Quand un tigre attaque un soigneur dans un zoo

Soren Wolf. Tigre dans un zoo. © Flickr

C’est l’histoire d’une gardienne d’un zoo japonais qui a été victime d’une attaque par un tigre. Cet événement, heureusement non mortel, s’est produit en 2022, soit justement l’année du tigre au Japon.

Ce matin-là, juste avant l’ouverture du parc zoologique et alors que de nombreux visiteurs sont attendus pour voir les félins, cette soigneuse s’est fait attaquer par derrière par un tigre du Bengale qui l’a mordue à la tête, l’a traînée sur trois mètres et lui a infligé d’autres morsures sur le thorax et l’abdomen.

Un collègue a réussi à éloigner la victime de l’animal, de 2 mètres de long et d’un poids de 150 kg. Il a ensuite appelé les secours, qui sont arrivés cinq minutes plus tard. La soigneuse a été transportée par hélicoptère à l’hôpital, indiquent des médecins urgentistes et chirurgiens japonais dans un article publié en ligne le 6 novembre 2023 dans l’International Journal of Emergency Medicine.

À son arrivée, la jeune femme de 26 ans reçoit un vaccin antitétanique et des immunoglobulines à titre préventif contre le risque infectieux. Saignant abondamment, elle est transfusée. Elle reçoit six culots globulaires et six unités de plasma frais congelé.

La victime présente de multiples lacérations du côté droit du visage, des deux côtés du cou et de la tête et autour des oreilles. À l’arrière du crâne, le cuir chevelu est décollé sur une longueur de cinq centimètres. Une plaie ouverte d’environ dix centimètres de long est visible sur le côté droit du thorax, une autre se situe au bas de l’abdomen. Plusieurs lacérations sont présentes dans le dos, sur la cuisse gauche, le pouce droit.

Le scanner révèle de multiples fractures ouvertes de la face, de même que la présence d’air dans la cavité crânienne du fait de la rupture des sinus frontaux et ethmoïdaux, ces derniers étant situés entre les deux orbites.

Une présence anormale d’air dans la cavité pleurale (pneumothorax) est également observée. Les médecins notent aussi l’existence de plusieurs fractures vertébrales, au niveau de la première vertèbre cervicale, de la 12e vertèbre thoracique et de la première vertèbre lombaire. Aucun organe abdominal ne semble touché. Les plaies thoraciques, abdominales et des extrémités sont lavées et suturées. La victime reçoit pendant neuf jours des antibiotiques à titre prophylactique. Il s’agit notamment d’éviter une infection par la bactérie Pasteurella (P. multocida), germe spécifique de ces espèces.

La victime est opérée cinq heures après son admission à l’hôpital. Une grande quantité de sérum physiologique est utilisée pour lui laver la tête et ainsi retirer le plus grand nombre possible de petits fragments osseux. Du fait d’une contracture de la paupière supérieure droite, le globe oculaire est très exposé. Afin de conserver la forme du visage, les chirurgiens fixent un grand fragment osseux à l’aide d’une plaque et de vis. La glande parotide, au travers de laquelle chemine le nerf facial, a été largement entaillée des deux côtés, ce qui semble avoir entraîné une paralysie faciale bilatérale.

Trois jours plus tard, la jeune femme, en état de stress aigu, fait des cauchemars. Un traitement par hypnotique est commencé. Cinq jours après avoir été opérée, elle reprend une alimentation par voie orale et sort de l’unité de soins intensifs. Quatorze jours plus tard, elle est opérée pour une fracture zygomatique droite (os de la pommette). Les chirurgiens entreprennent également une reconstruction osseuse de l’orbite et du nez. La patiente sort de l’hôpital au bout de trois semaines.

Cinq mois plus tard, la jeune femme se plaint de flashbacks et de cauchemars au cours desquels elle revit l’accident. Comme elle souffre d’un trouble de stress post-traumatique, elle débute un traitement par antidépresseur qui améliore son état.

La prise en charge de cette patiente traumatisée sur les plans physique et psychique a nécessité l’intervention de chirurgiens spécialisés en chirurgie plastique et reconstructrice, chirurgie générale et ORL, ainsi que de psychiatres, soulignent Kouichi Fuji et ses collègues du Kamma Mémorial Hospital de la ville de Tochigi (île de Honshū).

Cette patiente n’a heureusement pas subi de graves morsures au cou, ce qui explique qu’elle soit toujours en vie. Il importe de savoir que les lésions infligées par un félin se situent avant tout au niveau du cou et qu’elles peuvent être fatales. Il s’agit alors de fractures de la colonne cervicale, de lésions de gros vaisseaux (veine jugulaire, artère carotide), et de plaies complexes des tissus mous du cou.

De redoutables canines

Reconstruction 3D du scanner de la tête montrant les multiples fractures de la face. Fujii K, et al. Int J Emerg Med. 2023 Nov 6;16(1):80.

Les dents des félins, capables d’exercer des forces très élevées sur les os des proies, peuvent provoquer des factures complexes. Par ailleurs, les canines des tigres mesurent de 6 à 9 cm de long. La distance inter-canine est de 7 à 9 cm chez les tigres. Ceci explique la localisation des larges plaies par morsure observées de chaque côté des parties supérieures et inférieures du cou des victimes.

Les canines s’enfoncent souvent comme un coin entre les vertèbres du cou, entraînant leur déplacement et donc la rupture de la moelle épinière cervicale. Il existe dans les canines des récepteurs proprioceptifs qui permettent au tigre de détecter un contact osseux quand il mord.

Les griffes très acérées des félins sont également redoutables, pouvant atteindre une longueur de 10 cm. Elles pénètrent en profondeur dans les tissus, même si les plaies incisionnelles peuvent apparaître superficielles.

Les fractures des vertèbres cervicales sont fréquentes chez les survivants d’une attaque d’un félin. Les fractures siégeant en dehors de la région de la tête et du cou résultent du fait que les lions et les tigres se jettent sur leurs proies en les clouant au sol sous l’effet de leur propre poids. Un tigre de Sibérie adulte pèse en effet plus de 200 kg.

On observe peu de différences dans le profil des lésions selon que le félin est sauvage ou maintenu en captivité. À l’instar de leurs congénères vivant à l’état sauvage, les félins des zoos, des cirques ou des parcs animaliers attaquent leurs proies de la même façon, à savoir d’abord en visant le cou.

Parue en 2022 dans Trauma, une revue systématique de la littérature médicale consacrée aux attaques par des félins sauvages ou captifs a été réalisée par des médecins urgentistes et des vétérinaires britanniques. Parmi plus de 5 000 articles recensés, ils en ont retenu 42 bien documentés, qui se rapportaient à un total de 84 cas. Parmi ceux-ci, 40 présentaient des lésions primaires au niveau du cou, dont 29 ont été fatales.

Le tigre préfère attaquer par derrière et mordre le cou

Les tigres préfèrent en effet saisir leurs proies au cou, ce qui provoque souvent des lésions de la trachée, des veines jugulaires et des carotides. Il arrive également que le félin tue sa proie en la tenant par le cou et en la secouant de telle façon que cela entraîne une dislocation des vertèbres et une rupture de la moelle épinière. Dans le même temps, le tigre peut, sous son poids, maintenir sa victime au sol avec des pattes antérieures, jusqu’à la mort de sa proie.

Entre 1996 et 2020, plusieurs attaques de félins (tigres de Sibérie, de Bengale, de Sumatra, lions, léopards) ont été rapportées chez des employés de zoos, cirques ou fermes d’animaux exotiques, en Allemagne, Afrique du Sud, Bolivie, Canada, États-Unis, France, Inde, Irlande, Italie, Nigéria, Pologne, République tchèque et Royaume-Uni.

En 2021, un soigneur d’un parc zoologique a été attaqué en Inde par un tigre au cours de la nuit. Ce félin souffrait depuis quelques jours d’une gastroentérite et présentait un moindre appétit, des vomissements et de la diarrhée. Ce tigre, âgé de 15 ans et pesant 180 kg, a attaqué par derrière ce soigneur âgé de 35 ans. Celui-ci effectuait une ronde de routine pour s’assurer de l’état de santé du félin.

Les griffes ont provoqué des plaies saignant abondamment. La victime a subi des lésions thoraciques externes (lacérations du dos et plaies pénétrantes du thorax) et internes. La plèvre, enveloppe entourant les poumons, a ainsi été rompue. Surtout, la colonne vertébrale a été entièrement sectionnée et disloquée au niveau de la 3e et 4e vertèbre thoracique, ce qui a entraîné la mort.

Le profil de lésions sur le dos indique que l’attaque du soigneur a eu lieu par derrière et qu’elle a été soudaine. Les médecins légistes indiens n’ont pas relevé de lésions sur d’autres régions du corps. Selon eux, il est possible que le félin, déjà stressé par sa gastroentérite, ait considéré le soigneur comme un intrus dans son espace et l’ait attaqué par derrière. La malheureuse victime connaissait portant ce tigre depuis douze ans.

En 2015, des médecins légistes allemands ont rapporté dans l’International Journal of Legal Medicine deux cas mortels d’attaque par des tigres, respectivement dans le zoo de Cologne et de Münster. Les victimes étaient des employés expérimentés. Les félins étaient des tigres mâles de Sibérie, qui mesurent généralement entre 2,7 et 3,3 mètres de long et pèsent entre 180 et 306 kg.

La première attaque concerne une gardienne de zoo de 43 ans, qui travaillait dans ce parc zoologique depuis 21 ans, dont 12 ans avec des félins. Du museau à la racine de la queue, le tigre mesurait 2,40 mètres. C’est un gardien qui a découvert le corps de sa collègue, gisant dans une mare de sang à l’intérieur de la cage du félin. L’animal, assis près de la victime, empêchait toute approche. Il fut donc abattu depuis une lucarne. C’est alors que l’équipe de secours a pu constater le décès. L’autopsie a révélé que la cause de la mort a été la destruction complète de la colonne cervicale, avec contusion de la moelle épinière et arrachement des deux artères vertébrales.  L’attaque par le félin a porté sur le côté gauche du cou de la victime, les canines supérieures causant de larges plaies.

La victime de l’autre attaque mortelle, au zoo de Münster, était un gardien âgé de 56 ans, qui y travaillait depuis plus de vingt ans. Il n’y a eu aucun témoin de l’attaque, mais des visiteurs ont tout de même remarqué que le tigre jouait avec quelque chose de rouge, qui s’est révélé être le pull-over rouge vif de la victime.

Là encore, la principale lésion se situait au niveau du côté droit du cou. L’examen post-mortem a montré que la colonne cervicale était anormalement souple. La palpation du cou indiquait la présence de plusieurs fragments osseux dans la profondeur de la blessure, indiquant par là même la destruction de la colonne cervicale. Les médecins légistes ont également observé une lacération profonde le long de la ligne de démarcation des cheveux dans le cou. Enfin, plusieurs plaies circulaires étaient visibles sur la région postérieure de l’épaule gauche. Tout ceci montre donc que le félin a très probablement attaqué sa victime par derrière, saisissant son épaule gauche et la mordant au cou, côté droit.

Dans ces deux cas, des morsures similaires ont été observées sur le cou des victimes. Les deux gardiens ont été attaqués au moment où ils nettoyaient l’enclos des tigres et que les félins s’y trouvaient. Ils ont donc oublié, ou ignoré, les consignes de sécurité. Ces deux attaques mortelles montrent que « les tigres en captivité restent des animaux dangereux et que malgré une pseudo-domestication apparente, ils conservent leur instinct de prédateur. Les deux tigres ont attaqué et tué des personnes qu’ils ont pris pour des intrus dans leur territoire, en provoquant des lésions caractéristiques similaires », déclarent les légistes des facultés de médecine de l’université de Cologne et de Münster.

Pour conclure, signalons le cas rapporté en 2001 par des médecins légistes de l’université de Bordeaux dans The American Journal of Forensic Medicine and Pathology. La victime est un homme de 49 ans qui possède son propre parc animalier composé d’environ 200 animaux sauvages, dont 20 félins. Le 15 septembre 1996, vers 3h30 du matin, il pénètre avec un ami dans l’enclos d’un tigre. Le félin est clairement excité, comme le racontera plus tard le témoin de la scène. L’homme enjambe la porte de l’enclos pour calmer l’animal, mais celui-ci l’attaque. Il le jette à terre, lui griffe les jambes, enserre son cou dans ses mâchoires et le traîne au milieu de l’enclos avant de le projeter en l’air. L’homme meurt peu de temps après.

L’autopsie montre que la victime présente deux plaies des vaisseaux du côté droit du cou (veine jugulaire et carotide), des fractures complexes de la troisième et cinquième vertèbre cervicale, ainsi qu’une lacération complète de la moelle épinière provoquée par une morsure postérieure. À noter que la victime était alcoolisée cette nuit-là (1,04 g/L), ce qui a pu altérer sa vigilance et modifier son comportement.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur BlueSky, X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, et sur mon autre blogLe diabète dans tous ses états‘, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 52 billets). 

Pour en savoir plus :

Fujii K, Kikuchi J, Uchida M, et al. Tiger attack at a Japanese safari park: a case report. Int J Emerg Med. 2023 Nov 6;16(1):80. doi: 10.1186/s12245-023-00556-3

Kirtland J, Tremoleda JL, Trivedy C. Traumatic injury patterns in humans from large feline predators: A systematic review and descriptive analysis. Trauma. 2022;0(0). doi:10.1177/14604086221123307

Kanchan T, Shekhawat RS, Shetty BSK, et al. Fatal captive tiger attack – A case report with review of literature. J Forensic Leg Med. 2021 Feb;78:102100. doi: 10.1016/j.jflm.2020.102100

Perrone C, Byard RW, Solarino B, Vinci F. Fatal mauling by tigers. Forensic Sci Med Pathol. 2020 Dec;16(4):718-720. doi: 10.1007/s12024-020-00250-3

Szleszkowski Ł, Thannhäuser A, Jurek T. Compound mechanism of fatal neck injury: A case report of a tiger attack in a zoo. Forensic Sci Int. 2017 Aug;277:e16-e20. doi: 10.1016/j.forsciint.2017.05.011

Tantius B, Wittschieber D, Schmidt S, et al. Two fatal tiger attacks in zoos. Int J Legal Med. 2016 Jan;130(1):185-9. doi: 10.1007/s00414-015-1216-0

Emami P, Kaiser TM, Regelsberger J, et al. Case report: surviving a tiger attack. Neurosurg Rev. 2012 Oct;35(4):621-4; discussion 624. doi: 10.1007/s10143-012-0406-1

Chum M, Ng WP. Traumatic tiger attack. J Neurosurg Pediatr. 2011 Nov;8(5):530-4. doi: 10.3171/2011.8.PEDS10593

Anderson M, Utter P, Szatkowski J, et al. Cervical spine injury: tiger attack. Orthopedics. 2008 Dec;31(12):orthosupersite.com/view.asp?rID=32931

Chapenoire S, Camiade B, Legros M. Basic instinct in a feline. Am J Forensic Med Pathol. 2001 Mar;22(1):46-50. doi: 10.1097/00000433-200103000-00008

Comment la hernie discale de Michael Collins lui valut d’être sélectionné pour Apollo 11

Michael Collins. © Wikipedia

Michael Collins est, avec Neil Armstrong, Edwin « Buzz » Aldrin, un héros de l’aventure spatiale américaine. C’est paradoxalement un sérieux problème de santé qui a conditionné sa participation à la mission Apollo 11. Une histoire relatée par des neurochirurgiens américains dans le numéro daté de février 2019 de la revue JNS (Journal of neurosurgery. Spine).

Collins est né le 31 octobre 1930 à Rome. Son père, le Major General James Lawton Collins, était officier de carrière de l’U.S. Army où il occupait un poste d’attaché militaire dans la capitale italienne. Diplômé de l’Académie militaire des Etats-Unis en 1952, Michael Collins rejoint l’U.S. Air Force. Il intègre l’école des pilotes d’essai de l’U.S. Air Force de la base d’Edwards en 1960. Il décide alors de devenir astronaute et postule en 1962 pour faire partie du second groupe d’astronautes sélectionné par la jeune agence spatiale américaine, la NASA (National Aeronautics and Space Administration). Il n’est pas retenu. Il est sélectionné l’année suivante pour faire partie d’un groupe de 14 astronautes, baptisé The Fourteen.

Trois ans plus tard, en 1966, Collins effectue son premier vol spatial à bord de Gemini 10 en compagnie de l’astronaute John Young. Leur mission de trois jours nécessite de réaliser deux arrimages avec la fusée Agena pour réaliser un rendez-vous orbital, manœuvre qu’il convient de maîtriser dans le cadre de futures missions lunaires. L’équipage réalise deux sorties extra-véhiculaires en scaphandre dans le vide spatial pendant une durée d’une heure et 28 minutes. Collins devient alors le premier astronaute à effectuer deux sorties au cours d’une même mission.

Peu de temps après Gemini 10, Collins est affecté à la mission Apollo 8, de même que le vétéran Frank Borman et William Anders qui en est à son premier vol spatial. C’est alors que Collins commence à éprouver des symptômes témoignant d’une atteinte de la moelle épinière au niveau du cou (myélopathie cervicale). Tout commence lorsqu’il remarque  que ses « jambes ne semblent pas fonctionner normalement » lors de parties de handball, écrira-t-il plus tard dans sa biographie.

Craignant qu’il ne soit assigné au sol, l’astronaute choisit d’ignorer ses problèmes de santé mais les symptômes s’aggravent rapidement. Collins a des problèmes à monter et descendre les escaliers et manque de tomber à plusieurs reprises. Il présente en outre des engourdissements des deux jambes associés à des picotements. Ceux-ci progressent vers le haut des membres inférieurs. Le 12 juillet 1962, l’astronaute se décide enfin à consulter un médecin de la NASA qui l’adresse à un neurologue. La radiographie du cou de Collins révèle la formation d’une excroissance osseuse anormale à l’arrière des 5e et 6e vertèbres cervicales (ostéophyte postérieur C5-C6).

Hernie discale cervicale

Il est décidé que Collins se fasse opérer au plus vite. Rendez-vous est pris avec un neurochirurgien civil qui lui propose de réaliser une laminectomie cervicale postérieure, autrement dit de retirer un fragment de la partie postérieure d’une vertèbre pour « libérer » le canal dans lequel passe la moelle épinière et ainsi stopper ou limiter la progression des symptômes neurologiques. Selon les critères de l’Air Force, ce type d’intervention chirurgicale aurait cloué au sol pour toujours l’astronaute, l’empêchant à tout jamais de revoler dans l’espace. En effet, l’intervention proposée aurait eu pour conséquence que le cou soit vulnérable aux contraintes que subissent les pilotes d’essai lors de violentes accélérations, en particulier lorsqu’ils sont amenés à actionner leur siège éjectable.

De toute façon, la NASA ne l’entend pas ainsi. Collins est officier de l’U.S. Air Force et l’agence spatiale insiste pour que l’astronaute soit examiné par un chirurgien militaire. L’astronaute va finalement consulter deux autres chirurgiens,  civil et militaire. Tous deux préconisent de réaliser une fusion cervicale antérieure, intervention consistant à solidement solidariser deux vertèbres du cou en réalisant une greffe osseuse à partir de tissu osseux prélevé au niveau du bassin (os iliaque). C’est finalement le neurochirurgien Paul W. Myers, colonel de l’Air Force, qui opère Collins. Ce type d’intervention avec fusion osseuse intervertébrale devrait permettre à l’astronaute de revoler.

Avant l’intervention, Collins subit une myélographie, examen radiographique qui visualise la moelle épinière et l’émergence des racines nerveuses qui naissent au niveau cervical. Celui-ci confirme qu’un disque intervertébral est endommagé et qu’il y a bien compression de la moelle épinière par une excroissance osseuse (ostéophyte). En août 1968, Michael Collins subit une fusion cervicale antérieure au Wilford Medical Center de San Antonio (Texas).

De nombreux astronautes ont souffert du dos

Michael Collins n’est pas le seul à présenter une hernie discale. Publiée en 2010, une étude a montré qu’entre 53 % et 68 % des astronautes américains ont rapporté avoir souffert du dos lors d’un vol spatial. Il est probable que cela soit en rapport avec la perte de courbure du dos (lordose lombaire) du fait de l’élongation de la colonne vertébrale induite par l’élargissement des disques intervertébraux sous l’effet de l’impesanteur. La plupart des astronautes souffrant de la colonne vertébrale présente une hernie discale de la région cervicale. Cette pathologie est liée au déplacement d’un disque intervertébral. Une partie de celui-ci fait alors saillie à l’extérieur et vient comprimer une racine nerveuse ou la moelle épinière.

Publiée en 2010, une étude réunissant les données entre avril 1959 et décembre 2016 a montré que 32 astronautes avaient souffert de hernie discale. Dans plus de 40 % des cas, la hernie discale siégeait au niveau du cou. Sur 36 cas de hernie discale survenus après une mission spatiale, dix ont été opérés. Cette pathologie est survenue le jour même du retour Terre chez trois astronautes. Par ailleurs, il n’est pas impossible que les forces considérables qui s’exercent sur la colonne vertébrale cervicale et lombaire des pilotes d’essai puissent représenter un risque de développement ultérieur de hernie discale.

Reprise des entraînements 4 mois après l’opération

Michael Collins, le 16 juillet 1969. © Wikipedia

Mais revenons à Michael Collins. Après l’opération, l’astronaute s’est réveillé avec un collier cervical afin de limiter la rotation du cou, les mouvements majorant la douleur. En fait, Collins ne se plaint que d’avoir mal à la hanche droite, siège du prélèvement ayant servi à la greffe osseuse. Il sort de l’hôpital une semaine après l’opération et suit un programme intensif de physiothérapie. Collins va garder son collier cervical 24 heures sur 24 pendant trois mois. Son avenir en tant qu’astronaute dépend de l’état de sa colonne vertébrale cervicale aux radiographies. Il importe en effet que la fusion entre les 5e et 6e vertèbres cervicales soit effective.

Les clichés radiologiques montrent que la fusion intervertébrale est extrêmement solide. Collins est enfin autorisé à retirer son collier et à revoler en novembre 1968 sur les T-38, les avions d’entraînement de la NASA. Le seul symptôme dont il se plaint est une différence de chaleur entre les deux jambes. Un symptôme qu’il dit ressentir en permanence mais « avec lequel il peut vivre aisément ». Collins reprend finalement les vols d’entraînement 125 jours après son intervention chirurgicale.

Cette immobilisation d’environ quatre mois a eu pour conséquence qu’il n’a pas fait partie de l’équipage de la mission Apollo 8 (premier vol habité de la fusée Saturn V) durant laquelle il devait être le pilote du module de commande. C’est James (dit « Jim ») Lovell, membre de l’équipage de réserve, qui a remplacé Michael Collins. En effet, l’équipe de réserve d’Apollo 8 était composé du commandant Neil Armstrong, de James Lovell, pilote du module de commande, et de Buzz Aldrin, pilote du module lunaire.

Avant la mission Apollo 8, aucun équipage ne s’était aventuré hors de l’orbite terrestre. Celui-ci va survoler la Lune, en en faisant dix fois le tour. Ce Noël 1968, les astronautes d’Apollo 8 furent les premiers terriens à voir un lever de Terre au-dessus de la Lune.

Grâce à son cou, il décroche la Lune

L’intervention sur le rachis cervical de Michael Collins a modifié le cours de l’histoire de l’astronautique en ce qui concerne l’attribution de l’équipage de la mission Apollo 11, celle qui a vu deux hommes poser pour la première fois le pied sur la Lune. En effet, il était généralement d’usage que les membres des équipages de réserve deviennent au fil des rotations membres de l’équipe principale des  missions ultérieures. C’est ainsi que l’équipe de réserve d’Apollo 8 va composer l’équipage d’Apollo 11. Neil Armstrong est ainsi nommé commandant de la mission. Buzz Aldrin retrouve logiquement sa position de pilote du module lunaire. Enfin, Michael Collins, qui avait laissé sa place à Jim Lowell pour Apollo 8, se retrouve pilote de Columbia, le module de commande.

Voilà donc comment un sérieux problème à la colonne vertébrale cervicale, en empêchant Michael Collins de voler à bord d’Apollo 8, a contribué à le désigner comme membre d’équipage de la légendaire mission au cours de laquelle l’homme allait pour la première fois marcher sur la Lune. On le sait, Collins, aux commandes de Columbia, était resté en orbite lunaire.

La rotation dans la composition des équipages de missions lunaires a eu pour autre conséquence que Jim Lowell soit plus tard désigné commandant d’Apollo 13. Suite à une explosion dans un réservoir d’oxygène du module de service, les astronautes de cette mission n’ont pu se poser sur la Lune. Ils l’ont survolée avant de rentrer sains et saufs sur Terre. Jim Lowell est ainsi le seul astronaute à être allé deux fois vers la Lune (Apollo 8 et 13) mais à n’y avoir jamais posé le pied.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)

Pour en savoir plus :

Menger R, Wolf M, Thakur JD, Nanda A, Martino A. Astronaut Michael Collins, Apollo 8, and the anterior cervical fusion that changed the history of human spaceflight. J Neurosurg Spine. 2019 Feb 22:1-6. doi: 10.3171/2018.11.SPINE18629

Collins M. Carrying the Fire: An Astronaut’s Journeys. 40th Anniversary Edition. New York. 2009

Johnston SL, Campbell MR, Scheuring R, Feiveson AH. Risk of herniated nucleus pulposus among U.S. astronauts. Aviat Space Environ Med. 2010 Jun;81(6):566-74.

Elle fait l’amour à s’en briser le cou

Scanner pré-opératoire. Vues sagittales passant par le centre (cliché à gauche) et le côté droit (cliché à droite) du cou, montrant la fracture-subluxation C5-6. Davidson C, et al. J Surg Case Rep. 2019 Jun 28;2019(6):rjz202.

Voilà un cas clinique dont l’originalité tient au fait qu’il a donné lieu à une intervention chirurgicale après une mésaventure survenue en plein ébat sexuel. L’histoire est arrivée à une Afro-Américaine de 31 ans. Son cas est rapporté dans le numéro de juin 2019 du Journal of Surgical Case Reports.

La jeune femme est adressée aux urgences d’un hôpital de la Nouvelle-Orléans (Louisiane) pour des douleurs cervicales et une faiblesse musculaire généralisée. La douleur, d’apparition soudaine, faisait suite à une hyperflexion du cou lors d’une relation sexuelle avec son partenaire.

La patiente déclare aux médecins qu’elle était dans une position inhabituelle, la tête contre le sol et le cou en hyperflexion* (tête projetée violemment vers l’avant), tandis que son torse et ses jambes étaient maintenus en l’air par son partenaire. Lors du mouvement de flexion forcée du cou, la jeune femme a entendu un craquement et a immédiatement ressenti une douleur et une faiblesse musculaire. Elle n’a cependant pas perdu connaissance.

A l’admission aux urgences, la patiente se plaint de douleurs cervicales et aux mains. L’examen clinique révèle une faiblesse musculaire lorsque le coude est en extension, une gêne aux mouvements de préhension, ainsi qu’un déficit moteur de la jambe gauche. Il n’existe pas de trouble de la motricité intestinale ou vésicale. Ce qui signifie que les intestins et la vessie fonctionnent normalement.


Fracture cervicale

Un scanner du cou montre une fracture-luxation C5-C6 (à la jonction entre les 5e et 6e vertèbres cervicales) ainsi qu’une subluxation avec compression de la moelle épinière située en regard de ces lésions. A celles-ci s’ajoutent une rupture ligamentaire**.


Au vu des lésions, les chirurgiens décident d’opérer. Dans un premier temps, la patiente est placée en traction cervicale à l’aide d’un poids de 13 kg. Ce dispositif, qui entoure la tête, vise à obtenir un réalignement de la colonne cervicale. Il permet de réduire la subluxation dans l’attente du geste chirurgical. La patiente a finalement le choix entre une intervention chirurgicale suivie d’une immobilisation du cou par un collier cervical rigide (minerve) et une chirurgie suivie d’une kinésithérapie intensive. La patiente opte pour la seconde option.

Scanner et myélogramme post-opératoires. Vues sagittales à travers le côté gauche, le centre et le côté droit du cou. La traction, puis la pose de vis et de tiges, ont permis un alignement des vertèbres C5 et C6 et la fusion deux vertèbres cervicales. Davidson C, et al. J Surg Case Rep. 2019 Jun 28;2019(6):rjz202.

Les chirurgiens retirent alors le disque intervertébral situé entre la 5e et la 6e vertèbre cervical qui était très endommagé et solidarisent l’arrière de ces deux vertèbres avec des vis et des tiges, procédant à ce que les neurochirurgiens appellent une arthrodèse. Ce geste permet donc de solidement fixer entre elles les vertèbres C5 et C6.

Plus de peur que de mal

La patiente s’est parfaitement remise de l’opération chirurgicale avec disparition immédiate des douleurs aux mains et retour progressif de la force musculaire. Elle a rapidement été transférée dans un centre de rééducation. Deux semaines après, il ne subsistait chez elle qu’une légère faiblesse musculaire de la jambe gauche et de la région postérieure du bras droit (triceps).


Six mois plus tard, la jeune femme ne gardait aucune séquelle et les examens d’imagerie (scanner et myélogramme) visualisant la moelle épinière montraient une fusion correcte des deux vertèbres.

« Les traumatismes de la colonne vertébrale cervicale s’observent le plus souvent chez les victimes d’accident de voiture et de sports de contact, comme le football chez les hommes et l’équitation chez les femmes », font remarquer les auteurs de l’article, neurochirurgiens du centre médical de l’université de l’Etat de Louisiane. Parmi les accidents apparaissant dans un contexte d’activité sexuelle à deux ou en solitaire, on a pu observer la survenue d’une mort subite chez des patients ayant une pathologie cardiovasculaire. Autres mésaventures ont été rapportées : une fracture de la verge, une hémorragie méningée consécutive à la rupture d’un anévrisme cérébral après masturbation féminine.

Préserver son dos

Par ailleurs, les patients souffrant de lombalgie chronique peuvent présenter une douleur aiguë du dos lors d’un rapport sexuel ou après. Des travaux conduits par des chercheurs canadiens de l’université de Waterloo (Ontario) ont analysé les mouvements de la colonne vertébrale chez des hommes et des femmes dans cinq positions de coït vaginal. D’abord, deux positions du missionnaire : hanches et genoux peu fléchis (l’homme supportant le poids de la partie supérieure de son corps avec ses mains) ou encore l’homme faisant reposer son poids sur ses coudes, la femme ayant hanches et genoux fléchis. La troisième et quatrième position correspondaient à la levrette, le poids de la  partie supérieure du corps de la femme reposant sur les coudes ou sur les mains. Enfin, la cinquième position correspondait à celle dite des « petites cuillères » dans laquelle la femme et l’homme sont allongés sur le côté, l’homme dans le dos de la femme.

Dans ces études portant sur 10 hommes et 10 femmes volontaires sains, l’acquisition des données tridimensionnelles des mouvements lors du coït a été effectuée à l’aide d’un système de capteurs optoélectroniques disposés sur les deux partenaires au niveau des épaules, du bassin (crête iliaque), de l’extrémité supérieure du fémur, de la 12e vertèbre lombaire et du sacrum (partie inférieure de la colonne vertébrale).

Positions de coït à éviter pour les hommes dont le mal de dos est exacerbé par certains mouvements spécifiques.  Sidorkewicz N, et al. Spine (Phila Pa 1976). 2014 Sep 15;39(20):1633-9.

En ce qui concerne les hommes qui présenteraient des problèmes de dos en flexion, il ressort de ces travaux que les positions les moins recommandées sont les petites cuillères et la position du missionnaire avec l’homme s’appuyant sur les coudes. La position de levrette, avec la femme reposant sur les mains, est celle qui épargne le plus le dos.

Positions de coït à éviter pour les femmes dont le mal de dos est exacerbé par certains mouvements spécifiques. Sidorkewicz N, et al. Eur Spine J. 2015 Mar;24(3):513-20.

Concernant les femmes présentant des problèmes de flexion du dos, la position la plus recommandée est la levrette lorsque la partenaire a les mains à plat. Viennent ensuite les petites cuillères et la levrette avec le poids de la partie supérieure du corps reposant sur les coudes. Les deux positions les moins recommandées sont celles du missionnaire, indiquent les chercheurs.

Mais pour revenir au cas de la trentenaire ayant subi un traumatisme de la colonne vertébrale cervicale lors d’un ébat sexuel, le Dr Gabriel Tender et ses collègues de la Nouvelle-Orléans soulignent qu’il n’avait pas été rapporté de telles lésions auparavant dans la littérature médicale.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)

* L’hyperflexion du cou induit une force de traction sur les structures postérieures et de compression sur la partie antérieure du rachis cervical (corps des vertèbres et disques inter-vertébraux).

** Rupture complexe du ligament vertébral postérieur entre la 5e et la 6e vertèbre cervicale, ainsi que de deux fractures de la 5e vertèbre cervicale. La patiente présentait également une fracture de la lame postérieure et de la facette articulaire droite de C5.


Pour en savoir plus :

Davidson C, Crutcher CL, Tender GC. Traumatic cervical spine injury during sexual activity. J Surg Case Rep. 2019 Jun 28;2019(6):rjz202. doi: 10.1093/jscr/rjz202

Sidorkewicz N, McGill SM. 

Documenting female spine motion during coitus with a commentary on the implications for the low back pain patient. Eur Spine J. 2015 Mar;24(3):513-20. doi: 10.1007/s00586-014-3626-y

Sidorkewicz N, McGill SM. Male spine motion during coitus: implications for the low back pain patient. Spine (Phila Pa 1976). 2014 Sep 15;39(20):1633-9. doi: 10.1097/BRS.0000000000000518

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