La triste histoire d’un adolescent qui avait des envies de cornichons

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C’est le genre d’histoire clinique qui finit très mal, mais permet d’alerter sur ce qui aurait dû être fait et sur le diagnostic que les médecins généralistes et urgentistes doivent absolument évoquer devant une telle situation clinique avant qu’elle ne tourne au drame. Ce cas a été publié le 20 avril 2024 dans les Archives de Pédiatrie.

C’est l’histoire d’un adolescent de 13 ans d’origine marocaine, sans antécédent médical particulier, admis aux urgences pour des douleurs abdominales isolées. Il est pris de vomissements depuis la veille. Une semaine plus tôt, il avait une rhinite, sans fièvre. Il présente des signes de déshydratation, une diminution du volume des urines (oligurie), des marques circulaires foncées sur la peau, une sécheresse des muqueuses. Il a perdu 2 kg.

L’inspection et la palpation de l’abdomen sont normales. Les examens biologiques sanguins montrent une légère baisse du taux de sodium dans le sang (hyponatrémie à 132 mmol/L). L’échographie abdominale montre une infection aiguë d’un ou de plusieurs ganglions lymphatiques (lymphadénite mésentérique isolée).

Le jeune garçon reste en observation aux urgences 24 heures où il reçoit des fluides par voie intraveineuse. Il rentre chez lui avec un diagnostic de gastro-entérite aiguë, alors que les vomissements ont cessé, bien qu’il présente toujours un taux bas de sodium dans le sang (hyponatrémie à 126 mmol/L). Le taux de potassium sanguin est à 4 mmol/L (valeurs normales entre 3,5 et 5,5 mmol/L).

Pendant les six jours suivants, il vomit une à deux fois par jour et présente une perte d’appétit (anorexie) et une fatigue intense. Il n’a pas de diarrhée, de douleurs, ni de fièvre. Il a maintenant perdu 5 kg.

Onze jours après le début des symptômes, il perd connaissance. Bien qu’il ne présente pas de traumatisme crânien, sa mère le ramène une deuxième fois aux urgences dans un contexte clinique de vomissements persistants. Aucune analyse biologique n’est réalisée. On se contente de lui prescrire un antiémétique (métopimazine) pour ses vomissements.

Le lendemain, l’enfant, qui présente une fatigue extrême (asthénie intense), fait un arrêt cardiaque, avec un débit cardiaque nul (« no flow ») pendant 25 minutes, puis bas pendant les 25 minutes durant lesquels sa mère effectue les gestes de réanimation cardiopulmonaire. Le médecin du SAMU arrivé sur place intube l’adolescent, qui reçoit en outre des fluides par voie intraveineuse. Il est ensuite admis en unité de soins intensifs pédiatriques à l’hôpital Robert Debré (Paris).

L’équipe soignante interroge les parents sur le comportement récent du patient. Les médecins apprennent ainsi que cet enfant présentait une soif exagérée (polydipsie), ainsi qu’un goût prononcé pour le sel. Il consommait beaucoup de cornichons, qu’il dissimulait dans les toilettes de sa chambre. Par ailleurs, il a commencé à présenter des taches cutanées foncées depuis ses dernières vacances, il y a six mois.

À son admission à l’hôpital, la température corporelle de l’adolescent est de 34,9 °C. Il présente un choc hypovolémique sévère, autrement dit une diminution drastique du volume sanguin circulant, et est dans le coma. L’échographie thoracique ne montre pas de signes d’insuffisance cardiaque.

Les analyses biologiques sanguines montrent notamment une baisse importante du taux de sodium dans le sang (hyponatrémie à 118 mmol/L), une augmentation du taux de potassium (hyperkaliémie à 5,9 mmol/L). Le résultat des autres examens témoigne de la présence d’une insuffisance rénale aiguë, d’une insuffisance hépatique et d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), qui se manifeste par la formation de petits caillots à l’intérieur de tout le système vasculaire, ce qui entraîne une obstruction des petits vaisseaux. Le dosage du cortisol sérique, réalisé avant le début du traitement, montre un taux effondré (17 nmol/L). Un remplissage vasculaire massif est entrepris.

Au vu des résultats des examens de laboratoire et de la présence d’une défaillance du système circulatoire (état de choc), on administre de l’hydrocortisone, un corticoïde synthétique. En effet, l’histoire clinique et les examens biologiques orientent le diagnostic vers une insuffisance surrénalienne, maladie dans laquelle les glandes surrénales (chacune située au-dessus de chaque rein) ne produisent pas suffisamment d’hormones surrénaliennes.

Maladie d’Addison

Des analyses ultérieures montrent que cet enfant souffre de la maladie d’Addison, responsable d’une insuffisance surrénalienne primaire, le plus souvent d’origine auto-immune. Cette maladie porte le nom de Thomas Addison (1793-1860), médecin britannique qui a décrit cette maladie en 1849 puis 1855, et l’a attribuée à une atteinte de ce qu’il appelait la « capsule suprarénale », autrement dit de la glande surrénale.

Dans environ 85 % des cas, la maladie d’Addison est due à la présence d’auto-anticorps dirigés contre une enzyme qui participe à la synthèse des hormones stéroïdes, la 21-hydroxylase. Cet enfant présente effectivement un taux élevé d’anticorps anti-21-hydroxylase.

Malgré une amélioration initiale des capacités circulatoires, l’enfant a été déclaré en état de mort cérébrale moins de 24 heures plus tard.

Ce cas clinique dramatique a été rapporté par des médecins de l’unité de réanimation pédiatrique et du service d’endocrinologie pédiatrique de l’hôpital Robert Debré.

Selon les auteurs, il montre que « les signes de l’insuffisance surrénalienne ont été sous-estimés et interprétés comme une gastro-entérite aiguë malgré le fait que l’enfant avait été examiné à plusieurs reprises par une équipe médicale, ce qui a entraîné la survenue d’une crise surrénalienne aiguë extrêmement sévère et un arrêt cardiaque extrahospitalier (au domicile), suivi d’un décès imputable aux séquelles ».  Et d’ajouter : « Compte tenu du taux de mortalité associé à une crise surrénalienne, les médecins généralistes et urgentistes devraient systématiquement envisager ce diagnostic devant un patient présentant des signes gastro-intestinaux avec vomissements prédominants, en particulier lorsqu’ils sont accompagnés d’une hyponatrémie ».

L’insuffisance surrénalienne primaire est une affection rare, mais qui met en jeu le pronostic vital à court terme. Il s’agit d’une urgence thérapeutique, même sans certitude diagnostique. Sa prévalence en Europe est estimée entre 82 et 144 pour un million d’individus. La gravité de l’insuffisance surrénalienne aiguë est avant tout liée au déficit en cortisol.

Le diagnostic d’insuffisance surrénalienne doit être suspecté devant la survenue brutale de plusieurs symptômes non spécifiques, tels qu’une baisse de la tension artérielle, des vomissements, de la diarrhée, mais également lorsque des patients présentent une hyponatrémie, une hyperkaliémie ou des épisodes inexpliqués d’hypoglycémie à jeun.

Le diagnostic repose sur le dosage du cortisol dans le sang à 8 h le matin (extrêmement bas, inférieur à 500 mmol/L) et de l’ACTH (hormone adrénocorticotrope, fabriquée par l’hypophyse). Les taux plasmatiques d’ACTH sont élevés en cas d’insuffisance surrénalienne primaire.

Des signes cliniques peu spécifiques, un début insidieux

Le tableau clinique de la maladie d’Addison est peu spécifique et le début insidieux des symptômes rend le diagnostic difficile. Seule l’hyperpigmentation cutanéomuqueuse, appelée mélanodermie, est caractéristique de la maladie d’Addison. Ainsi, des taches foncées prédominant sur les zones exposées au soleil (visage, cou, tronc) et les plis palmaires, ainsi que des taches ardoisées à la face interne des joues, sont évocatrices de cette pathologie.

La localisation de la pigmentation aux régions découvertes et aux plis de flexion, ainsi que la présence de taches de la muqueuse buccale, doivent absolument faire évoquer une mélanodermie d’une maladie d’Addison. Ainsi, en présence d’une pigmentation persistante des zones exposées et des muqueuses, même en l’absence d’autres manifestations cliniques évocatrices et de troubles électrolytiques (faible taux de sodium, taux élevé de potassium), il importe d’évoquer la maladie d’Addison et de procéder à des analyses biologiques hormonales.

Si l’insuffisance surrénalienne n’est pas traitée, une crise surrénalienne peut se produire. Elle se manifeste par des douleurs abdominales sévères, une faiblesse intense, une tension artérielle très faible, une insuffisance rénale et un état de choc. La crise surrénalienne intervient souvent lorsque l’organisme est soumis à un stress, par exemple dans le cadre d’un accident, d’une blessure, d’une intervention chirurgicale ou d’une infection.

En l’absence de traitement (hydrocortisone) le décès peut survenir rapidement. Une crise surrénalienne est à l’origine de 15 % à 40 % des décès liés à l’insuffisance surrénalienne.

Tout délai dans la mise en route du traitement par hydrocortisone peut être fatal. La correction de la volémie (volume sanguin), via l’administration de solutés de perfusion, peut être nécessaire et ne doit alors pas être retardée.

Le traitement doit se poursuivre jusqu’à ce que le diagnostic soit confirmé ou écarté. Dès lors, le patient doit être pris en charge par un endocrinologue qui déterminera la cause de l’insuffisance surrénalienne. Cette démarche diagnostique comporte le dosage des anticorps anti-21-hydroxylase, sachant que l’origine auto-immune est la plus fréquente chez le grand enfant.

Un des principaux enseignements de ce cas clinique dramatique est qu’il importe de toujours rechercher la cause d’une hyponatrémie afin de comprendre le mécanisme responsable d’un faible taux de sodium sanguin et ne pas passer à côté du diagnostic d’une affection pouvant menacer le pronostic vital. L’hyponatrémie peut en effet être le premier signe de l’insuffisance surrénalienne primaire.

Comme le soulignent Bellaure Ndoudi-Likoho, Michael Levy et leurs collègues, une hyponatrémie hypotonique (faible taux de sodium sanguin résultant d’une perte à la fois en sodium et en eau) peut se voir en cas d’insuffisance surrénalienne ou de gastro-entérite (pertes digestives prolongées sans apport hydrique). La détermination de la natriurèse (c’est-à-dire de l’excrétion urinaire du sodium) aide alors au diagnostic en distinguant l’une de ces pathologies.

Surtout, insistent-ils, « il convient de procéder à une évaluation approfondie afin de rechercher des signes spécifiques tels qu’une hyperpigmentation ou l’envie de sel. Dans notre cas, une consommation excessive de cornichons a permis de diagnostiquer une insuffisance surrénalienne », les conserves de cornichons étant très riches en sel.

L’envie de sel (salt craving en anglais) peut être le signe d’un déficit en aldostérone chez les patients ayant une insuffisance surrénalienne. Il faut en effet savoir que l’insuffisance surrénale est une insuffisance de fonctionnement du cortex surrénalien (qui représente 80 % à 90 % de la glande), qui synthétise notamment le cortisol (principal glucocorticoïde), et l’aldostérone (principal minéralocorticoïde).

Le cortisol est un facteur majeur d’adaptation de l’organisme au stress, alors que l’aldostérone joue un rôle crucial dans le maintien du volume sanguin (volémie) et de la pression artérielle.

Une envie de sel irrépressible chez un tout petit enfant

Je ne peux conclure ce billet sans raconter un cas classique d’envie de sel irrépressible, rapporté en 1940 par des médecins de Baltimore dans le JAMA, journal de l’association médicale américaine.

Il concerne un enfant de trois ans et demi qui présentait une insuffisance surrénalienne qui l’incitait à consommer de grandes quantités de sel. Vers l’âge d’un an, il a commencé par mâchouiller des crackers, puis du bacon.

À 18 mois, il a pris l’habitude d’ajouter du sel dans son assiette en saisissant lui-même la salière ou en trempant toutes sortes d’aliments dans du sel. Lorsqu’il a commencé à dire ses premiers mots, « sel » en faisait partie.

À l’âge de trois ans, il avalait les trois-quarts d’une pleine cuillère à café de sel de table chaque jour, en plus de toute la nourriture normalement salée par ses parents. Quand il mangeait des céréales, il les prenait sans sucre, ni lait, mais telles quelles… en y ajoutant du sel.

Rien ne lui plaisait plus que de boire de l’eau et manger du sel. Il a commencé à boire beaucoup d’eau dès l’âge de 4 mois. À six mois, lorsqu’on lui présentait une bouteille d’eau et une bouteille de lait, il prenait toujours l’eau de préférence au lait. Dans l’article publié dans le JAMA, on peut lire : « il semblerait que ce garçon, en augmentant sa consommation de sel, se soit maintenu en vie pendant au moins deux ans et demi ».

Comme l’adolescent de 13 ans, dont le cas est rapporté par les pédiatres parisiens de l’hôpital Robert Debré, ce petit garçon était porteur d’une hyperpigmentation. La peau de son cuir chevelu et de son corps avait une teinte légèrement brunâtre. Ses mamelons étaient pigmentés et les gencives au-dessus des incisives supérieures présentaient une tache de pigmentation brunâtre.

Sept jours après son admission à l’hôpital, ce jeune enfant est mort subitement. L’autopsie révéla qu’il était atteint d’une insuffisance surrénalienne sévère.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, BlueSky, et sur mon autre blog Le diabète dans tous ses états, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 64 billets).

Pour en savoir plus :


Ndoudi-Likoho B, Simon D, Maroni A, et al. Excessive pickle consumption: beware of adrenal crisis. Arch Pediatr. 2024 Apr 20:S0929-693X(24)00059-9. doi: 10.1016/j.arcped.2024.02.005 

Hahner S, Ross RJ, Arlt W, et al. Adrenal insufficiency. Nat Rev Dis Primers. 2021 Mar 11;7(1):19. doi: 10.1038/s41572-021-00252-7

Mosca AM, Barbosa M, Araújo R, Santos MJ. Addison’s Disease: A Diagnosis Easy to Overlook. Cureus. 2021 Feb 15;13(2):e13364. doi: 10.7759/cureus.13364

Reznik Y, Barat P, Bertherat J,  et al. SFE/SFEDP adrenal insufficiency French consensus: Introduction and handbook. Consensus sur l’insuffisance surrénale de la SFE/SFEDP : introduction et guide. Ann Endocrinol (Paris). 2018 Feb;79(1):1-22. doi: 10.1016/j.ando.2017.12.001 

Brosnan CM, Gowing NFC. Addison’s disease. BMJ. 1996 Apr;312:1601. doi: 10.1136/bmj.312.7046.1601 (PDF)

Tobin MV, Aldridge SA, Morris AI, et al. Gastrointestinal manifestations of Addison’s disease. Am J Gastroenterol. 1989 Oct;84(10):1302-5. PMID: 2801683.

Grant DB, Barnes ND, Moncrieff MW, Savage MO. Clinical presentation, growth, and pubertal development in Addison’s disease. Arch Dis Child. 1985 Oct;60(10):925-8. doi: 10.1136/adc.60.10.925

Wilkins, L. & Richter, C. P. A Great Craving for Salt by a Child with Cortico-Adrenal Insufficiency. JAMA. 1940;114(10):866-868. doi:10.1001/jama.1940.62810100001011

Sur le web :

Pernet J. Insuffisance surrénale aiguë. Urgences 2015. SFMU (Société française de médecine d’urgence) 

Insuffisance surrénale aiguë (Orphanet, PDF)

Insuffisance surrénale chez l’adulte et l’enfant (Société française d’endocrinologie)

Maladie d’Addison (MSD Manual) 

L’incroyable histoire de John F. Kennedy et de son mal de dos

© Wikimedia Commons

John Fitzgerald Kennedy, 35ème président des États-Unis, est le plus jeune à occuper le bureau ovale lorsqu’il est élu le 8 novembre 1960. A sa jeunesse (il n’a alors que 43 ans), s’ajoute son enthousiasme, son sourire, son charisme, son énergie. Cette image de vitalité est pourtant trompeuse. En réalité, JFK a toujours été en mauvaise santé depuis son plus jeune âge. Il va par ailleurs souffrir du dos dès l’âge de 20 ans. C’est l’histoire de son mal de dos, des interventions chirurgicales ratées, de l’impact de ses douleurs lombaires durant toute sa vie jusqu’au jour de sa mort, que relatent deux neurochirurgiens américains dans un passionnant article paru le 11 juillet 2017 dans le Journal of Neurosurgery Spine (JNS). 

Le petit « Jack » n’a pas 3 ans quand il est hospitalisé pour une scarlatine, infection bactérienne qui a bien failli l’emporter. Son enfance est ponctuée de maladies, notamment d’infections, d’allergies et de problèmes intestinaux. A l’âge de 14 ans, on lui diagnostique une « colite ». On parlerait sans doute aujourd’hui de syndrome du côlon irritable. Les symptômes gastro-intestinaux vont persister par intermittence tout au long de sa vie.

Harvard, 1947

Son mal de dos vient s’ajouter à cette santé fragile lors de ses premières années de collège universitaire. Même s’il demeure une incertitude sur le véritable événement déclencheur de ses douleurs lombaires, il est communément admis que son mal de dos a débuté après une blessure lors d’un match de football à Harvard en 1937. Il continue à souffrir du dos après avoir obtenu son diplôme universitaire en juin 1940. Il est alors adressé à un chirurgien orthopédiste, spécialiste du rachis à Boston, qui diagnostique une articulation lombo-sacrée très instable et lui recommande de suivre un traitement consistant en une manipulation vertébrale sous anesthésie. Ce que fait Kennedy.

A bord du patrouilleur PT-109

John F. Kennedy à bord du patrouilleur PT-109 dans le Pacifique Sud en 1943.    © Wikimedia Commons. John F. Kennedy Presidential Library and Museum.

En octobre 1940, John Kennedy, alors âgé de 23 ans, est bon pour le service militaire. Il se voit cependant recalé par l’armée de terre du fait de ses soucis de santé, en particulier à cause de ses problèmes de dos. Il tente d’intégrer l’année suivante la Marine, en l’occurrence l’école des aspirants officiers de la Navy. Là encore sans succès pour inaptitude physique. Faisant jouer les relations de son père, alors ambassadeur des États-Unis en Grande-Bretagne, il obtient d’être intégré dans l’US Naval Reserve en septembre 1941. Fin juin 1942, l’enseigne Kennedy est déclaré apte pour le service. Il fera ses classes à bord d’un patrouilleur, le PT-109, une vedette lance-torpilles. Son père interviendra à nouveau afin qu’il soit accepté dans un programme d’entrainement intensif. Il sera envoyé dans le Pacifique en janvier 1943. Le bateau torpilleur qu’il commande est éperonné par un destroyer japonais, causant la mort de deux hommes. Kennedy sauve un équipier gravement blessé en tirant le gilet de sauvetage de celui-ci avec ses dents. Il nage ainsi pendant cinq heures avant de se réfugier sur une île. Les rescapés du naufrage sont finalement secourus. La collision avec le navire japonais et les conditions éprouvantes de son sauvetage mettent à mal son dos déjà fragile.

Le lieutenant John F. Kennedy est décoré de la médaille de la Navy et du Marine Corps pour « conduite extrêmement héroïque en tant qu’officier commandant du tropilleur PT-109 ». © Wikimedia Commons. John F. Kennedy Presidential Library and Museum.

De retour aux États-Unis, un chirurgien orthopédiste note que le lieutenant Kennedy souffre de douleurs de la région sacro-iliaque gauche, derrière la hanche, qui descendent jusqu’au genou. Il est décidé de réaliser une myélographie gazeuse, un examen radiologique de la moelle épinière qui n’est plus employé et dans lequel on remplace le liquide céphalo-rachidien par de l’air. Celui-ci permet d’obtenir une bonne image de la moelle, tout en ayant l’avantage d’être résorbable.

Juin 1944 : première chirurgie du dos

L’apparition de produits contrastes iodés hydrosolubles a rendu caduque cette technique. Bien que la myélographie gazeuse ne permette pas de déceler une hernie discale et ne conclut pas à la nécessité d’une intervention chirurgicale, Kennedy se fait tout de même opérer le 23 juin 1944. L’intervention consiste en l’ablation partielle d’une portion (lame) des 4e et 5e vertèbres lombaires (laminotomie) ainsi que de celle du disque intervertébral situé entre la 5ème vertèbre lombaire et la première vertèbre sacrée. L’amélioration est de très courte durée car deux semaines plus tard Kennedy souffre de spasmes musculaires sévères.

Plutôt qu’une myélographie gazeuse, les auteurs de l’article estiment que Kennedy aurait dû subir une myélographie avec un produit de contraste iodé, même si cet examen peut parfois entraîner des complications (notamment une inflammation du fait de la présence résiduelle du produit), qui ne surviennent pas lorsqu’on utilise de l’air.  Le statut de héros de guerre de « Jack » Kennedy et le fait qu’il soit le fils de Joseph Kennedy ont probablement joué dans la décision d’utiliser de l’air plutôt qu’un produit de contraste, plus indiqué mais potentiellement plus risqué.

Les Drs Glenn Pait et Justin Dowdy (Université de l’Arkansas, Little Rock) ont examiné les radiographies pré et post-opératoires de la colonne vertébrale du célèbre patient, conservées à la bibliothèque JFK Presidential Library. Il en ressort que JFK avait un rachis lombaire dans la normale sur le plan radiologique en décembre 1944.

Des douleurs gastro-intestinales complètent le tableau clinique de Kennedy. La Navy finit par le déclarer inapte pour le service en novembre 1944. Il retrouve la vie civile et se lance sa candidature à la Chambre des Représentants en avril 1946 dans le Massachusetts. La campagne électorale est éreintante pour son dos. Les douleurs lombaires reviennent, l’obligeant à avoir recours à des massages quotidiens, des bains chauds et le port régulier d’un corset. Kennedy remporte l’élection, près de deux ans après sa première opération du dos qui ne lui avait pas réussi.

La première année de son mandat est marquée par un grave ennui de santé lors d’un voyage en Angleterre. Il prend régulièrement des corticoïdes pour soigner ses problèmes gastro-intestinaux de longue date. Insouciant, il cesse brutalement de les prendre, ce qui déclenche une crise surrénalienne aiguë en 1947.

Maladie d’Addison

Hospitalisé à Londres, les médecins diagnostiquent une maladie d’Addison, une affection endocrinienne caractérisée par un défaut de sécrétion des hormones produites par les glandes surrénales, probablement secondaire à la prise chronique de corticoïdes. La situation est si critique que Kennedy, de religion catholique, reçoit les derniers sacrements.

Décidé à faire progresser sa carrière politique, Kennedy sillonne le Massachusetts, quoi qu’il en coûte à son dos. JFK voyage alors en utilisant des béquilles, serre des dents lorsqu’il marche, mais se tient debout, tout sourire, en public. Il semble en pleine forme tel un boxeur champion du monde des poids légers, selon son conseiller politique. Après avoir terminé son discours et répondu aux questions, on l’aide pour rejoindre sa voiture et s’allonger sur la banquette arrière. Il ferme alors les yeux de douleur. Ce régime épuisant finit cependant par payer électoralement. Il est élu au Sénat en 1952.

Deuxième intervention chirurgicale

Le sénateur Kennedy continue de souffrir du dos, à tel point qu’il utilise presque constamment des béquilles au cours du printemps 1954. Cette année-là, il décide de se faire réopérer, malgré le risque élevé de complications, et même de décès, du fait de sa maladie d’Addison. L’intervention consiste à fixer une plaque métallique et des vis pour fusionner plusieurs vertèbres du bas du dos (fusion sacro-iliaque et lombo-sacrée) et stabiliser le rachis. Les radiographies de la colonne vertébrale de Kennedy, examinées par les auteurs de l’article, ne montrent pas de fractures de compression qui aurait pu justifier ce type d’intervention et qui avaient été relatées dans une biographie de JFK parue en 2003.

Les suites opératoires sont émaillées de toute une série de complications. Il fait une réaction à la transfusion sanguine. Surtout, JFK fait une infection urinaire si sévère qu’elle provoque un coma. Pour la seconde fois, il reçoit les derniers sacrements.

Plaie ouverte dans le dos

Durant sa convalescence, il présente dans le dos une plaie ouverte infectée qui ne cicatrise pas. C’est alors que Kennedy est opéré pour la troisième fois du dos en février 1955. L’opération consiste à retirer l’implant métallique. 

En 1955, JFK, alors âgé de 38 ans, est présenté au Dr Janet Travell, une pharmacologue et spécialiste en médecine interne de l’Université Cornell (New York), connue pour ses injections locales d’anesthésiques au niveau de zones d’hypersensibilité (points gâchettes) pour traiter certaines douleurs musculo-squelettiques. Au cours des années qui suivent, Kennedy va recevoir des centaines, sinon des milliers, d’injections d’anesthésique (procaïne). C’est également à partir de ce moment que Kennedy opte pour son célèbre rocking chair, son fauteuil préféré, qui deviendra plus tard un symbole de sa présidence.  

© Wikimedia Commons

Dernière intervention du dos

Deux ans plus tard, en septembre 1957, JFK présente un abcès superficiel de la région lombaire. Il est admis à l’hôpital pour y subir sa quatrième opération du dos au niveau des 4e et 5e vertèbres lombaires, une intervention beaucoup plus invasive que les précédentes. Les examens bactériologiques montrent la présence d’un staphylocoque doré, soit environ trois ans après l’intervention chirurgicale d’octobre 1954.

Les années suivantes offrent quelque répit à JFK sur le plan médical. Elles sont marquées par sa réélection triomphante en 1958 au Sénat. Son ascension politique l’incite alors à briguer l’investiture du parti démocrate pour la présidence. Le 11 juillet 1960, quelques jours avant la Convention nationale démocrate, son adversaire Lyndon B. Johnson (qui deviendra bientôt son colistier) émet publiquement de sérieux doutes sur l’état de santé de Kennedy, dévoilant sa maladie d’Addison et réclamant qu’il effectue un bilan de santé.

« Dr Feelgood »

Au cours de la campagne électorale, Kennedy fait appel aux services d’un médecin new-yorkais d’origine allemande, le Dr Max Jacobson, surnommé « Dr Feelgood » par ses patients (qui se sentent mieux après consultation). Lors de l’été 1960, ce médecin injecte à JFK son premier cocktail vitaminé à base de dérivés d’amphétamines. Il reçoit une injection peu de temps avant le fameux débat télévisé contre Richard Nixon. JFK est élu président des États-Unis le 8 novembre 1960.

Plusieurs mois plus tard, en mai 1961, à Ottawa (Canada), lors d’une cérémonie durant laquelle il plante un arbre, Kennedy se fait mal au dos. Les douleurs lombaires sont intenses, l’obligeant à fréquemment utiliser des béquilles, à recourir aux injections de procaïne, à mettre un corset, sans oublier les injections illicites du bon « Dr Feelgood ».

© Wikimedia Commons. Photo officielle de la Maison Blanche.

Préoccupé par l’état du dos du président et son utilisation abusive des injections de procaïne, un médecin de la Maison Blanche, le contre-amiral George Burley, décide alors de consulter un chirurgien orthopédiste réputé, le Dr Hans Kraus, d’origine autrichienne. Tous deux soumettent JFK à un programme d’exercices physiques et de rééducation centré sur la piscine de la Maison Blanche. Il comprend le levage de poids trois fois par semaine, de la natation quasi quotidiennement, de même que des massages et applications de chaleur. Les résultats sont au rendez-vous. En quelques mois, l’amélioration est spectaculaire.

Les auteurs de l’article paru dans la revue JNS, qui ont examiné les radiographies de Kennedy, indiquent que rien ne montre que JFK est né avec une articulation lombosacrée instable comme lui avait dit son chirurgien en 1947. Selon les Drs Pait et Dowdy, l’origine des douleurs lombaires de Kennedy est probablement multifactorielle. Les symptômes seraient dus à une lombalgie d’origine mécanique, une maladie de l’articulation sacro-iliaque et une atteinte des racines nerveuses au niveau lombaire (radiculopathie). 

Dallas

Constatant que l’état du dos s’améliore, le Dr Kraus envisage dès l’été 1962 que le président retire son corset. Il essuie cependant un refus de JFK, d’autant que ce dernier va de nouveau ressentir des douleurs musculaires à la racine de la jambe fin août 1963. Cette « rechute de mal de dos a-t-elle contribué à la mort de Kennedy ? », s’interrogent les auteurs. En effet, à Dallas, le 22 novembre 1963, JFK porte un corset lombaire qui lui enserre les hanches et le bas du dos.

Après le premier coup de feu, le corset a ramené JFK à la position assise. Ce faisant, le président a pu rester dans la ligne de mire de Lee Harvey Oswald, permettant à ce dernier de tirer le second coup de feu mortel en pleine tête. Les auteurs citent ici l’avis du Dr John Lattimer, médecin expert non-gouvernemental qui a eu accès aux photographies de l’autopsie, aux radiographies et aux vêtements de JFK. Si le président n’avait pas porté ce corset étroitement ajusté, il aurait pu se pencher en avant et rester en dehors de la ligne de visée d’Oswald. Pour autant, écrivent les auteurs, rien n’indique que le président Kennedy aurait pu survivre à la première plaie par balle au niveau du cou.

Même s’il est impossible de déterminer avec certitude le rôle joué par le corset lombaire dans la mort de JFK, il n’en demeure pas moins que l’impact de la  décision de Kennedy de continuer à porter ce matériel de maintien, contrairement à l’avis du Dr Hans Kraus, continuera encore longtemps d’alimenter les spéculations. Une question de plus non résolue autour de l’assassinat de Kennedy, concluent les auteurs.  

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)

Pour en savoir plus :

Pait TG, Dowdy JT. John F. Kennedy’s back: chronic pain, failed surgeries, and the story of its effects on his life and death. J Neurosurg Spine. 2017 Jul 11:1-9. doi: 10.3171/2017.2.SPINE151524

Pinals RS, Hassett AL. Reconceptualizing John F. Kennedy’s chronic low back pain. Reg Anesth Pain Med. 2013 Sep-Oct;38(5):442-6. doi: 10.1097/AAP.0b013e3182a222c

Mandel LR. Endocrine and autoimmune aspects of the health history of John F. Kennedy. Ann Intern Med. 2009 Sep 1;151(5):350-4. PMID:19721023

Loughlin KR. John F. Kennedy and his adrenal disease. Urology. 2002 Jan;59(1):165-9. PMID: 11796316