de l’espace urbain : le long des trottoirs, aux abords de certaines épiceries de nuit, à proximité de grands ensembles urbains où se pratique le deal de drogues illicites, etc », peut-on lire. Plusieurs profils de consommateurs ont été identifiés dans la métropole lilloise : « jeunes impliqués dans le trafic de stupéfiants, personnes prostituées, personnes précaires, mais aussi des collégiens et des lycéens », avides d’expérimentations dans un cadre collectif et « convivial ».

Ces usages détournés ont été observés dans d’autres contextes festifs : free parties, teknivals, soirées étudiantes, notamment « médecine » à Bordeaux, Paris, Lille, Lyon. Des cartouches prêtes à consommer au bar circulent dans des soirées lyonnaises.

Manque d’information sur la dangerosité du « proto »

Au sein de l’OFDT, les dispositifs TREND (Tendances récentes et nouvelles drogues) s’intéressent essentiellement aux groupes particulièrement consommateurs de produits psychoactifs. « Les sites TREND de Lille et Bordeaux insistent sur le manque d’information des usagers, notamment les plus jeunes d’entre eux, concernant la dangerosité du produit. La diffusion d’informations sur le protoxyde d’azote est d’autant plus nécessaire que des consommations répétées et à intervalles trop rapprochés peuvent entraîner  des maux de têtes, des vertiges, mais également des troubles du rythme cardiaque graves (notamment si le gaz est associé à des stimulants », souligne le rapport. Un jeune homme de 19 ans est décédé en mai 2016 lors d’une soirée festive.

Plusieurs études internationales ont récemment rapporté un autre risque, neurologique celui-là, lié à l’usage détourné du protoxyde d’azote. Elles rapportent que le protoxyde d’azote peut entraîner une atteinte de la moelle épinière.

Une étude sud-coréenne, publiée en ligne en octobre 2018 dans le Journal of Clinical Neurology, rapporte la survenue de cette complication neurologique chez ces deux patients habitués à inhaler de fortes doses de N2O.

Une femme de 22 ans a consulté pour des troubles de la sensibilité (paresthésie) des membres inférieurs et des mains, évoluant depuis deux mois. Sa marche était instable. L’interrogatoire de la patiente a permis d’apprendre qu’elle avait inhalé du protoxyde d’azote contenu dans des ballons de baudruche (« happy ballons ») plus de 100 fois au cours des deux derniers mois.

Le second patient, un homme de 33 ans, a été hospitalisé pour faiblesse symétrique et progressive des membres inférieurs, trouble de l’équilibre et difficultés à la marche. Il a confié à l’équipe soignante avoir inhalé jusqu’à 5 litres de gaz hilarant au cours des six derniers mois.

Atteinte de la moelle épinière

Le N2O endommage le système nerveux en interférant avec le métabolisme de la vitamine B12*, avec pour conséquence une perte de la gaine de myéline qui permet la conduction, de manière rapide et efficace, des signaux électriques le long des fibres nerveuses. L’atteinte de la myéline entraîne donc une interruption de la transmission nerveuse. Le N2O est également responsable d’une anémie dite mégaloblastique, caractérisée par des globules rouges de grande taille.

Les analyses sanguines des deux patients sud-coréens ont révélé de faibles taux de vitamine B12**. Ils présentaient une sclérose combinée de la moelle, une atteinte dégénérative de la moelle épinière se manifestant par une faiblesse musculaire dans les jambes et une atteinte de la sensibilité profonde.

Le diagnostic est facilité par l’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui montre souvent un aspect typique***. Le traitement consiste en des injections de vitamine B12 (1 mg) toutes les deux semaines suivies d’un relais par voie orale. Chez ces deux patients, la vitaminothérapie, associée à l’arrêt des inhalations de N2O, a entraîné une amélioration progressive de l’état neurologique.

L’usage récréatif du protoxyde d’azote repose largement sur l’utilisation de cartouches de gaz propulseur de crèmes chantilly achetés en boutiques ou sur Internet. Celles-ci sont fixées à des ballons de baudruche qui servent à inhaler le gaz hilarant. © Flickr

Nécessité d’un diagnostic et d’une prise en charge rapide

En mai 2018, des médecins urgentistes et des neurologues de plusieurs hôpitaux londoniens ont rapporté dans le Journal of Neurology une série de dix cas de sclérose combinée de la moelle chez des patients âgés de 17 à 26 ans. La plupart d’entre eux ne buvaient pas d’alcool et ne consommaient pas d’autres drogues. Tous présentaient des troubles de la sensibilité des membres inférieurs, parfois également des membres supérieurs (7 cas), accompagnés de troubles de la marche. L’IRM de la région cervicale a révélé les images caractéristiques de sclérose combinée de la moelle.

Les dix patients ont été traités par des injections intramusculaires de vitamine B12 un jour sur deux pendant deux semaines. Quatre patients ont été perdus de vue. Sur les six patients suivis, deux ont récupéré sans séquelles, trois ont continué de présenter des troubles sensitifs (paresthésies) au niveau des pieds. Enfin, un patient présente toujours, 27 mois plus tard, des troubles de la sensibilité superficielle et profonde, ainsi qu’une marche anormale.

D’autres cas de sclérose combinée de la moelle associés à l’inhalation récréative de protoxyde d’azote ont été rapportés ces derniers mois par des urgentistes et radiologues américains dans l’American Journal of Emergency Medicine et The Journal of Emergency Medicine. Tous les auteurs soulignent la nécessité d’un diagnostic précoce et font remarquer que la mise en route rapide d’une supplémentation en vitamine B12 peut inverser le processus de dégénérescence. La récupération neurologique peut cependant être incomplète, en particulier lorsque les patients continuent d’inhaler du N2O.****

Selon une étude internationale (Global Drug Survey) ayant recueilli les données de plus de 100 000 utilisateurs de drogues dans 20 pays, le protoxyde d’azote est le septième produit récréatif le plus populaire dans le monde. Au Royaume-Uni, le gaz hilarant est la quatrième substance la plus utilisée par les clients des boîtes de nuit. On peut s’y procurer 96 cartouches pour environ 30 livres (40 euros). En France, ce gaz est conditionné dans des ballons vendus 1 à 2 euros l’unité.

Toutes les équipes insistent sur l’importance pour les médecins urgentistes de connaitre la sclérose combinée de la moelle associée à l’inhalation de protoxyde d’azote pour un usage récréatif. Une complication rare qu’ils doivent avoir à l’esprit dans la mesure où l’usage du « proto » se banalise parmi les jeunes. Selon les auteurs de ces récentes publications, établir rapidement le diagnostic de cette rare complication neurologique est crucial pour des jeunes admis aux urgences pour des symptômes inhabituels et inexpliqués. Des symptômes qui n’ont franchement rien d’hilarant.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)

* Le protoxyde d’azote entraîne une inactivation irréversible de la vitamine B12 (cobalamine) en oxydant ses ions cobalt. La vitamine B12 ne peut alors plus se lier à l’enzyme méthionine synthétase. Il s’ensuit une diminution du recyclage de l’homocystéine en méthionine, ce qui empêche la méthylation des protéines de la gaine de myéline, avec pour conséquence une démyélinisation.

** Un dosage plasmatique normal de vitamine B12 n’exclut pas le diagnostic de sclérose combinée de la moelle dans la mesure où un déficit fonctionnel vitaminique peut se produire malgré des concentrations normales de vitamine B12. Dans de tels cas, des taux augmentés d’acide méthylmalonique (AMM) et d’homocystéine peuvent grandement orienter le diagnostic.

*** Sur une coupe sagittale à l’IRM, la dégénérescence subaiguë de la moelle se traduit par un hypersignal en séquence pondérée T2 localisé préférentiellement au niveau des cordons postérieurs de la moelle cervicale ou dorsale.

*** Il y a quelques mois, une sclérose combinée de la moelle a été diagnostiquée chez un homme de 30 ans hospitalisé à l’hôpital Bichat-Claude Bernard (Paris). Cette observation clinique n’a pas été publiée à ce jour. Ce patient avait inhalé « des dizaines de capsules chaque soir au cours des deux semaines précédentes ».

Pour en savoir plus :

Kwon YJ, Rho JH, Hwang J, Baek SH. Unhappy End of « Happy Balloons »: Subacute Combined Degeneration Caused by Nitrous Oxide Gas. J Clin Neurol. 2018 Oct 26.

Egan W, Steinberg E, Rose J. Vitamin B12 deficiency-induced neuropathy secondary to prolonged recreational use of nitrous oxide. Am J Emerg Med. 2018 Sep;36(9):1717.e1-1717.e2. doi: 10.1016/j.ajem.2018.05.029

Johnson K, Mikhail P, Kim MG, Bosco A, Huynh W. Recreational nitrous oxide-associated neurotoxicity. J Neurol Neurosurg Psychiatry. 2018 Aug;89(8):897-898. doi: 10.1136/jnnp-2017-317768

Antonucci MU. Subacute Combined Degeneration from Recreational Nitrous Oxide Inhalation. J Emerg Med. 2018 May;54(5):e105-e107. doi: 10.1016/j.jemermed.2018.01.045

Keddie S, Adams A, Kelso ARC, Turner B, Schmierer K, Gnanapavan S, Malaspina A, Giovannoni G, Basnett I, Noyce AJ. No laughing matter: subacute degeneration of the spinal cord due to nitrous oxide inhalation. J Neurol. 2018 May;265(5):1089-1095. doi: 10.1007/s00415-018-8801-3

Buizert A, Sharma R, Koppen H. When the Laughing Stops: Subacute Combined Spinal Cord Degeneration Caused by Laughing Gas Use. J Addict Med. 2017 May/Jun;11(3):235-236. doi: 10.1097/ADM.0000000000000295

Thompson AG, Leite MI, Lunn MP, Bennett DL. Whippits, nitrous oxide and the dangers of legal highs. Pract Neurol. 2015 Jun;15(3):207-9. doi: 10.1136/practneurol-2014-001071

Morris N, Lynch K, Greenberg SA. Severe motor neuropathy or neuronopathy due to nitrous oxide toxicity after correction of vitamin B12 deficiency. Muscle Nerve. 2015 Apr;51(4):614-6. doi: 10.1002/mus.24482

Jordan JT, Weiser J, Van Ness PC. Unrecognized cobalamin deficiency, nitrous oxide, and reversible subacute combined degeneration. Neurol Clin Pract. 2014 Aug;4(4):358-361. doi: 10.1212/CPJ.000000000000001

Chaugny C, Simon J, Collin-Masson H, De Beauchêne M, Cabral D, Fagniez O, Veyssier-Belot C. Carence en vitamine B12 par toxicité du protoxyde d’azote : une cause méconnue de sclérose combinée de la moelle. Rev Med Interne. 2014 May;35(5):328-32. doi: 10.1016/j.revmed.2013.04.018

Cheng HM, Park JH, Hernstadt D. Subacute combined degeneration of the spinal cord following recreational nitrous oxide use. BMJ Case Rep. 2013 Mar 8;2013. pii: bcr2012008509. doi: 10.1136/bcr-2012-008509

Garbaz L, Mispelaere D, Boutemy M, Jounieaux V. Pneumothorax et inhalation volontaire de protoxyde d’azote. Rev Mal Respir. 2007 May;24(5):622-4.

Vasconcelos OM, Poehm EH, McCarter RJ, Campbell WW, Quezado ZM. Potential outcome factors in subacute combined degeneration: review of observational studies. J Gen Intern Med. 2006 Oct;21(10):1063-8

Sur le web :

Gérome C, Cadet-Taïrou A, Gandilhon M, Milhet M, Martinez M, Néfau T. Substances psychoactives, usagers et marchés : les tendances récentes (2017-2018). Tendances N° 129, décembre 2018. (OFDT, Observatoire français des drogues et des toxicomanies)

Lose S. CedrAgir/TREND. Tendances récentes et nouvelles drogues. Décembre 2018. (OFDT, Observatoire français des drogues et des toxicomanies)

Gaz hilarant, protoxyde d’azote, bonbonne… Quels sont les risques ? (Service-Public.fr)

Quand un malade pisse violet

Urines violettes dans la poche de recueil. Cureus. 2016 Apr; 8(4): e552.

Après sa cinquième place en finale du 100 mètres dos, lundi 8 août 2016 aux Jeux olympiques de Rio, Camille Lacourt a poussé un coup de gueule contre les nageurs chinois qu’il accuse d’être dopés. « Ça me donne envie de vomir », a-t-il déclaré, n’appréciant pas de voir le Chinois Sun Yang gagner sur 200 mètres libre. « Sun Yang, il pisse violet ! », a-t-il lancé au micro des radios françaises, à propos du nageur, suspendu trois mois après un contrôle antidopage positif en 2014. 

Mais ce qu’ignore sans doute Camille Lacourt, « urologue dégoûté », comme titrait mardi malicieusement une news de La Dépêche du Midi, c’est qu’il est possible, dans certaines circonstances particulières, de « pisser violet », pour reprendre son expression. Ce rare syndrome, baptisé « syndrome de la poche à urine violette » (Purple Urine Bag Syndrome, PUBS, en anglais), est caractérisé par la survenue d’une coloration pourpre ou violette de la tubulure et de la poche de recueil des urines, quelques jours ou semaines après la pose d’une sonde urinaire à demeure. 

La dernière publication en date sur cet impressionnant syndrome a été publiée le 9 juillet 2016 dans la revue en ligne BMJ Case Reports. Elle relate le cas d’une femme de 94 ans, hospitalisée pour un accident vasculaire cérébral, porteuse d’une sonde en raison d’une rétention urinaire. Cette patiente a présenté une semaine plus tard des urines violettes. En l’absence de signes patents d’infection urinaire, d’inconfort et de douleurs abdominales, elle ne fut pas traitée par antibiotique, les médecins se contentant de changer la poche de recueil et de retirer le cathéter à sa sortie de l’hôpital.

Ce syndrome a été décrit pour la première fois en 1978. Quoique bénin, il a de quoi surprendre et surtout inquiéter, pour ne pas dire alarmer ! La coloration violette de la poche à urines, qui survient en général quelques semaines après la pose d’une sonde urinaire, est due à la formation de deux pigments  : l’indigo (bleu) et l’indirubine (rouge) dissous dans la poche de recueil des urines. Leur interaction avec le polychlorure de vinyle, constituant de la poche à urines et des tubulures, entraîne la coloration du syndrome de la poche à urine violette.

Ces deux pigments sont issus du métabolisme du tryptophane d’origine alimentaire, un acide aminé essentiel contenu dans les protéines ingérées. Celui-ci est dégradé par les bactéries intestinales en indole, lequel parvient au foie où il est transformé en indoxylsulfate, excrété en forte concentration dans les urines. Sous l’action d’enzymes produites par certaines bactéries, l’indoxylsulfate est converti en indoxyl, qui se transforme en indigo et indirubine lorsque le milieu est alcalin. La coloration violette des urines tiendrait donc au pH urinaire alcalin et à la présence de certains germes dans les urines. Les bactéries le plus souvent impliquées sont Pseudomonas aeruginosa (bacille pyocyanique), Provincendia stuarti, Proteus mirabilis, Escherichia coli, Klesbiella pneumoniae, Morganella morgani, Enterobacter agglomerans et aerogenes. D’autres germes ont également été mis en cause dans le syndrome de la poche à urine violette.

Formation de l’indigo (bleu) et de l’indirubine (rouge) à partir du tryptophane. J Infect Dev Ctries. 2015 Jul 30;9(7):792-5.
La coloration violette des urines provient de deux pigments, bleu et rouge, produits par des bactéries, qui interagissent avec le PVC des dispositifs de recueil urinaire. Clin Interv Aging. 2008 Dec; 3(4):729–734.

L’étonnante couleur des urines disparaît après traitement antibiotique, comme l’attestent de nombreuses observations cliniques. Une antibiothérapie de courte durée est préconisée par la plupart des auteurs. Elle entraîne une normalisation de la coloration des urines en 24 heures.

Ce syndrome n’est donc en rien associé à la consommation d’aliments (tels que les betteraves) ou de médicaments (comme la rifampicine), voire de produits dopants, susceptibles de rendre compte de la surprenante coloration des urines, lesquelles ne sentent pas pour autant la rose pourpre ou la violette.

Urines violettes dans la poche de recueil. Clin Interv Aging. 2008 Dec; 3(4): 729–734.

La constipation est un facteur souvent impliqué dans la survenue du syndrome des urines violettes. Elle favorise en effet la pullulation des bactéries coliques et pourrait prolonger le temps de transit du tryptophane et entraîner une élévation des taux urinaires d’indoxylsulfate. Ce syndrome s’observe chez des patients âgés, constipés, porteurs d’une sonde urinaire de façon prolongée et confinés au lit.

Urines violettes dans le cathéter. Cureus. 2016 Apr; 8(4): e552.

Le syndrome de la poche à urine violette peut également s’observer chez des patients en hémodialyse et chez ceux porteurs d’un cathéter sus-pubien, placé au-dessus de la symphyse pubienne jusque dans la vessie afin d’en évacuer les urines. Il peut enfin survenir chez des patients porteurs d’une poche de néphrostomie percutanée bilatérale. Chez ces malades, une sonde traverse le rein, draine les urines à partir des cavités rénales et sort au niveau de la peau.

Urines violettes dans la poche de recueil. Clin Interv Aging. 2008 Dec; 3(4):729–734.

La fréquence du syndrome du sac d’urine violette n’est pas connue avec précision. Une étude taïwanaise a trouvé sur une période de 2 mois que 16,7 % des patients porteurs chroniques d’une sonde urinaire présentaient des urines violettes. Une étude britannique, réalisée dans des unités de long séjour, avait auparavant estimé sa fréquence à 9,8 % chez des patientes ayant une sonde à demeure. On ne dénombre qu’une petite centaine d’observations dans la littérature internationale, la majorité étant des cas cliniques isolés ou de toutes petites séries de cas. Très rares sont les publications qui regroupent plus de cinq cas, comme celle d’auteurs taïwanais qui ont colligé en 2008 dix cas observés chez des patients hébergés dans deux maisons de repos. Bref, des études qui, sur le plan épidémiologique, ne pissent pas loin.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter)  

Pour en savoir plus :

Richardson-May J. Single case of purple urine bag syndrome in an elderly woman with stroke. BMJ Case Rep. 2016 Aug 3;2016.

Tul Llah S, Khan S, Dave A, Morrison AJ, Jain S, Hermanns D. A Case of Purple Urine Bag Syndrome in a Spastic Partial Quadriplegic Male. Cureus. 2016 Apr 1;8(4):e552.

Makkar V, Mann A. Purple urine bag syndrome: a case report. Int J Med Sci Public Health. 2015; 4(8): 1157-1158.

Mondragón-Cardona A, Jiménez-Canizales CE, Alzate-Carvajal V, Bastidas-Rivera F, Sepúlveda-Arias JC. Purple urine bag syndrome in an elderly patient from Colombia. J Infect Dev Ctries. 2015 Jul 30;9(7):792-5.  

Agapakis D, Massa E, Hantzis I, Paschoni E, Satsoglou E. Purple Urine Bag Syndrome: a case report of an alarming phenomenon. Hippokratia. 2014 Jan;18(1):92-4.

Hadano Y, Shimizu T, Takada S, Inoue T, Sorano S. An update on purple urine bag syndrome. Int J Gen Med. 2012;5:707-10.

Cantaloube L, Lebaudy C, Hermabessiere S, Rolland Y. Du pastel dans la poche à urine. Gériatrie et Psychologie Neuropsychiatrie du Vieillissement. 2012;10(1):5-8.

Peters P, Merlo J, Beech N, Giles C, Boon B, Parker B, Dancer C, Munckhof W, Teng HS. The purple urine bag syndrome: a visually striking side effect of a highly alkaline urinary tract infection. Can Urol Assoc J. 2011 Aug;5(4):233-4.

Shiao CC, Weng CY, Chuang JC, Huang MS, Chen ZY. Purple urine bag syndrome: a community-based study and literature review. Nephrology (Carlton). 2008 Oct;13(7):554-9.

Margot C, Kalem A, Le Boisselier R, Guincestre JY, Debruyne D, Leroyer R. Le syndrome de la poche à urine violette : à propos d’un cas avec identification des substances colorantes. Journal de pharmacie clinique (Paris). 2008;27(2):80-4.

Palacio A, Abbas D, Le Guern H, Beuret-Blanquart F. Une couleur violette surprenante. Pelvi-périnéologie. 2008;3(2):118-20.

Lin CH, Huang HT, Chien CC, Tzeng DS, Lung FW. Purple urine bag syndrome in nursing homes: ten elderly case reports and a literature review. Clin Interv Aging. 2008;3(4):729-34.

Chung SD, Liao CH, Sun HD. Purple urine bag syndrome with acidic urine. Int J Infect Dis. 2008 Sep;12(5):526-7.

Harun NS, Nainar SK, Chong VH. Purple Urine Bag Syndrome: A Rare and Interesting Phenomenon. South Med J. 2007;100(10):1048-1050.

Rohaut B, Bachmeyer C, Lecomte I, Ravet N, Grateau G. Une poche à urines virant au violet. Rev Med Interne. 2005 Aug;26(8):666-7.

Dealler SF, Belfield PW, Bedford M, Whitley AJ, Mulley GP. Purple urine bags. J Urol. 1989 Sep;142(3):769-70.

Dealler SF, Hawkey PM, Millar MR. Enzymatic degradation of urinary indoxyl sulfate by Providencia stuartii and Klebsiella pneumoniae causes the purple urine bag syndrome. J Clin Microbiol. 1988 Oct;26(10):2152-6.

Barlow GB, Dickson JAS. Purple urine bags. Lancet 1978;311:220–1.