Il se fait vacciner 217 fois contre la Covid-19 et ne développe pas d’effets secondaires

Phil Roeder @ Flickr

C’est l’histoire d’un Allemand âgé de 62 ans qui, pour des « raisons privées », s’est fait vacciner 217 fois en moins de deux ans et demi.  Cet habitant de Magdebourg a reçu, en l’espace de 29 mois, le plus souvent alternativement dans le bras droit et le bras gauche, un vaccin contre le coronavirus SARS-CoV-2. Les vaccins injectés étaient ceux fabriqués par Johnson & Johnson, AstraZeneca, Moderna, BioNtech (BNT, BNT-BA.4.5, BNT-BA.1, BNT-XBB.1.5) et GSK/Sanofi. Ce patient, qui aimait trop les vaccins, a donc reçu différentes formulations (vaccins à ARN messager et autres). Un sacré cocktail vaccinal, étalé entre juin 2021 et novembre 2023 !

Cette hypervaccination, qui a évidemment été réalisée hors de tout essai clinique, contrevient à toutes les recommandations nationales en matière de vaccination contre la Covid-19. Le procureur de Magdebourg a eu connaissance de 130 vaccinations sur une période de neuf mois. Il a ouvert une instruction judiciaire pour fraude, mais n’a pas poursuivi pénalement le sexagénaire dont l’histoire ne dit pas s’il est également un gros consommateur de cocktails alcoolisés ou simplement « vaccinomane ».

Il n’en fallait pas moins pour que des immunologues de l’Institut de microbiologie clinique, d’immunologie et d’hygiène (université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg) contactent cet individu hypervacciné et lui proposent de participer à une étude visant à déterminer les conséquences immunologiques d’une telle stimulation du système immunitaire. L’individu a accepté de se soumettre à de nombreuses prises de sang et prélèvements de salive afin que les chercheurs puissent étudier le nombre et la fonction des cellules immunitaires et des anticorps générés par les multiples injections vaccinales. Cette procédure a été approuvée par le comité d’éthique de la faculté de médecine de l’hôpital universitaire d’Erlangen.

217 injections vaccinales sur une période de 29 mois

Les résultats de cette étude ont été communiqués le 4 mars 2024 dans une correspondance publiée dans la revue The Lancet Infectious Diseases. Les prélèvements sanguins et salivaires de ce patient hypervacciné n’ont commencé qu’après la 213e vaccination et se sont poursuivis qu’à la 217e.

Sur le plan clinique, il ressort que cette personne n’a développé aucun effet secondaire associé à la vaccination tout au long de la période d’hypervaccination. Par ailleurs, sur le plan biologique, les 62 paramètres dosés en routine n’ont pas montré d’anomalies attribuables à la vaccination.

L’individu s’est soumis à un grand nombre de tests, en l’occurrence 9 tests PCR, 10 tests antigéniques et 5 tests de détection de la nucléocapside. Tous ont été négatifs.

Les dosages quantitatifs de la protéine spike ont commencé juste avant la 214e vaccination. Les résultats ont été comparés à ceux observés chez 29 personnes vaccinées (45 % d’hommes, 55 % de femmes) avec trois doses d’un vaccin à ARN messager et servant de sujets témoins. Les taux les plus élevés en anticorps dirigés contre la protéine spike ont été observés le jour même de la 214e vaccination, de même que trois jours après la 215e. La cinétique de décroissance des anticorps ressemblait à celle observée dans le groupe contrôle.

Katharina Kocher, Kilian Schober et leurs collègues indiquent que cette hypervaccination anti-SARS-CoV-2 n’a pas provoqué d’effets secondaires indésirables et qu’elle a entraîné une augmentation de la quantité des anticorps spécifiques anti-spike et des cellules T dirigés contre cette même protéine de l’enveloppe virale, sans que cela ait eu un effet positif ou négatif sur la qualité intrinsèque de la réponse immunitaire.

À ce jour, bien que cet individu n’a toujours pas été infecté par le SARS-CoV-2 après toutes ces vaccinations (absence de breakthrough infection), il n’est pas possible de déterminer si cela est la conséquence de ce calendrier vaccinal délibérément accéléré. L’histoire ne dit pas si cet individu portait ou non un masque chirurgical ou un FFP2 dans les espaces clos ou en présence de personnes infectées par le SARS-CoV-2, mais on peut très fortement en douter.

Présence d’immunoglobulines jusque dans la salive du patient multivacciné

Les taux d’anticorps IgG et IgA de l’individu hypervacciné ont été trouvés modérément élevés en comparaison à ceux des sujets du groupe contrôle. De plus, contrairement aux sujets témoins, cette personne avait des anticorps IgG anti-spike dans sa salive.

Surtout, à sa 215e vaccination (J189), la capacité de neutralisation du sérum du patient hypervacciné, par rapport à celles des sujets du groupe contrôle, était 5,4 fois plus élevée vis-à-vis de la protéine spike de la souche « sauvage » (variant D614G) et 11,5 fois plus élevée contre le variant Omicron B1.1.529. Ces expériences ont été réalisées en utilisant des pseudotypes, c’est-à-dire des virus artificiellement porteurs à la surface de mutations de la protéine spike du SARS-CoV-2 et qui miment donc les variants en question. Le résultat observé reflète une quantité plus importante d’anticorps IgG spécifiques de la protéine spike dans la mesure où l’affinité des anticorps était comparable, font remarquer les auteurs de l’étude.

Le patient hypervacciné possède, comparativement aux participants du groupe témoin, un taux modérément élevé de lymphocytes B spécifiques de la protéine spike. De plus, il a été trouvé à la 215e vaccination que le patient hypervacciné avait développé six fois plus de lymphocytes T CD8+ spécifiques d’une sous-région de la protéine spike (épitope HLA-A*01/LTD) que les sujets contrôles. Cet épitope est immunodominant dans le sens où il induit une des plus fortes réponses prolifératives des lymphocytes T CD8+. Le nombre de ces mêmes cellules T CD8+ spécifiques de cet épitope a été boosté après la 217e vaccination.

Le taux de lymphocytes T CD8+ effecteurs et mémoires (capables de répondre plus rapidement lors d’une seconde infection virale en reconnaissant cet épitope dominant), étaient augmentés en nombre absolu chez le patient hypervacciné.

Par ailleurs, les taux de cellules T CD4+ réactives vis-à-vis de la protéine spike et productrices de cytokines étaient similaires à ceux observés dans le groupe contrôle.

Les chercheurs ont également vérifié si le système immunitaire hyperstimulé de ce patient répondait normalement à un autre agent pathogène. Il n’ont trouvé aucune différence quant au nombre et la fonction des cellules T spécifiques du virus d’Epstein-Barr (EBV).

Les chercheurs ont enfin examiné si ces vaccinations anti-SARS-CoV-2 à répétition pouvaient orienter la production d’anticorps vers une sous-classe particulière. Il a en effet été observé qu’une sous-classe d’immunoglobulines, les IgG4, peut être plus souvent générée en cas de vaccination répétée aux vaccins à ARN messager. Il a été montré que chez ce patient multivacciné, le taux des anticorps IgG4 à J189 (après la 215e vaccination) était élevé en nombre absolu, mais pas en fréquence relative par rapport aux autres classes d’anticorps, en comparaison des individus du groupe contrôle à J189 après leur troisième dose vaccinale.

Ce patient, volontairement vacciné de façon hors norme contre la Covid-19, montre donc qu’une vaccination exagérément répétée ne perd pas de son efficacité. En effet, le système immunitaire, loin d’être épuisé, réagissait encore à la 217e vaccination, entraînant une augmentation modeste des taux d’anticorps IgG anti-spike. Pour autant, les auteurs de l’étude allemande déclarent « ne pas recommander l’hypervaccination comme stratégie pour augmenter l’immunité adaptative ». 

Reste à savoir si ces résultats peuvent être généralisables à tous ceux qui, par jeu et/ou inconscience et/ou intérêt financier, ont pu frauder et multiplier volontairement le nombre recommandé de vaccinations anti-Covid.

En 2022, la presse allemande avait parlé d’un individu, originaire de la même ville de Magdebourg, interpellé après avoir reçu 87 doses vaccinales contre la Covid-19. Son objectif était d’obtenir un certificat après chaque injection, puis de revendre ces attestations à des personnes réfractaires à la vaccination. L’individu se rendait dans plusieurs centres de vaccination sans fournir sa carte d’assurance maladie, ce qui empêchait son identification par les autorités allemandes.

En 2021, un habitant de Rio de Janeiro (Brésil), probablement hypochondriaque, avait reçu cinq doses de vaccin anti-Covid (deux doses de vaccin Pfizer, deux de CoronaVac et une d’AstraZeneca) en l’espace de seulement dix semaines. L’homme s’apprêtait à recevoir une sixième dose quand il a été démasqué.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, BlueSky, et sur mon autre blog Le diabète dans tous ses états, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà soixante billets).

Pour en savoir plus :


Kocher K, Mossmann C, Drost F, et al. Adaptive immune responses are larger and functionally preserved in a hypervaccinated individual. Lancet Infect Dis. Published March 04, 2024. doi: 10.1016/S1473-3099(24)00134-8

Du risque de consommer des champignons shiitakés crus ou peu cuits

Janušonytė E, Pünchera J. N Engl J Med. 2023 Oct 12;389(15):1415.

C’est l’histoire d’un homme de 72 ans qui s’est présenté aux urgences pour une éruption cutanée apparue sur son dos deux jours plus tôt. Cliniquement, les lésions rouges (érythémateuses) ont une disposition linéaire, ce qui donne un aspect flagellé à l’éruption. Celle-ci est présente sur toute la surface du dos et le haut des fesses. Elle est apparue après que cet homme ait préparé et mangé un plat contenant des champignons shiitakés.

Le champignon shiitaké, ou lentin du chêne (Lentinula edodes), est le deuxième champignon le plus consommé au monde après le champignon de Paris.

George Shepherd. Shiitake (Lentinus edodes). © Flickr

La méthode de culture traditionnelle du shiitaké en Asie consiste généralement à le cultiver sur des troncs de chêne. En Europe, la grande majorité des shiitakés est issue de leur culture en champignonnière.

Ce champignon est vendu dans les commerces de produits exotiques, magasins d’alimentation asiatiques, ainsi qu’à l’état frais sur les marchés et sous forme lyophilisée dans des compléments alimentaires (sirop, gélules).

Une forme d’intoxication très spécifique : la dermatite flagellée

Lorsqu’il est consommé cru ou peu cuit, ce champignon peut être responsable d’une intoxication très particulière par l’aspect des lésions qu’elle entraîne. Les spécialistes parlent de dermatite flagellaire ou de dermatose flagellée. En effet, les lésions cutanées, qui surviennent un ou deux jours après la consommation de ces champignons frais ou pas assez cuits, consistent en des papules (boutons en relief) rouges, disposées de façon linéaire sur le tronc et les extrémités. Elles s’accompagnent de très fortes démangeaisons (prurit intense).

Il n’y a pas d’atteinte des muqueuses. Une réaction de phototoxicité (majoration des lésions sur les zones de la peau exposée à la lumière du soleil) peut être observée. Elle a été décrite dans moins de la moitié des cas rapportés.

Le cas de cet homme de 72 ans a été rapporté le 12 octobre 2023 par des médecins suisses dans l’hebdomadaire médical américain The New England Journal of Medicine.

L’image fait plus penser à un homme ayant reçu des coups de fouet qu’à celle d’une personne souffrant d’une réaction toxique due à des champignons. Pour le soulager des symptômes, ce patient a reçu des corticoïdes en application locale (dermocorticoïdes) et des antihistaminiques par voie orale. Deux semaines plus tard, tout était rentré dans l’ordre, à l’exception de zones résiduelles d’hyperpigmentation post-inflammatoire. Les démangeaisons avaient disparu, indiquent Eglė Janušonytė et Jöri Pünchera, dermatologues aux Hôpitaux Universitaires de Genève.

Vue rapprochée du dos révélant une éruption de multiples petites papules disséminées et regroupées en figures linéaires. Ces papules érythémateuses sont extrêmement prurigineuses. Gomez J, et al. Oxf Med Case Reports. 2021 Aug 13;2021(8):omab071.

En 2013, un cas de dermatose toxique au shiitaké a été rapporté par des dermatologues de l’hôpital d’instruction des armées Clermont-Tonnerre de Brest dans La Revue de Médecine Interne. Ce cas concernait un homme de 31 ans qui avait consulté pour une éruption érythémateuse, diffuse, d’aspect flagellé, avec un prurit intense. L’éruption cutanée était apparue 72 heures après la consommation de champignons shiitakés. L’évolution avait été favorable sous corticoïdes en pommade.

Les réactions toxiques au shiitaké sont connues en Asie de longue date. La première description de dermatite à shiitaké remonte à 1977 au Japon. En Europe, le premier cas de dermatose toxique au shiitaké a été décrit en 2006 chez un patient anglais, 48 heures après qu’il a consommé une grande quantité de champignons shiitakés crus. Ces dernières années, ce champignon, de plus en plus cultivé, notamment en Europe, a vu sa consommation augmenter rapidement dans les pays occidentaux.

Les symptômes cutanés apparaissent en moyenne dans les 48 heures après la consommation de shiitaké, mais les signes surviennent parfois dans l’heure, ou à l’inverse, après un délai pouvant atteindre une semaine après l’ingestion d’un repas à base de ces champignons.

Prurit féroce pendant plusieurs jours

En France, le premier cas de dermatose toxique au lentin a été rapporté par des dermatologues du CHU de Nancy en 2010 dans les Annales de Dermatologie et de Vénéréologie. La patiente était une femme de 78 ans qui avait consulté en urgence pour une éruption de petites papules érythémateuses. Accompagnée d’un prurit féroce, responsable d’insomnie, l’éruption était disséminée sur l’ensemble du corps, y compris le visage et le cuir chevelu, en prenant par endroits une disposition linéaire d’aspect flagellé. Un traitement par dermocorticoïdes avait permis une guérison des lésions en une semaine.

En avril 2021, un rapport d’étude de toxicovigilance publié par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) faisait état des cas d’intoxication par des champignons shiitakés rapportés aux centres antipoison entre le 1er mai 2014 et le 31 décembre 2019. Au total, 59 cas de dermatite flagellaire ont été répertoriés chez des patients âgés de 19 à 69 ans. Les cas d’intoxication sont majoritairement survenus en régions Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie. Les résultats de cette étude rétrospective ont été rapportés en 2022 dans la revue Clinical Toxicology.

Les dermatites étaient survenues après la consommation de shiitakés crus ou mi-cuits (par exemple, cuisson au wok, ajout dans une soupe, ou sur une pizza). Les lésions érythémateuses, responsables de fortes démangeaisons, étaient apparues sur le tronc, les bras et les jambes en quelques heures.

La durée médiane de la dermatite était de 10 jours, les symptômes cutanés ayant persisté pendant 1 à 40 jours. La durée des symptômes cutanés était significativement associée à la quantité de shiitakés consommée, avec une durée médiane de la dermatite de 4 jours pour une quantité ingérée de champignons de moins de 60 grammes. Elle était de 7 jours pour une quantité comprise entre 60 et 150 grammes et 15 jours pour une ingestion supérieure à 150 grammes. La majorité des cas était de faible gravité.

Quelques patients présentaient des symptômes de moyenne gravité, mais aucun cas n’était associé à des symptômes graves. Certains patients avaient consommé des shiitakés au restaurant, d’autres les avaient achetés à l’état frais. Tous les patients se sont totalement rétablis avec ou sans traitement symptomatique associé (dermocorticoïdes ou antihistaminiques).

Ne pas consommer le shiitaké sans l’avoir fait cuire à cœur

Le mécanisme de la dermatite au shiitaké semble être imputable à une réaction toxique au lentinan, un polysaccharide (glucide complexe) contenu dans ce champignon. Ce composé est thermolabile, ce qui signifie qu’il est détruit à une température élevée et que son pouvoir toxique est donc aboli par la chaleur. Lorsque le shiitaké est consommé cuit, il n’entraîne pas de réaction indésirable, et ce même chez les personnes qui ont auparavant développé une dermatite toxique après avoir consommé ce champignon cru.

On l’a compris, une cuisson inadéquate est donc un facteur déterminant de la survenue de cette pathologie cutanée après ingestion. À cet égard, on peut souligner que la cuisson rapide au wok peut être insuffisante pour détruire le lentinan, comme l’atteste la survenue de cas d’intoxication chez des clients de restaurants utilisant ce mode de cuisson. Des auteurs ont montré qu’une cuisson à 100 °C était insuffisante et préconisent de cuire les shiitakés à 150 °C au minimum pendant 15 minutes.

Il a été montré que l’ingestion de lentinan provoque la sécrétion d’interleukine-1. L’augmentation de cette cytokine (médiateur de l’inflammation) dans l’organisme pourrait participer à la survenue des lésions cutanées caractéristiques.

Le traitement anti-inflammatoire de cette dermatite (dermocorticoïdes et antihistaminiques) consiste à soulager les symptômes d’une pathologie qui, de toute façon, disparaît spontanément, généralement dans un délai de huit semaines.

Au vu de l’engouement pour les cuisines exotiques, il importe donc de savoir qu’il est hors de question de cuisiner des champignons shiitakés sans bien les cuire. De même, il convient de connaître les caractéristiques de cette dermatose toxique afin d’évoquer rapidement ce diagnostic devant une éruption aiguë qui entraîne des démangeaisons pouvant être particulièrement intenses.

Stephany MP, et al. Am J Clin Dermatol. 2016 Oct;17(5):485-489.

Renforcer les messages de prévention auprès du public et des professionnels de santé

« La dermatite à shiitaké est souvent mal diagnostiquée par les professionnels de la santé qui ne connaissent pas cette pathologie. Elle est en effet peu connue de la communauté médicale. On peut donc avoir une errance diagnostique. La biopsie n’est pas nécessaire car une évaluation approfondie de l’histoire du patient et l’examen physique sont suffisants pour le diagnostic clinique », déclare le Dr David Boels, premier auteur de l’étude parue en 2022 dans Clinical Toxicology.  Et d’ajouter que, pour éviter la survenue de cette dermatite, « les professionnels de la santé, les producteurs, les restaurateurs et la population générale, doivent être conscients du risque associé à la consommation de shiitakés mal cuits. Des messages de prévention doivent être renouvelés », d’autant que des cas d’intoxication continuent d’être rapportés en France et que nombre de patients atteints ne comprennent pas a posteriori qu’un aliment, vendu dans le commerce ou servi dans un restaurant, puisse être responsable de démangeaisons intenses pendant plusieurs jours ou semaines, sans que les consommateurs en soient informés.

Interrogée, l’Anses indique que « le nombre de cas d’intoxication au shiitaké entre 2020 et le 30 septembre dernier au niveau national est de 121 cas symptomatiques, à savoir présentant des signes cutanés et digestifs ». La consommation de champignons shiitakés peut en effet également entraîner des signes digestifs, principalement des douleurs abdominales pouvant être associées à des vomissements et de la diarrhée.

Selon le Dr David Boels, praticien et toxicologue (Hôpital Saint-Jacques, CHU de Nantes), « le nombre des intoxications aux champignons shiitakés est très probablement sous-estimé. En effet, le lien entre la dermatite et la consommation de champignons shiitakés n’est pas forcément établi par la personne qui en a consommé ou par son médecin ». Par ailleurs, il importe de différencier cette pathologie d’autres affections pouvant entraîner l’apparition d’érythèmes flagellés, autrement dit de rougeurs à disposition linéaire [1].

Un arrêté du 5 août 2016 suspendait « pour une durée d’un an, la mise sur le marché à destination du consommateur final, à titre gratuit ou onéreux, des champignons des espèces (…) Lentinula edodes, lorsqu’ils sont présentés à l’état frais, en vrac ou préemballés, s’ils ne sont pas accompagnés d’une information claire informant le consommateur de la nécessité d’une cuisson complète avant la consommation ». Cet arrêté suspensif d’une durée d’un an n’a cependant pas été renouvelé.

On l’a compris, la dermatite à shiitaké est due à une réaction toxique, en rapport avec la présence d’un polysaccharide, le lentinan, dans ce champignon.  Les symptômes cutanés ne sont donc pas la conséquence d’une réaction allergique. Les tests allergiques cutanés (prick-tests) n’ont donc pas d’intérêt dans un tel cas, dans la mesure où ils sont toujours négatifs.

Autre réaction indésirable : la dermatite de contact

La dermatite toxique au shiitaké n’est cependant pas la seule réaction indésirable due à ce champignon. Des phénomènes évocateurs d’hypersensibilité à type de pneumopathie (« asthme ») et de conjonctivite, ont été observés chez des personnes qui cultivent le shiitaké. De même, des cas de dermatite de contact ont été rapportés. En effet, la manipulation de ce champignon peut parfois provoquer un type de réaction cutanée, différent de la dermatite toxique après consommation.

La dermatite de contact, qui siège au niveau des mains, des doigts et des avant-bras, a principalement été rapportée chez des personnes cultivant et manipulant ces champignons.

Des dermatologues chiliens ont rapporté en 2023 dans l’International Journal of Dermatology le cas d’un patient ayant successivement présenté deux réactions cutanées aux champignons shiitakés, impliquant deux mécanismes différents. Une dermatite flagellée très caractéristique est apparue après ingestion, puis ce patient a présenté une dermatite de contact sur les mains après manipulation de champignons shiitakés. Cette seconde forme est moins connue que celle caractérisée par des lésions érythémato-papuleuses à disposition linéaire.

Est-ce à dire que les champignons shiitakés ne sont jamais responsables d’allergie alimentaire ? Il semble bien que non, dans la mesure où deux cas d’allergie immédiate aux shiitakés et à d’autres champignons ont été récemment rapportés chez des patients japonais.

Un patient de 21 ans a développé des symptômes allergiques buccaux (irritation buccale, gêne thoracique, démangeaisons, toux) immédiatement après avoir consommé un repas contenant plusieurs types de champignons (shiitaké, shimeji brun, pleurote de panicaut ou Pleurotus eryngii, polypore en touffe ou Grifola frondosa) et un bouillon de shiitakés. Une autre patiente, âgée de 18 ans, a présenté, à plusieurs reprises sur une période de dix ans, un œdème de Quincke (gonflement de zones sous-cutanées du visage et de la gorge) et une urticaire après avoir mangé des champignons shiitakés, des polypores en touffe (Grifola frondosa) ou des shimeji.

À ce jour, il s’agit des deux seuls cas d’hypersensibilité immédiate médiée par les anticorps IgE rapportés dans la population asiatique après ingestion de champignons shiitakés.

Premier cas rapporté en Europe d’allergie alimentaire aux champignons shiitakés

En Europe, des dermatologues espagnols du centre hospitalo-universitaire de Vigo ont rapporté un cas d’allergie alimentaire suite à l’ingestion de champignons shiitakés. Ce cas clinique a été rapporté en septembre 2023 dans la Revue Française d’Allergologie.

Cet homme de 31 ans, sans antécédent allergique et n’ayant aucun contact avec des champignons dans sa vie professionnelle, a présenté deux épisodes de démangeaisons buccales (prurit oral) immédiatement après avoir mangé des shiitakés légèrement cuits. Cette sensation désagréable a duré quelques minutes après avoir arrêté d’en manger. Deux mois plus tard, il a à nouveau présenté des démangeaisons au niveau de la gorge, un érythème sur les paumes de mains et une urticaire généralisée immédiatement après avoir consommé des champignons shiitaké dans un restaurant. Ce patient n’a jamais présenté de réaction indésirable après ingestion d’autres champignons : agaric champêtre (Agaricus campestris), chanterelle en tube (Craterellus tubaeformi), cèpe de Bordeaux (Boletus edulis).

Les allergologues espagnols ont alors recommandé à ce patient de ne pas manger de shiitakés. Malgré cette mise en garde, il en a tout de même consommé, peu cuits, avec des œufs brouillés. Il a immédiatement développé une urticaire généralisée avec un prurit de la paume des mains. Le patient a été traité avec succès par antihistaminiques et corticoïdes. Le test cutané (prick test) était positif pour l’extrait de shiitaké, alors qu’il était négatif pour de nombreux autres allergènes alimentaires. Des tests immunologiques, visant à détecter des anticorps IgE spécifiquement dirigés contre des protéines du shiitaké, ont été détectés dans le sérum de ce patient, ce qui semble expliquer les réactions indésirables observées.

C’est la première fois que l’on rapporte, dans un pays occidental, la survenue d’une réaction d’hypersensibilité immédiate après consommation de champignons shiitakés chez un patient qui tolère par ailleurs fort bien ces champignons lorsqu’ils sont consommés bien cuits, ainsi que d’autres champignons locaux.

Selon les médecins espagnols, ce cas clinique devrait attirer l’attention des allergologues vis-à-vis du potentiel allergénique du shiitaké, dont il conviendrait de tenir compte dans la démarche diagnostique de certains cas d’allergie alimentaire.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn, Mastodon, et sur mon autre blogLe diabète dans tous ses états‘, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 51 billets).

[1] La dermatite au shiitaké n’est pas la seule pathologie dermatologique pouvant se manifester sous la forme d’une éruption cutanée flagellée. La bléomycine, médicament utilisé en chimiothérapie anti-cancéreuse, peut induire des lésions semblables, qui laissent ensuite une hyperpigmentation séquellaire. Des lésions cutanées à disposition linéaire peuvent également être observées dans la maladie de Still de l’adulte, qui est un rhumatisme inflammatoire rare, caractérisé principalement par des pics de fièvre au cours desquels surviennent des éruptions cutanées, associées ou non à des douleurs articulaires. Enfin, l’éruption de la dermatite doit être différenciée des lésions parfois observées au cours de la dermatomyosite, une pathologie auto-immune caractérisée par une atteinte inflammatoire de la peau (derme) et des muscles (myosite) associée à une atteinte des parois des vaisseaux sanguins (capillaires). Elle se manifeste par une éruption et des rougeurs.

Pour en savoir plus :

Janušonytė E, Pünchera J. Shiitake Dermatitis. N Engl J Med. 2023 Oct 12;389(15):1415. doi: 10.1056/NEJMicm2304409

Romero-Sanchez L, Tejero-Alcalde M, Bartolomé B, et al. Food Allergy to Shiitake mushroom ingestion. Allergie alimentaire à l’ingestion de champignons Shiitake. Rev Fr Allergol. 2023 Sep;63(5):103632

Boels D, Greillet C, Langrand J, Labadie M, et al. Shiitake dermatitis: experience of the Poison Control Centre Network in France from 2014 to 2019. Clin Toxicol (Phila). 2022 Aug;60(8):954-959. doi: 10.1080/15563650.2022.2059496

Sudy E, Urbina F. Shiitake dermatitis: two clinical forms of cutaneous presentation in the same patient. Rev. chil. Dermatol. 2021;37(2):54-57.

Gomez J, Sharma K, Huho A, Gregory N. A case of shiitake dermatitis in the United States. Oxf Med Case Reports. 2021 Aug 13;2021(8):omab071. doi: 10.1093/omcr/omab071

Ito T, Kobayashi T, Egusa C, Maeda T, et al. A case of food allergy due to three different mushroom species. Allergol Int. 2020 Jan;69(1):152-153. doi: 10.1016/j.alit.2019.08.003

 

Nguyen AH, Gonzaga MI, Lim VM, et al. Clinical features of shiitake dermatitis: a systematic review. Int J Dermatol. 2017 Jun;56(6):610-616. doi: 10.1111/ijd.13433

Stephany MP, Chung S, Handler MZ, et al. Shiitake Mushroom Dermatitis: A Review. Am J Clin Dermatol. 2016 Oct;17(5):485-489. doi: 10.1007/s40257-016-0212-6

Pravettoni V, Primavesi L, Piantanida M. Shiitake mushroom (Lentinus edodes): a poorly known allergen in Western countries responsible for severe work-related asthma. Int J Occup Med Environ Health. 2014 Oct;27(5):871-4. doi: 10.2478/s13382-014-0296-2

Karanovic S, George S, Topham E. Don’t miss shiitake dermatitis: a case report. Br J Gen Pract. 2014 Aug;64(625):426-7. doi: 10.3399/bjgp14X681193

Grynszpan R, Niemeyer-Corbellini JP, Lopes MS, Ramos-e-Silva M. Bleomycin-induced flagellate dermatitis. BMJ Case Rep. 2013 Jun 27;2013:bcr2013009764. doi: 10.1136/bcr-2013-009764

Adriano AR, Acosta ML, Azulay DR, et al. Shiitake dermatitis: the first case reported in Brazil. An Bras Dermatol. 2013 May-Jun;88(3):417-9. doi: 10.1590/abd1806-4841.20131849

Hamer S, Rabindranathnambi R. A wide-spread flagellate dermatitis. BMJ Case Rep. 2013 Jan 3;2013:bcr2012007682. doi: 10.1136/bcr-2012-007682

Hérault M, Waton J, Bursztejn AC, et al. La shiitake dermatitis (dermatose toxique au lentin) est arrivée en France. Ann Dermatol Venereol. 2010 Apr;137(4):290-3. doi: 10.1016/j.annder.2010.02.007

Hanada K, Hashimoto I. Flagellate mushroom (Shiitake) dermatitis and photosensitivity. Dermatology. 1998;197(3):255-7. doi: 10.1159/000018007

Nakamura T. Shiitake (Lentinus edodes) dermatitis. Contact Dermatitis. 1992 Aug;27(2):65-70. doi: 10.1111/j.1600-0536.1992.tb05211.x

Sur le web :

Intoxications par des champignons shiitaké. Rapport d’étude de toxicovigilance. Groupe de travail ‘Vigilance des toxines naturelles’. Anaes. Avril 2021 (au format PDF)

Cette femme de 36 ans a déjà développé douze tumeurs, dont cinq cancers

Illustration d’une trisomie : présence de trois chromosomes identiques dans une même cellule. © Darryl Leja. National Human Genome Research Institute (NHGRI)

C’est un cas véritablement exceptionnel que rapportent des oncologues et généticiens espagnols dans un article publié le 2 novembre 2022 dans la revue en ligne Science Advances. Aussi incroyable que cela puisse paraître, une femme de 36 ans a développé douze tumeurs différentes, bénignes et malignes, pour lesquelles elle a été traitée et dont elle a guéri.

Sa mère avait 26 ans et son père 30 ans quand elle est née en 1986, au terme d’une grossesse non compliquée. Les parents étaient en bonne santé et ne présentaient pas de consanguinité. Un retard de croissance et un léger retard psychomoteur avaient été notés dès les premiers mois de vie. En outre, plusieurs taches café-au-lait sont apparues durant les six premiers mois.

Une grande prédisposition aux tumeurs

À l’âge de deux ans, la petite fille a développé un rhabdomyosarcome dans le canal auditif externe. Cette tumeur maligne des tissus mous a été traitée par chimiothérapie et radiothérapie. Le retard de croissance, mis sur le compte de cette double thérapie anti-cancéreuse, a été traitée par injection d’hormone de croissance.

À droite : radiographie des deux genoux. Présence d’une lésion évoquant un enchondrome dans le fémur gauche (flèche bleue). À gauche : radiographie du bras droit montrant des lésions caractéristique d’un enchondrome (flèches bleues).

En 2001, la fillette, alors âgée de 15 ans, a développé plusieurs tumeurs du fémur, de l’humérus et du poignet, évoquant une enchondromatose, une maladie de l’os caractérisée par le développement de tumeurs cartilagineuses bénignes, les enchondromes.

La même année, l’adolescente se voit diagnostiquer un cancer du col de l’utérus (de l’endocol et de l’exocol, c’est-à-dire de la partie haute du col située du côté de l’utérus et de la partie basse, située du côté du vagin). La tumeur a été traitée par ablation de l’utérus et des ovaires, ainsi que par curiethérapie (technique de radiothérapie consistant à mettre des éléments radioactifs directement au contact de la tumeur en vue de sa destruction) et radiothérapie externe. La fillette n’avait pas été infectée par un papillomavirus humain (HPV), dont l’infection est associée au cancer de l’utérus. Elle n’avait pas non plus été exposée in utero au distilbène, connu comme pouvant provoquer un cancer de l’utérus à la puberté chez les filles de mères qui avaient pris ce médicament lors de leur grossesse.

Cinq ans plus tard, en 2006, l’adolescente est opérée d’une tumeur de la parotide (adénome pléomorphe du lobe gauche, tumeur bénigne la plus courante des glandes salivaires).

L’année suivante, on diagnostique à cette jeune patiente un sarcome, toujours dans la partie gauche de la parotide. Cette tumeur maligne nécessite de procéder à une mastoïdectomie, opération chirurgicale consistant à retirer une partie de l’os situé derrière l’oreille.

Entre 2006 et 2010, plusieurs autres tumeurs ont dû être retirées, en l’occurrence des naevus dysplasiques (grains de beauté d’apparence inhabituelle), un lipome mammaire (tumeur adipeuse bénigne) et un pilomatricome (tumeur cutanée bénigne développée à partir des cellules de la racine du poil).

En 2010, à l’âge de 24 ans, la jeune femme subit une hémithyroïdectomie (ablation de la moitié de la glande thyroïde) car elle présente un goître avec plusieurs nodules. Deux ans plus tard, on lui retire un polype du côlon, siège d’une tumeur maligne (adénocarcinome intra-muqueux).

Enfin, en 2014, les chirurgiens opèrent la jeune femme, alors âgée de 28 ans, d’un cancer du rectum (adénocarcinome rectal). La même année, on lui retire une autre tumeur bénigne du côlon (adénome tubulaire) lors d’une coloscopie de contrôle. Suite à l’ablation chirurgicale de ces tumeurs, la patiente n’a subi ni radiothérapie, ni chimiothérapie. Elle n’a pas développé d’autres tumeurs depuis.

Ce cas clinique hors normes est rapporté par Carolina Villarroya-Beltri, Sandra Rodríguez-Perales et leurs collègues de Centre national espagnol de recherche sur le cancer (CNIO) de Madrid.

Mais quelle est donc l’anomalie génétique ayant entraîné le développement d’un si grand nombre de tumeurs chez cette jeune femme ? Les généticiens moléculaires madrilènes rapportent qu’elle est porteuse de mutations sur les deux copies d’un même gène dénommé MAD1L1, à la fois sur la copie du gène (allèle) provenant de sa mère et celle provenant du père.

Mitose sur surveillance

Pour comprendre ce qui suit, un bref rappel du processus du cycle cellulaire s’impose. Ce processus fondamental, commun à toutes les cellules eucaryotes (possédant un noyau), comporte deux grands événements que sont la réplication des chromosomes d’une part, la division de la cellule d’autre part. À chaque division cellulaire, la distribution du matériel génétique en deux lots identiques dans chaque cellule fille (on parle de ségrégation des chromosomes) est réalisée par une structure constituée de microtubules : le fuseau mitotique.

Le gène MAD1L1 gouverne la production d’une protéine dénommée MAD1, qui joue un rôle essentiel dans un système qui s’assure que la ségrégation des chromosomes se déroule normalement au cours de la division cellulaire. Le cas échéant, ce système retarde le début de l’étape au cours de laquelle les chromosomes se séparent et migrent vers les pôles opposés de la cellule.

Point de contrôle d’assemblage du fuseau mitotique

Ce système est appelé « point de contrôle d’assemblage du fuseau mitotique » ou SAC en anglais (pour spindle assembly checkpoint), mécanisme dont dispose la cellule pour réguler les attachements incorrects des chromosomes au fuseau mitotique afin d’éviter des erreurs dans la transmission du matériel génétique aux cellules filles lors de la mitose. Le SAC entraîne alors un ralentissement de la mitose pour permettre de corriger les anomalies des points d’attachement des chromosomes (kinétochores) aux microtubules du fuseau mitotique. Les kinétochores participent aux mouvements des chromosomes, notamment à leur migration vers les pôles de la cellule en division. Leur fonction est d’assurer la ségrégation rigoureuse des chromosomes entre les deux cellules filles, autrement dit une égale répartition du matériel génétique lors de la division cellulaire.

Ainsi, lorsqu’un attachement incorrect est détecté, cette étape de la mitose est retardée, ce qui permet d’éviter les aneuploïdies, autrement dit la survenue d’un nombre incorrect de chromosomes dans les cellules filles issues de la division cellulaire. Les aneuploïdies peuvent être par excès, comme dans les trisomies (chromosomes en trois exemplaires), ou par défaut, comme dans les monosomies (chromosome en unique exemplaire dans la cellule, au lieu de se trouver en deux exemplaires).

Mutations dans le gène d’une protéine clé du point de contrôle du fuseau

Les généticiens espagnols ont déterminé que leur patiente a hérité de deux copies défectueuses (allèles maternel et paternel) du gène MAD1L1. Elle est donc porteuse de mutations germinales bialléliques, jamais décrites auparavant, qui ont entraîné l’apparition d’un syndrome caractérisé par une aneuploïdie et une forte prédisposition au développement de tumeurs. Celle-ci s’est traduite par la survenue de tumeurs dès le plus jeune âge, dont cinq cancers jusqu’à ce jour, auxquels elle a réchappé.

Chez cette patiente, les mutations aboutissant à la synthèse d’une protéine tronquée, sont à l’origine d’un défaut du point de contrôle du fuseau mitotique et d’un cortège d’altérations cellulaires conduisant au développement de plusieurs types de tumeurs. La protéine MAD1 n’est sans doute pas fonctionnelle dans la mesure où le gène MADL1 qui gouverne sa synthèse est porteur de deux mutations qui amputent la protéine d’une région essentielle à sa fonction.

Près de 40 % de cellules sanguines aneuploïdes

L’analyse des mitoses de globules blancs (cellules mononuclées du sang périphérique) de la patiente a permis d’identifier qu’environ 39 % de ces cellules en division étaient aneuploïdes. Le pourcentage de cellules dotées d’un nombre de chromosomes supérieur à la normale n’était que de 1,5 % chez la mère et de 0,7% chez le père**.

Les chercheurs ont observé un nombre élevé de chromosomes 7, 8, 20 et X dans les globules blancs de la patiente. De même, ils ont fréquemment observé la présence en trois exemplaires (trisomie) du chromosome 21, ainsi que des chromosomes 12 et 18 supplémentaires.

Des tumeurs avec un gain de chromosomes

Les biologistes moléculaires ont analysé les anomalies génétiques dans les cancers survenus chez la jeune femme. Un gain d’un ou de plusieurs chromosomes entiers dans les tumeurs malignes a été observé. À l’inverse, une perte de chromosomes entiers n’a été trouvée que dans le cancer colorectal. Le nombre d’anomalies chromosomiques était plus élevé dans les tumeurs les plus agressives, en l’occurrence dans le cancer colorectal et le cancer du col utérin.

Dans la mesure où les individus prédisposés à développer des tumeurs du côlon sont le plus souvent porteurs de mutations dans des gènes impliqués dans la tumorigenèse (tels que les gènes APC, TP53, RET ou KRAS), les généticiens ont recherché la présence de telles anomalies génétiques. Aucune de ces mutations n’a été identifiée dans l’adénome tubulaire colique, pas plus que dans les autres tissus tumoraux.

Cette jeune femme présente un syndrome caractérisé par un grand nombre de cellules aneuploïdes. Celui-ci peut donc être classé dans la catégorie des syndromes d’aneuploïdie en mosaïque, définis par la présence dans l’organisme d’un grand nombre (> 10%) de cellules aneuploïdes. Les autres cellules de l’organisme sont euploïdes (comportant 22 paires de chromosomes non sexuels et deux chromosomes sexuels, soit en tout 46 chromosomes).

Réponse inflammatoire systémique

Il s’avère que l’aneuploïdie a pour conséquence d’induire une réponse inflammatoire généralisée (systémique) dans les cellules euploïdes, ce qui peut entraîner des taux sanguins élevés de molécules inflammatoires. Les cellules de la patiente présentent une surexpression des gènes associés à la réponse inflammatoire. C’est en particulier le cas des lymphocytes T.

Expansion d’une sous-population de lymphocytes T

Les chercheurs ont montré que les mutations ont entraîné une production spécifique accrue en sous-catégorie particulière de globules blancs (lymphocytes T γδ) avec un gain en chromosome 12 et dotés d’une plus grande capacité à détruire les intrus). Les lymphocytes T γδ sont connus pour jouer un rôle majeur contre les pathogènes mais aussi contre ses propres cellules tumorales et stressées.

À ce stade, on ignore les liens spécifiques pouvant exister entre le fonctionnement des cellules T γδ (gamma-delta) et l’aneuploïdie. La composition du système immunitaire de cette patiente permet-il d’expliquer qu’elle ait pu réchapper de cinq cancers ?

La patiente possède également des lymphocytes B avec un gain en chromosome 12. On observe dans ces cellules B la surexpression de deux gènes, correspondant à une signature génétique retrouvée dans des cellules leucémiques*.

Ce cas clinique est d’autant plus surprenant que moins de la moitié des patients présentant un syndrome d’aneuploïdie en mosaïque, caractérisé par la présence dans l’organisme d’un grand nombre (> 10%) de cellules aneuploïdes, développent des tumeurs. Ces patients présentent en général une seule tumeur maligne. À ce jour, on ne dénombre que deux individus atteints de SAM ayant développé deux cancers différents, à savoir un rhadbomyosarcome et un néphroblastome (ou tumeur de Wilms, cancer du rein spécifique affectant principalement des jeunes enfants).

La mise en évidence chez cette patiente d’une réponse immunitaire accrue, sous la forme d’une expansion clonale d’une population spécifique de lymphocytes T, pourrait déboucher sur de nouvelles opportunités de traitement pour des patients présentant un taux élevé d’aneuploïdie, concluent les auteurs de l’article.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn, et sur mon autre blog ‘Le diabète dans tous ses états’, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà vingt-sept billets.) 

* Les chercheurs ont observé une expression accrue des gènes impliqués dans la réponse inflammatoire, notamment dans les voies de signalisation de l’interféron et du NF-κB, un facteur de transcription impliqué dans la réponse au stress cellulaire. Les voies de régulation de la présentation de l’antigène sont également surexprimées, avec une surexpression des molécules HLA de classe II, en particulier dans les cellules présentatrices de l’antigène (cellules dendritiques, monocytes, lymphocytes B), avec une expansion clonale spécifique des cellules T γδ avec un gain en chromosome 18 et un profil cytologique accru, en même temps que des lymphocytes B avec un gain en chromosome 12 et une signature transcriptomique caractéristique de celle que l’on observe dans la leucémie lymphoïde chronique (LLC). Il est à noter qu’une trisomie du chromosome 12 est observée dans environ 16 % des cas de LLC et est associée à un mauvais pronostic. La majorité des patients atteints de LLC sont porteurs de clones de cellules B dans les 6 mois à 6 ans précédant le début de la maladie clinique. On ignore si ces cellules B avec un gain en chromosome 12 représentent un état pré-cancéreux, mais la détection de ces clones incite à effectuer une surveillance étroite de la patiente à la recherche d’une hémopathie maligne à un stade précoce.

** Il importe de souligner que les individus porteurs d’une seule copie défectueuse du gène MAD1L1 (sujets hétérozygotes) ne présentent pas un nombre significatif de cellules aneuploïdes, malgré un faible taux de protéine MAD1. Pour autant, le grand nombre de fausses-couches et de cancers chez certains membres de la famille de la patiente incite à suivre étroitement ces personnes sur le plan médical. La sœur ainée de la patiente est porteuse de la mutation paternelle. Une sœur cadette a hérité de mutation maternelle et a fait trois fausses couches. La mère de la patiente a développé un cancer du sein à l’âge de 45 ans, avec absence de mutations dans des gènes classiquement impliqués dans les tumeurs malignes mammaires (dont BRCA1 et BRCA2).

Pour en savoir plus :

Villarroya-Beltri C, Osorio A, Torres-Ruiz R, et al. Biallelic germline mutations in MAD1L1 induce a syndrome of aneuploidy with high tumor susceptibility. Sci Adv. 2022 Nov 4;8(44):eabq5914. doi: 10.1126/sciadv.abq5914

Ben-David U, Amon A. Context is everything: aneuploidy in cancer. Nat Rev Genet. 2020 Jan;21(1):44-62. doi: 10.1038/s41576-019-0171-x

Chunduri NK, Storchová Z. The diverse consequences of aneuploidy. Nat Cell Biol. 2019 Jan;21(1):54-62. doi: 10.1038/s41556-018-0243-8

Cornet E, Debliquis A, Rimelen V, et al. Developing Molecular Signatures for Chronic Lymphocytic Leukemia. PLoS One. 2015 Jun 5;10(6):e0128990. doi: 10.1371/journal.pone.0128990

Musacchio A, Salmon ED. The spindle-assembly checkpoint in space and time. Nat Rev Mol Cell Biol. 2007 May;8(5):379-93. doi: 10.1038/nrm2163

Bolanos-Garcia VM. Formation of multiprotein assemblies in the nucleus: the spindle assembly checkpoint. Int Rev Cell Mol Biol. 2014;307:151-74. doi: 10.1016/B978-0-12-800046-5.00006-0

Sur le web :

Romé P, Prigent C, Giet R. Le fuseau mitotique, le centrosome et le cancer : trouvez l’intrus ! Med Sci (Paris). 2010 Apr;26(4):377-83. doi: 10.1051/medsci/2010264377

Castro A, Vigneron S, Lorca T, Labbé JC. La mitose sous surveillance. Med Sci (Paris). 2003 Mar;19(3):309-17. French. doi: 10.1051/medsci/2003193309

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