Quand les urines sont vertes…

Coloration verte des urines. Rawal G, et al. J Clin Diagn Res. 2015 Nov;9(11):OD03-4.

Un cas intrigant de coloration anormale des urines a été rapporté en décembre 2020 par des médecins internistes portugais dans la revue médicale en ligne Curēus. Ces urines vertes ont immanquablement fait penser à ce que pourraient être les urines de l’incroyable Hulk, le super-héros. En effet, non sans humour, les médecins qui décrivent ce cas clinique parlent de « Hulk-like urine » et font remarquer qu’au Moyen Âge, avoir des urines vertes était considéré comme le signe d’une personnalité colérique.

L’histoire est celle d’un homme de 58 ans qui a avalé plusieurs comprimés de flupirtine, un médicament antidouleur, lors d’une tentative de suicide. Admis à l’hôpital de Vila Nova de Famalicão (nord du Portugal), les médecins remarquent que l’urine recueillie après sondage vésical a une couleur verte.

À son admission aux urgences, le patient, par ailleurs diabétique et hypertendu, est léthargique et répond peu aux questions. Son bilan sanguin est normal, de  même que le scanner cérébral.

Coloration verte des urines dans la tubulure de la sonde vésicale. Intoxication médicamenteuse à la flupirtine. Vilela M, et al. Cureus. 2020 Dec 28;12(12):e12333.

L’examen des urines en laboratoire ne montre rien de particulier et revient négatif pour la présence de médicaments. L’équipe médicale contacte alors le centre antipoison local qui l’informe qu’il pourrait s’agir d’un cas d’intoxication médicamenteuse à la flupirtine, un puissant analgésique non-opioïde. Après recherche dans les bases de données médicales, Maria Vilela et ses collègues constatent que quelques rares cas cliniques ont été publiés dans la littérature scientifique internationale.

Le patient est suivi pendant 24 heures dans le service des urgences. Sa vigilance s’améliore progressivement et ses urines reprennent une couleur normale.

La flupirtine est un puissant analgésique utilisé dans les douleurs d’intensité modérée à sévère. Elle n’est plus commercialisée dans l’Union européenne depuis 2018 car elle s’est avérée toxique pour le foie. La probabilité est cependant très élevée que des boîtes de ce médicament soient encore conservées dans l’armoire à pharmacie d’un grand nombre de foyers.

Selon les auteurs de ce cas clinique, les cliniciens devraient être au courant de cet effet secondaire. Celui-ci n’est pas seulement observé en cas de surdosage à la flupirtine.

Coloration verte des urines due au bleu de méthylène. Szkodziak P, et al. J Int Med Res. 2020 Aug;48(8):300060520942083.

Une coloration verte des urines a également été rapportée dans d’autres situations cliniques. De rares cas d’urines vertes – on parle également de verdoglobinurie dans le langage médical – ont été rapportés après administration d’autres médicaments, notamment d’amitriptyline (antidépresseur), de cimétidine (indiquée dans le traitement de l’ulcère gastro-duodénal et du reflux gastro-œsophagien), de propofol (anesthésique général).

En 2015, dans la littérature médicale internationale, on ne comptait que seize cas de coloration verte des urines dus le plus souvent à l’administration prolongée de propofol par voie intraveineuse. La couleur verte est alors liée à la présence de métabolites phénoliques, autrement dit des molécules issues du métabolisme hépatique de cet anesthésique. La coloration anormale des urines apparaît lorsque la dégradation du propofol par le foie est dépassée par les capacités d’élimination de l’organisme. L’urine verte n’est pas toxique pour le rein dont elle n’altère pas le fonctionnement.

Coloration verte des urines due au propofol (anesthésique général). Rawal G, et al. J Clin Diagn Res. 2015 Nov;9(11):OD03-4.

Enfin, d’autres observations cliniques ont été rapportées après absorption gastro-intestinale d’un colorant comme le E133 (bleu brillant FCF) ou le bleu de méthylène, ou encore lors d’une infection par le bacille pyocyanique (Pseudomonas aeruginosa) du fait de la libération du pigment fluorescent (pyoverdine) par la bactérie.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, Linkedin

Pour en savoir plus :

Vilela M, Fernandes D, Salazar T Sr, Duarte A. Hulk-Like Urine: A Case of Green Urine Caused by Flupirtine Intoxication. Cureus. 2020 Dec 28;12(12):e12333. doi: 10.7759/cureus.12333

Szkodziak P, Woźniak A, Szkodziak F, et al. Green urine sign after laparoscopic chromopertubation as an effect of severe contrast intravasation: a report of three cases. J Int Med Res. 2020 Aug;48(8):300060520942083. doi: 10.1177/0300060520942083

Gangwani MK, Aziz M, Asif R, Ali SA. Green Urine And Altered Mental Status: A Case Of Intoxication. J Ayub Med Coll Abbottabad. 2019 Apr-Jun;31(2):278-281

Lee YC, Lee JN, Bae JS, Park YC. Green urine in a patient who received a continuous infusion of propofol: A case report. Korean J Anesthesiol. 2009 Mar;56(3):325-327. doi: 10.4097/kjae.2009.56.3.325

Rawal G, Yadav S. Green Urine Due to Propofol: A Case Report with Review of Literature. J Clin Diagn Res. 2015 Nov;9(11):OD03-4. doi: 10.7860/JCDR/2015/15681.6706

Greenberg M. Verdoglobinuria. Clin Toxicol (Phila). 2008 Jun;46(5):485-6. doi: 10.1080/15563650701874629

Carpenito G, Kurtz I. Green urine in a critically ill patient. Am J Kidney Dis. 2002 Apr;39(4):E20. doi: 10.1053/ajkd.2002.32013

Ananthanarayan C, Fisher JA. Why was the urine green? Can J Anaesth. 1995 Jan;42(1):87-8. doi: 10.1007/BF03010578

LIRE aussi : Quand un malade pisse violet

Quand les urines sont violettes

Transplantation pulmonaire : un cas tragique de transmission du SARS-CoV-2 d’une donneuse à une receveuse

Particules virales de SARS-CoV-2 (microscopie électronique). NIAID. © Flickr

Des chirurgiens et médecins américains rapportent, dans un article publié en ligne le 10 février 2021 dans l’American Journal of Transplantation, un cas documenté de transmission du SARS-CoV-2 entre donneuse et receveuse dans le cadre d’une greffe bi-pulmonaire. La donneuse avait pourtant été testé négative pour le coronavirus au test RT-PCR réalisé sur prélèvement nasopharyngé.

La donneuse était une femme résidant dans la région nord du Midwest. Victime d’un accident de la route qui a entrainé des dégâts cérébraux sévères, elle avait été déclarée en état de mort cérébrale deux jours après son admission à l’hôpital. À ce moment-là, le scanner thoracique avait montré des zones d’hyperdensité pulmonaire dans le lobe inférieur droit (zones de condensation). Le radiologue les avait interprété comme le signe d’un affaissement des alvéoles pulmonaires (atélectasie) et la conséquence de la contusion pulmonaire due à l’accident. Le poumon gauche ne montrait rien de particulier si ce n’est une atélectasie modérée de la base.

Une bronchoscopie, examen permettant de visualiser directement le larynx et les voies respiratoires, avait montré une inflammation de la trachée avec  présence transitoire de sécrétions blanchâtres et de petites taches hémorragiques dans la trachée et les bronches principales. Là encore, ces lésions modérées avaient été mises sur le compte de la contusion pulmonaire ayant résulté de l’accident automobile.

Le test RT-PCR nasopharyngé a été réalisé dans les 48 heures précédant le don d’organe et était revenu négatif. La famille de la donneuse n’a pas indiqué d’antécédent de voyage. De même, la donneuse n’avait pas présenté récemment de fièvre, de toux ou de diarrhée. On ignore si la donneuse avait été en contact avec une personne ayant pu être infectée par le SARS-CoV-2.

Les transplanteurs de la faculté de médecine de l’université du Michigan (Ann Arbor) procèdent à une double greffe pulmonaire chez une patiente souffrant de broncho-pneumopathie chronique obstructive. Un test RT-PCR réalisé sur écouvillonnage nasal pour le SARS-CoV-2 est négatif. Le traitement antirejet comporte trois médicaments immunosuppresseurs (méthylprednisolone, tacrolimus, mycophénolate mofétil).

Le surlendemain de la greffe, la patiente présente une défaillance cardiaque, l’échocardiographie montrant une insuffisance ventriculaire droite. Le jour suivant, la receveuse présente une fièvre qui augmente encore et une hypotension. Elle est placée sous respirateur artificiel. Le scanner thoracique montre alors de multiples zones de condensation pulmonaire.

Au vu de l’aggravation de l’état respiratoire et des images radiologiques, une bronchoscopie est réalisée. Les médecins effectuent également un lavage broncho-alvéolaire. Cet examen consiste à instiller du sérum physiologique au niveau des bronches puis à le réaspirer, ce qui permet de recueillir des cellules immunitaires et inflammatoires pouvant se trouver dans les alvéoles pulmonaires. Un test PCR est alors réalisé sur le liquide de lavage broncho-alvéolaire de la receveuse. Celui-ci est positif pour le SARS-CoV-2. Un nouveau test RT-PCR nasopharyngé est pratiqué qui, lui, revient négatif.

C’est alors que les médecins décident de réaliser un test RT-PCR sur le liquide de lavage broncho-alvéolaire qui avait été collecté au moment du prélèvement d’organe. Celui-ci revient positif*.

L’état clinique de la patiente admise en soins intensifs se détériore, avec survenue d’une défaillance de plusieurs organes nécessitant une ventilation mécanique prolongée et une assistance circulatoire. Le traitement immunosuppresseur est modifié. La patiente reçoit des anticorps anti-SARS-CoV-2 de patients convalescents. Malgré cela, la détresse respiratoire s’aggrave. La patiente n’est pas éligible à une nouvelle transplantation. Les soins de support sont interrompus. La patiente décède soixante et un jours après avoir été transplantée. Le test RT-PCR, réalisé la veille du décès, à J+60 post-greffe, est resté positif.

Contamination du chirurgien

Une enquête épidémiologique a été conduite, visant à déterminer si des membres de l’équipe ayant réalisé le prélèvement et du personnel soignant ont pu être infectés. Un test RT-PCR est réalisé dans les cinq jours suivant  la dernière exposition potentiellement contaminante. Aucun autre membre de l’équipe chirurgicale n’a été infecté, de même qu’aucune des personnes ayant participé au prélèvement et à la préparation des poumons pour la greffe. En revanche, il s’avère que le chirurgien thoracique a été contaminé, son test RT-PCR étant revenu positif quatre jours après la greffe. Il a pu être exposé au contenu bronchique (mucus, sécrétions) lorsqu’il a sectionné et ouvert une grosse bronche afin de préparer l’implantation du greffon pulmonaire.

De l’ARN viral a été extrait de divers échantillons biologiques et ensuite séquencé. Les analyses phylogénétiques ont montré que toutes les séquences génomiques appartenaient à un même lignage (clade), distinct de ceux circulant dans le Michigan. Ces données montrent que la receveuse et le chirurgien ont été infectés par le SARS-CoV-2 présent dans les poumons de la donneuse.

L’infection virale de la receveuse d’un greffon pulmonaire à partir d’un donneur n’est pas une surprise dans la mesure où des cas impliquant d’autres virus respiratoires (notamment le virus grippal pandémique H1N1 en 2009) ont déjà été rapportés dans la littérature médicale internationale. Ce cas clinique, à l’issue tragique, invite à se poser des questions sur la stratégie de dépistage appropriée pour les donneurs potentiels sachant que le test RT-PCR nasopharyngé était revenu négatif dans les 48 heures précédant le prélèvement.

Comme le soulignent Daniel Kaul et ses collègues infectiologues et médecins internistes (Ann Arbor, Michigan), des cas cliniques ont déjà montré qu’un test RT-PCR peut être négatif dans les prélèvements nasopharyngés mais être positif dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire et le rester après que le test nasopharyngé soit redevenu négatif.

Étant donné que les tests RT-PCR étaient négatifs chez la donneuse et la receveuse avant la greffe, le personnel n’était pas tenu de porter un masque FFP2 et une protection oculaire. Cela dit, au cours de la transplantation bi-pulmonaire, les membres du personnel soignant ont été exposés à du matériel expulsé du poumon de la donneuse et il s’est avéré qu’un membre de l’équipe chirurgicale a été infecté, probablement pendant l’intervention. « Ainsi, les centres de transplantation devraient examiner l’avantage de porter un masque FFP2 et des protections oculaires lors d’une transplantation pulmonaire même si les tests de dépistage sur les donneurs sont négatifs, comme le recommande la Société internationale de transplantation cardiaque et pulmonaire (ISHLT) et alors que les niveaux d’infection dans la population générale restent élevés », déclarent les auteurs.

En France, l’agence de biomédecine a émis des recommandations en septembre 2020 indiquant que « dans tous les cas, il est recommandé que les donneurs d’organes potentiels bénéficient, dans les 24 heures précédant le prélèvement d’organes, d’un test par RT-PCR nasopharyngé (ou endo-trachéal) dont le résultat devra être négatif pour que le prélèvement puisse avoir lieu. Ces tests RT-PCR pourront être complétés par des test sérologiques sanguins ».

Par ailleurs, « ces tests microbiologiques pourront être étayés par la réalisation d’un scanner thoracique, chez le donneur à la recherche de lésions anatomiques pleuropulmonaires et vasculaires évocatrices ou associées à une potentielle atteinte par la Covid-19 ». Enfin, il est conseillé de rechercher dans l’entourage du donneur potentiel de possibles contacts infectieux ou une symptomatologie évoquant la Covid-19 dans les 28 jours précédant le décès du donneur, ou disposer du résultat d’un éventuel test RT-PCR ou sérologique.

Greffe réussie à partir d’une donneuse antérieurement infectée par le SARS-CoV-2

Ce délai de 28 jours a été largement dépassé chez une patiente qui a reçu une greffe bi-pulmonaire et dont le cas a été décrit par une équipe belge en décembre 2020 dans The Lancet Respiratory Medicine.

Des chirurgiens thoraciques, réanimateurs, anesthésistes, internistes, pneumologues et biologistes des hôpitaux universitaires de Louvain (Belgique) rapportent une double transplantation pulmonaire réussie à partir d’un donneur qui avait présenté trois mois plus tôt des symptômes modérés de Covid-19. Avant le prélèvement, le test RT-PCR nasopharyngé avait été négatif et le scanner thoracique n’avait montré aucun signe résiduel d’atteinte pulmonaire. Les poumons ont été transplantés sans transmission du virus au receveur, comme l’ont indiqué les résultats des tests effectués sur le liquide de lavage broncho-alvéolaire et les tests sérologiques.

La receveuse était une femme atteinte de broncho-pneumopathie chronique obstructive au stade terminal, en attente de greffe bi-pulmonaire depuis sept mois. La donneuse était une femme décédée d’une hémorragie cérébrale. En avril 2020, trois semaines après le début d’épidémie de Covid-19 en Belgique, cette femme avait présenté de la fièvre, de la toux, des douleurs musculaires pendant deux semaines. Du fait de la pénurie de tests, il lui avait été conseillé de s’auto-isoler pendant deux semaines à son domicile. C’est alors qu’elle a contaminé son mari qui devait mourir peu de temps après à l’hôpital de la Covid-19, pathologie confirmée par PCR.

Trois mois plus tard, en juillet 2020, cette femme a été hospitalisée pour une hémorragie intracrânienne et trouvée négative pour le SARS-CoV-2 au test PCR nasopharyngé mais positive aux tests sérologiques. Réalisé à nouveau huit jours plus tard, le test nasopharyngé est revenu négatif, huit heures avant le prélèvement d’organe. La PCR sur le liquide de lavage broncho-alvéolaire était également négative. De même, aucune anomalie n’était visible au scanner thoracique. Par ailleurs, deux biopsies pulmonaires réalisées à la périphérie des lobes droit et gauche ont été réalisées et les tissus analysés au microscope. Aucun signe de Covid-19 n’avait été observé. Les résultats  PCR sur un prélèvement biopsique ont montré des taux très bas d’ARN du SARS-CoV-2 (Ct > 35 à la PCR), mais les cultures virales étaient négatives. Trois mois après l’infection virale, ce faible signal à la PCR pourrait correspondre à un résultat faussement positif ou à des fragments résiduels de virus dans le tissu pulmonaire.

La greffe bi-pulmonaire a pu être réalisée. Les tests PCR et les cultures virales effectuées sur le liquide de lavage broncho-alvéolaire 15 jours, 34 jours, puis 90 jours après la transplantation sont tous revenus négatifs. Les tests sérologiques, réalisés à trois mois, montraient l’absence d’anticorps anti-SARS-CoV-2. Enfin, le scanner thoracique ne montrait pas alors d’atteinte pulmonaire. À trois mois, la PCR sur une biopsie pulmonaire était négative.

Le foie de la donneuse avait également été prélevé. On sait que le SARS-CoV-2 peut être détecté dans cet organe lors de la Covid-19. Le patient qui avait bénéficié de cette greffe hépatique a donc subi un test PCR sur le liquide de lavage broncho-alvéolaire afin de s’assurer de l’absence de SARS-CoV-2 dans ses poumons. Ce qui s’est révélé être le cas.

Les deux cas cliniques rapportés, le premier concernant le décès du receveur, le second décrivant une greffe bi-pulmonaire réussie à partir d’une patiente ayant développé la Covid-19 trois mois auparavant, montrent que l’utilisation systématique de tests de détection du SARS-CoV-2, rapides et hautement sensibles, seront sans doute indispensables pour chaque don d’organe dans les années à venir.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, Linkedin

* Le Ct (nombre de cycles avant détection du signal au test RT-PCR) était faible, égal à 8 ou 9 (selon la région ciblée du génome viral), ce qui témoigne d’une charge virale importante.

Pour en savoir plus :

Kaul DR, Valesano AL, Petrie JG, et al. Donor To Recipient Transmission Of SARS-CoV-2 By Lung Transplantation Despite Negative Donor Upper Respiratory Tract Testing. Am J Transplant. 2021 Feb 10. doi: 10.1111/ajt.16532

Jones JM, Kracalik I, Rana MM, et al. SARS-CoV-2 Infections among Recent Organ Recipients, March-May 2020, United States. Emerg Infect Dis. 2021 Feb;27(2):552-555. doi: 10.3201/eid2702.204046

Ceulemans LJ, Van Slambrouck J, De Leyn P, et al. Successful double-lung transplantation from a donor previously infected with SARS-CoV-2. Lancet Respir Med. 2020 Dec 1:S2213-2600(20)30524-5. doi: 10.1016/S2213-2600(20)30524-5

Sur le web :

Recommandations de l’Agence de la biomédecine relatives à la poursuite des activités de prélèvement et de greffe en cas de rebond de l’épidémie de COVID-19 (22 septembre 2020)

Aslam S, Danziger-Isakov L, Luong M, et al. Guidance from the International Society of Heart and Lung Transplantation regarding the SARS CoV-2 pandemic. (International Society of Heart and Lung Transplantation, August 19, 2020)

Forme sévère de Covid-19 : des anomalies du globe oculaire détectées à l’IRM

Homme de 56 ans hospitalisé en unité de soins intensifs pour une forme sévère de Covid-19. IRM réalisée du fait du retard de l’éveil après arrêt de la sédation. Il présentait un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Présence de nodules au pôle postérieur du globe oculaire localisés dans la région maculaire (pointes blanches, à droite sur ce cliché) et hors de cette région (pointes noires, à droite sur ce cliché). Présence d’un décollement localisé de la rétine de l’œil gauche (longue flèche blanche). Lecler A, et al. Radiology. 2021 Feb 16:204394.

Des anomalies du globe oculaire ont été détectées à l’IRM chez des patients atteints d’une forme sévère de Covid-19, rapportent des neuroradiologues français dans une étude publiée le 16 février 2021 dans la revue Radiology.

On sait que la Covid-19 peut être associée dans ses formes sévères à des lésions ophtalmologiques, telles qu’une conjonctivite, une atteinte de la rétine (rétinopathie) ou une névrite optique (atteinte neurologique causée par une inflammation du nerf optique). Des anomalies de la région orbitaire ont également été décrites. C’est cependant la première fois que l’imagerie par résonance magnétique (IRM) met en évidence des anomalies du globe oculaire, soulignent Augustin Lecler (Hôpital Fondation Rothschild, Paris), François Cotton (CHU de Lyon) et leurs collègues.

Même patient que le cliché IRM précédent. Nodule au pôle postérieur du globe oculaire localisé dans la région maculaire. Lecler A, et al. Radiology. 2021 Feb 16:204394.

Nodules du pôle postérieur 

Réalisée sous l’égide du groupe d’étude Covid de la Société française de neuroradiologie (SFNR), les neuroradiologues ont conduit une étude rétrospective observationnelle qui a consisté à analyser les données IRM de 129 patients consécutifs présentant une forme sévère de la Covid-19. Seize centres hospitaliers (onze CHU et cinq hôpitaux généraux) ont participé à une étude multicentrique entre le 4 mars et le 1er mai 2020. Parmi ces 129 patients, des anomalies du globe oculaire, en l’occurrence plusieurs nodules du pôle postérieur, ont été détectées chez une femme et huit hommes (neuf patients, 7 % de l’effectif). On rappelle que le globe oculaire est habituellement divisé en segment antérieur et segment postérieur, le pôle postérieur incluant la papille ou tête du nerf optique (convergence des fibres optiques) et la macula (zone de la rétine très riche en photorécepteurs et impliquée la vision la plus nette en éclairage diurne).

Huit patients sur les neuf avaient été hospitalisés en soins intensifs pour un syndrome de détresse respiratoire aigüe. Ces huit patients en réanimation avaient été intubés et ventilés. Ils avaient reçu de l’oxygène à haut débit. Sept d’entre eux avaient été placés en décubitus ventral (position allongée à plat ventre). Ces patients avaient passé une IRM pour différentes raisons. Six d’entre eux présentaient une difficulté d’éveil malgré l’arrêt de la sédation. Deux étaient agités et confus au réveil. Un autre patient présentait une agitation et des hallucinations.

Les neuroradiologues ont découvert chez ces neuf patients la présence de nodules hyperdenses siégeant au pôle postérieur du globe oculaire. Tous présentaient des nodules dans la région de la macula. Huit avaient des nodules dans les deux yeux. Chez deux patients, les nodules se situaient en dehors de la région maculaire. Aucun des neuf patients ne présentait d’atteinte des voies optiques, notamment du nerf optique ou du chiasma optique (région du cerveau où les deux nerfs optiques se croisent).

Trois des neuf patients ne présentaient cependant pas d’anomalies du pôle postérieur visibles au fond d’œil. En d’autres termes, les nodules n’étaient pas visibles à l’examen ophtalmologique, sans doute du fait de son manque de sensibilité dans un tel contexte clinique. Un fond d’œil est en effet difficile à réaliser chez des patients présentant une forme sévère de Covid-19. L’absence de lésions visibles au fond d’œil pourrait également s’expliquer par le délai qui séparait cet examen de l’IRM.

Un patient présentait une occlusion d’une branche de l’artère centrale de la rétine à l’angiographie à la fluorescéine, examen permettant de visualiser les vaisseaux sanguins du fond de l’œil et principalement ceux de la rétine. Un autre patient présentait une kératite  (inflammation de la cornée) de l’œil gauche. Enfin, un seul patient, présentant un nodule dans la région maculaire, a eu droit à une tomographie par cohérence optique (OCT). Cette technique d’imagerie non invasive permet de produire des images en coupe antéro-postérieure des tissus du fond d’œil et notamment de visualiser en détail l’intérieur de la rétine. L’OCT n’avait pas détecté d’anomalies chez ce patient.

On sait que le virus SARS-CoV-2 peut infecter la rétine. Des travaux ont en effet montré la présence de l’ARN viral dans la rétine de malades décédés de la Covid-19. Par ailleurs, des anomalies rétiniennes (hémorragies, nodules cotonneux, veines dilatées ou vaisseaux sanguins au trajet tortueux) ont été rapportées dans cette pathologie. L’OCT, examen plus performant que le fond de l’œil pour détecter des anomalies rétiniennes, a déjà montré chez des patients Covid-19 la présence d’exsudats cotonneux. Ceux-ci témoignent d’une atteinte rétinienne vasculaire. Ils se manifestent sous la forme de petites lésions blanches superficielles. Elles correspondent à une nécrose localisée des fibres optiques rétiniennes du fait de l’occlusion d’une artériole.

Hypothèses

La nature des nodules observés chez ces patients présentant une forme sévère de Covid-19 demeure inconnue. Plusieurs mécanismes responsables de l’atteinte oculaire peuvent néanmoins être évoqués, tels que l’infiltration de la rétine par le virus, une inflammation des vaisseaux rétiniens (vascularite), un mécanisme auto-immun (les cellules immunitaires étant alors responsables des lésions rétiniennes). Ils peuvent en effet provoquer une rétinite, une inflammation de la choroïde (couche de la paroi du bulbe oculaire qui vascularise la portion la plus interne de l’œil, notamment la rétine), un décollement de la rétine ou une névrite optique.

Il convient également d’avoir à l’esprit que le récepteur ACE2, qui représente la porte d’entrée du SARS-CoV-2 dans les cellules qu’il infecte, est largement présent dans la rétine et la choroïde. Ce récepteur cellulaire ACE2 participe à la régulation du système rénine-angiotensine, impliqué dans la pression artérielle locale. Ce faisant, le virus pourrait entraîner des troubles de la vascularisation de la rétine conduisant à un manque d’oxygénation (ischémie rétinienne).

Autre hypothèse : il est possible que les lésions oculaires observées chez des patients présentant une forme sévère de Covid-19 soient liées à ce que les ophtalmologistes appellent une rétinopathie de Valsalva. Cette lésion correspond à une rupture de vaisseaux rétiniens au cours d’un effort physique à glotte fermée. Dans ce cas, il se produit une augmentation brutale de la pression veineuse, responsable de la rupture d’un capillaire du pôle postérieur du globe oculaire. Et les auteurs de souligner qu’une telle situation peut se produire chez des patients Covid-19 hospitalisés en unité de soins intensifs, en particulier ceux intubés ou maintenus à plat ventre (décubitus ventral), position qui permet de redistribuer le sang vers des régions du poumon mieux ventilées et d’améliorer ainsi les échanges gazeux. Cela était le cas chez huit des neuf patients qui présentaient des anomalies du globe oculaire à l’IRM.

Selon les auteurs, leur étude indique qu’une IRM des globes oculaires, un fond fond d’œil et une tomographie par cohérence optique (OCT) devraient être envisagés chez tous les patients présentant une Covid-19 sévère afin de détecter des nodules du pôle postérieur. Et de conclure que : « Des problèmes oculaires graves peuvent passer largement inaperçus car ces patients sont souvent traités en unité de soins intensifs pour des pathologies beaucoup plus sévères mettant en jeu le pronostic vital. Nos données confirment la nécessité d’un dépistage et d’un suivi de ces patients afin de proposer un traitement approprié et d’améliorer la prise en charge de ces manifestations ophtalmologiques potentiellement graves ».

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, Linkedin

Pour en savoir plus :

Lecler A, Cotton F, Lersy F, Kremer S, Héran F; SFNR’s COVID Study Group. Ocular MRI Findings in Patients with Severe COVID-19: A Retrospective Multicenter Observational Study. Radiology. 2021 Feb 16:204394. doi: 10.1148/radiol.2021204394

Abdul-Kadir MA, Lim LT. Human coronaviruses: ophthalmic manifestations. BMJ Open Ophthalmol. 2020 Nov 2;5(1):e000630. doi: 10.1136/bmjophth-2020-000630

Pirraglia MP, Ceccarelli G, Cerini A, et al. Retinal involvement and ocular findings in COVID-19 pneumonia patients. Sci Rep. 2020 Oct 15;10(1):17419. doi: 10.1038/s41598-020-74446-6

Rousseau A, Fenolland JR, Labetoulle M. SARS-CoV-2, COVID-19 et œil : le point sur les données publiées. J Fr Ophtalmol. 2020 Sep;43(7):642-652. doi: 10.1016/j.jfo.2020.05.003

Ling XC, Kang EY, Lin JY, et al. Ocular manifestation, comorbidities, and detection of severe acute respiratory syndrome-coronavirus 2 from conjunctiva in coronavirus disease 2019: A systematic review and meta-analysis. Taiwan J Ophthalmol. 2020 Sep 16;10(3):153-166. doi: 10.4103/tjo.tjo_53_20

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