La triste histoire d’un adolescent qui avait des envies de cornichons

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C’est le genre d’histoire clinique qui finit très mal, mais permet d’alerter sur ce qui aurait dû être fait et sur le diagnostic que les médecins généralistes et urgentistes doivent absolument évoquer devant une telle situation clinique avant qu’elle ne tourne au drame. Ce cas a été publié le 20 avril 2024 dans les Archives de Pédiatrie.

C’est l’histoire d’un adolescent de 13 ans d’origine marocaine, sans antécédent médical particulier, admis aux urgences pour des douleurs abdominales isolées. Il est pris de vomissements depuis la veille. Une semaine plus tôt, il avait une rhinite, sans fièvre. Il présente des signes de déshydratation, une diminution du volume des urines (oligurie), des marques circulaires foncées sur la peau, une sécheresse des muqueuses. Il a perdu 2 kg.

L’inspection et la palpation de l’abdomen sont normales. Les examens biologiques sanguins montrent une légère baisse du taux de sodium dans le sang (hyponatrémie à 132 mmol/L). L’échographie abdominale montre une infection aiguë d’un ou de plusieurs ganglions lymphatiques (lymphadénite mésentérique isolée).

Le jeune garçon reste en observation aux urgences 24 heures où il reçoit des fluides par voie intraveineuse. Il rentre chez lui avec un diagnostic de gastro-entérite aiguë, alors que les vomissements ont cessé, bien qu’il présente toujours un taux bas de sodium dans le sang (hyponatrémie à 126 mmol/L). Le taux de potassium sanguin est à 4 mmol/L (valeurs normales entre 3,5 et 5,5 mmol/L).

Pendant les six jours suivants, il vomit une à deux fois par jour et présente une perte d’appétit (anorexie) et une fatigue intense. Il n’a pas de diarrhée, de douleurs, ni de fièvre. Il a maintenant perdu 5 kg.

Onze jours après le début des symptômes, il perd connaissance. Bien qu’il ne présente pas de traumatisme crânien, sa mère le ramène une deuxième fois aux urgences dans un contexte clinique de vomissements persistants. Aucune analyse biologique n’est réalisée. On se contente de lui prescrire un antiémétique (métopimazine) pour ses vomissements.

Le lendemain, l’enfant, qui présente une fatigue extrême (asthénie intense), fait un arrêt cardiaque, avec un débit cardiaque nul (« no flow ») pendant 25 minutes, puis bas pendant les 25 minutes durant lesquels sa mère effectue les gestes de réanimation cardiopulmonaire. Le médecin du SAMU arrivé sur place intube l’adolescent, qui reçoit en outre des fluides par voie intraveineuse. Il est ensuite admis en unité de soins intensifs pédiatriques à l’hôpital Robert Debré (Paris).

L’équipe soignante interroge les parents sur le comportement récent du patient. Les médecins apprennent ainsi que cet enfant présentait une soif exagérée (polydipsie), ainsi qu’un goût prononcé pour le sel. Il consommait beaucoup de cornichons, qu’il dissimulait dans les toilettes de sa chambre. Par ailleurs, il a commencé à présenter des taches cutanées foncées depuis ses dernières vacances, il y a six mois.

À son admission à l’hôpital, la température corporelle de l’adolescent est de 34,9 °C. Il présente un choc hypovolémique sévère, autrement dit une diminution drastique du volume sanguin circulant, et est dans le coma. L’échographie thoracique ne montre pas de signes d’insuffisance cardiaque.

Les analyses biologiques sanguines montrent notamment une baisse importante du taux de sodium dans le sang (hyponatrémie à 118 mmol/L), une augmentation du taux de potassium (hyperkaliémie à 5,9 mmol/L). Le résultat des autres examens témoigne de la présence d’une insuffisance rénale aiguë, d’une insuffisance hépatique et d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), qui se manifeste par la formation de petits caillots à l’intérieur de tout le système vasculaire, ce qui entraîne une obstruction des petits vaisseaux. Le dosage du cortisol sérique, réalisé avant le début du traitement, montre un taux effondré (17 nmol/L). Un remplissage vasculaire massif est entrepris.

Au vu des résultats des examens de laboratoire et de la présence d’une défaillance du système circulatoire (état de choc), on administre de l’hydrocortisone, un corticoïde synthétique. En effet, l’histoire clinique et les examens biologiques orientent le diagnostic vers une insuffisance surrénalienne, maladie dans laquelle les glandes surrénales (chacune située au-dessus de chaque rein) ne produisent pas suffisamment d’hormones surrénaliennes.

Maladie d’Addison

Des analyses ultérieures montrent que cet enfant souffre de la maladie d’Addison, responsable d’une insuffisance surrénalienne primaire, le plus souvent d’origine auto-immune. Cette maladie porte le nom de Thomas Addison (1793-1860), médecin britannique qui a décrit cette maladie en 1849 puis 1855, et l’a attribuée à une atteinte de ce qu’il appelait la « capsule suprarénale », autrement dit de la glande surrénale.

Dans environ 85 % des cas, la maladie d’Addison est due à la présence d’auto-anticorps dirigés contre une enzyme qui participe à la synthèse des hormones stéroïdes, la 21-hydroxylase. Cet enfant présente effectivement un taux élevé d’anticorps anti-21-hydroxylase.

Malgré une amélioration initiale des capacités circulatoires, l’enfant a été déclaré en état de mort cérébrale moins de 24 heures plus tard.

Ce cas clinique dramatique a été rapporté par des médecins de l’unité de réanimation pédiatrique et du service d’endocrinologie pédiatrique de l’hôpital Robert Debré.

Selon les auteurs, il montre que « les signes de l’insuffisance surrénalienne ont été sous-estimés et interprétés comme une gastro-entérite aiguë malgré le fait que l’enfant avait été examiné à plusieurs reprises par une équipe médicale, ce qui a entraîné la survenue d’une crise surrénalienne aiguë extrêmement sévère et un arrêt cardiaque extrahospitalier (au domicile), suivi d’un décès imputable aux séquelles ».  Et d’ajouter : « Compte tenu du taux de mortalité associé à une crise surrénalienne, les médecins généralistes et urgentistes devraient systématiquement envisager ce diagnostic devant un patient présentant des signes gastro-intestinaux avec vomissements prédominants, en particulier lorsqu’ils sont accompagnés d’une hyponatrémie ».

L’insuffisance surrénalienne primaire est une affection rare, mais qui met en jeu le pronostic vital à court terme. Il s’agit d’une urgence thérapeutique, même sans certitude diagnostique. Sa prévalence en Europe est estimée entre 82 et 144 pour un million d’individus. La gravité de l’insuffisance surrénalienne aiguë est avant tout liée au déficit en cortisol.

Le diagnostic d’insuffisance surrénalienne doit être suspecté devant la survenue brutale de plusieurs symptômes non spécifiques, tels qu’une baisse de la tension artérielle, des vomissements, de la diarrhée, mais également lorsque des patients présentent une hyponatrémie, une hyperkaliémie ou des épisodes inexpliqués d’hypoglycémie à jeun.

Le diagnostic repose sur le dosage du cortisol dans le sang à 8 h le matin (extrêmement bas, inférieur à 500 mmol/L) et de l’ACTH (hormone adrénocorticotrope, fabriquée par l’hypophyse). Les taux plasmatiques d’ACTH sont élevés en cas d’insuffisance surrénalienne primaire.

Des signes cliniques peu spécifiques, un début insidieux

Le tableau clinique de la maladie d’Addison est peu spécifique et le début insidieux des symptômes rend le diagnostic difficile. Seule l’hyperpigmentation cutanéomuqueuse, appelée mélanodermie, est caractéristique de la maladie d’Addison. Ainsi, des taches foncées prédominant sur les zones exposées au soleil (visage, cou, tronc) et les plis palmaires, ainsi que des taches ardoisées à la face interne des joues, sont évocatrices de cette pathologie.

La localisation de la pigmentation aux régions découvertes et aux plis de flexion, ainsi que la présence de taches de la muqueuse buccale, doivent absolument faire évoquer une mélanodermie d’une maladie d’Addison. Ainsi, en présence d’une pigmentation persistante des zones exposées et des muqueuses, même en l’absence d’autres manifestations cliniques évocatrices et de troubles électrolytiques (faible taux de sodium, taux élevé de potassium), il importe d’évoquer la maladie d’Addison et de procéder à des analyses biologiques hormonales.

Si l’insuffisance surrénalienne n’est pas traitée, une crise surrénalienne peut se produire. Elle se manifeste par des douleurs abdominales sévères, une faiblesse intense, une tension artérielle très faible, une insuffisance rénale et un état de choc. La crise surrénalienne intervient souvent lorsque l’organisme est soumis à un stress, par exemple dans le cadre d’un accident, d’une blessure, d’une intervention chirurgicale ou d’une infection.

En l’absence de traitement (hydrocortisone) le décès peut survenir rapidement. Une crise surrénalienne est à l’origine de 15 % à 40 % des décès liés à l’insuffisance surrénalienne.

Tout délai dans la mise en route du traitement par hydrocortisone peut être fatal. La correction de la volémie (volume sanguin), via l’administration de solutés de perfusion, peut être nécessaire et ne doit alors pas être retardée.

Le traitement doit se poursuivre jusqu’à ce que le diagnostic soit confirmé ou écarté. Dès lors, le patient doit être pris en charge par un endocrinologue qui déterminera la cause de l’insuffisance surrénalienne. Cette démarche diagnostique comporte le dosage des anticorps anti-21-hydroxylase, sachant que l’origine auto-immune est la plus fréquente chez le grand enfant.

Un des principaux enseignements de ce cas clinique dramatique est qu’il importe de toujours rechercher la cause d’une hyponatrémie afin de comprendre le mécanisme responsable d’un faible taux de sodium sanguin et ne pas passer à côté du diagnostic d’une affection pouvant menacer le pronostic vital. L’hyponatrémie peut en effet être le premier signe de l’insuffisance surrénalienne primaire.

Comme le soulignent Bellaure Ndoudi-Likoho, Michael Levy et leurs collègues, une hyponatrémie hypotonique (faible taux de sodium sanguin résultant d’une perte à la fois en sodium et en eau) peut se voir en cas d’insuffisance surrénalienne ou de gastro-entérite (pertes digestives prolongées sans apport hydrique). La détermination de la natriurèse (c’est-à-dire de l’excrétion urinaire du sodium) aide alors au diagnostic en distinguant l’une de ces pathologies.

Surtout, insistent-ils, « il convient de procéder à une évaluation approfondie afin de rechercher des signes spécifiques tels qu’une hyperpigmentation ou l’envie de sel. Dans notre cas, une consommation excessive de cornichons a permis de diagnostiquer une insuffisance surrénalienne », les conserves de cornichons étant très riches en sel.

L’envie de sel (salt craving en anglais) peut être le signe d’un déficit en aldostérone chez les patients ayant une insuffisance surrénalienne. Il faut en effet savoir que l’insuffisance surrénale est une insuffisance de fonctionnement du cortex surrénalien (qui représente 80 % à 90 % de la glande), qui synthétise notamment le cortisol (principal glucocorticoïde), et l’aldostérone (principal minéralocorticoïde).

Le cortisol est un facteur majeur d’adaptation de l’organisme au stress, alors que l’aldostérone joue un rôle crucial dans le maintien du volume sanguin (volémie) et de la pression artérielle.

Une envie de sel irrépressible chez un tout petit enfant

Je ne peux conclure ce billet sans raconter un cas classique d’envie de sel irrépressible, rapporté en 1940 par des médecins de Baltimore dans le JAMA, journal de l’association médicale américaine.

Il concerne un enfant de trois ans et demi qui présentait une insuffisance surrénalienne qui l’incitait à consommer de grandes quantités de sel. Vers l’âge d’un an, il a commencé par mâchouiller des crackers, puis du bacon.

À 18 mois, il a pris l’habitude d’ajouter du sel dans son assiette en saisissant lui-même la salière ou en trempant toutes sortes d’aliments dans du sel. Lorsqu’il a commencé à dire ses premiers mots, « sel » en faisait partie.

À l’âge de trois ans, il avalait les trois-quarts d’une pleine cuillère à café de sel de table chaque jour, en plus de toute la nourriture normalement salée par ses parents. Quand il mangeait des céréales, il les prenait sans sucre, ni lait, mais telles quelles… en y ajoutant du sel.

Rien ne lui plaisait plus que de boire de l’eau et manger du sel. Il a commencé à boire beaucoup d’eau dès l’âge de 4 mois. À six mois, lorsqu’on lui présentait une bouteille d’eau et une bouteille de lait, il prenait toujours l’eau de préférence au lait. Dans l’article publié dans le JAMA, on peut lire : « il semblerait que ce garçon, en augmentant sa consommation de sel, se soit maintenu en vie pendant au moins deux ans et demi ».

Comme l’adolescent de 13 ans, dont le cas est rapporté par les pédiatres parisiens de l’hôpital Robert Debré, ce petit garçon était porteur d’une hyperpigmentation. La peau de son cuir chevelu et de son corps avait une teinte légèrement brunâtre. Ses mamelons étaient pigmentés et les gencives au-dessus des incisives supérieures présentaient une tache de pigmentation brunâtre.

Sept jours après son admission à l’hôpital, ce jeune enfant est mort subitement. L’autopsie révéla qu’il était atteint d’une insuffisance surrénalienne sévère.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, BlueSky, et sur mon autre blog Le diabète dans tous ses états, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 64 billets).

Pour en savoir plus :


Ndoudi-Likoho B, Simon D, Maroni A, et al. Excessive pickle consumption: beware of adrenal crisis. Arch Pediatr. 2024 Apr 20:S0929-693X(24)00059-9. doi: 10.1016/j.arcped.2024.02.005 

Hahner S, Ross RJ, Arlt W, et al. Adrenal insufficiency. Nat Rev Dis Primers. 2021 Mar 11;7(1):19. doi: 10.1038/s41572-021-00252-7

Mosca AM, Barbosa M, Araújo R, Santos MJ. Addison’s Disease: A Diagnosis Easy to Overlook. Cureus. 2021 Feb 15;13(2):e13364. doi: 10.7759/cureus.13364

Reznik Y, Barat P, Bertherat J,  et al. SFE/SFEDP adrenal insufficiency French consensus: Introduction and handbook. Consensus sur l’insuffisance surrénale de la SFE/SFEDP : introduction et guide. Ann Endocrinol (Paris). 2018 Feb;79(1):1-22. doi: 10.1016/j.ando.2017.12.001 

Brosnan CM, Gowing NFC. Addison’s disease. BMJ. 1996 Apr;312:1601. doi: 10.1136/bmj.312.7046.1601 (PDF)

Tobin MV, Aldridge SA, Morris AI, et al. Gastrointestinal manifestations of Addison’s disease. Am J Gastroenterol. 1989 Oct;84(10):1302-5. PMID: 2801683.

Grant DB, Barnes ND, Moncrieff MW, Savage MO. Clinical presentation, growth, and pubertal development in Addison’s disease. Arch Dis Child. 1985 Oct;60(10):925-8. doi: 10.1136/adc.60.10.925

Wilkins, L. & Richter, C. P. A Great Craving for Salt by a Child with Cortico-Adrenal Insufficiency. JAMA. 1940;114(10):866-868. doi:10.1001/jama.1940.62810100001011

Sur le web :

Pernet J. Insuffisance surrénale aiguë. Urgences 2015. SFMU (Société française de médecine d’urgence) 

Insuffisance surrénale aiguë (Orphanet, PDF)

Insuffisance surrénale chez l’adulte et l’enfant (Société française d’endocrinologie)

Maladie d’Addison (MSD Manual) 

2 réponses sur “La triste histoire d’un adolescent qui avait des envies de cornichons”

  1. Un grand merci pour cet article plus que passionnant , qui pourrait d’ailleurs expliquer le décès subit du père de notre petite-fille ..

  2. Je souffre d’insuffisance surrénalienne secondaire (les glandes sont fonctionnelles, c’est l’hypophyse qui ne fait pas son boulot).
    Je n’avais aucun symptôme, ni envie de sel. Rien. Elle a été découverte par hasard: j’avais tout le temps énormément soif et buvais des litres d’eau.
    Les urgentistes eux-mêmes connaissent mal la maladie. Entre l’appel au 15 quand on fait un malaise et la consultation, cela se transforme souvent en « insuffisance rénale » (sic). Une fois, l’interne a dû aller imprimer de la doc pour me traiter… ce qui n’est pas rassurant! Heureusement, une fois diagnostiqué, le patient est (normalement) éduqué par son endocrino.
    Une maladie difficile à vivre au quotidien, à cause de l’extrême fatigue.

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